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L'Eurovision à la russe s'appelle l'Intervision, un concours datant de la Guerre froide face à l'Occident "décadent"

Le compte à rebours du Concours Intervision de la chanson est affiché sur la place Manezhnaya, devant le Kremlin, à Moscou, le 17 septembre 2025.

Le compte à rebours du Concours Intervision de la chanson est affiché sur la place Manezhnaya, devant le Kremlin, à Moscou, le 17 septembre 2025. - OLESYA KURPYAYEVA / AFP

Vladimir Poutine relance un concours de chant avec les anciens pays de l'URSS pour rivaliser avec l'Eurovision. Au programme : paillettes, chansons et "identité nationale".

Des chanteurs de 23 pays, des paillettes et une retransmission mondiale: la Russie relance l'Intervision, un concours musical créé à l'époque soviétique et présenté par Moscou comme un rival de l'Eurovision promouvant des valeurs occidentales "décadentes".

Sur la scène de la Live.Arena, près de Moscou, se produiront à partir de ce samedi à 18h30 (heure française), les artistes de pays de l'ex-URSS (Bélarus, Ouzbékistan, Kazakhstan), des partenaires des Brics (Brésil, Inde, Afrique du Sud, Egypte, Emirats arabes unis...), mais aussi Vassy (Vasiliki Karagiorgos), chanteuse et auteure australienne de musique électronique et pop qui représentera les États-Unis.

Pour assurer la promotion de cette soirée, la télévision publique russe s'est même offert la diffusion d'une vidéo sur écran géant... à Times Square, au cœur de New York. Un pied de nez à l'heure où Donald Trump dit que sa patience vis-à-vis de Vladimir Poutine "s'épuise rapidement" en raison de l'absence de progrès pour mettre fin au conflit en Ukraine où la Russie a lancé une offensive en 2022, raison pour laquelle elle a été exclue de l'Eurovision qu'elle avait remporté en 2008.

Conçu comme un festival de la chanson des pays alliés de l'URSS, le premier Intervision avait été organisé en 1965 en Tchécoslovaquie. Après le Printemps de Prague réprimé par les chars soviétiques en 1968, il avait été suspendu avant d'être relancé en 1977 en Pologne puis de cesser d'exister avec la chute de l'URSS au début des années 1990.

Un "concours typique de la Guerre froide"

Aujourd'hui, l'Intervision nouvelle formule est plus que jamais une affaire de géopolitique et de "soft power" culturel. Les organisateurs promettent une "véritable fête de la musique" mais aussi de "l'identité nationale", reprenant ainsi le discours officiel russe qui fustige l'Occident "décadent".

Aucun pays de l'Union européenne n'enverra d'ailleurs de participant à l'Intervision. "Relancer l'Intervision, c'est contrer l''entertainment' de l'Occident et reprendre le fil d'un concours typique de la Guerre froide", juge Cyrille Bret, géopolitiste français, qui va bientôt publier avec le chercheur Florent Parmentier une "Géopolitique de l'Eurovision".

Le chef de la diplomatie russe Sergueï Lavrov ne disait pas autre chose en présentant l'Intervision cette semaine aux journalistes. Ironisant sur la victoire à l'Eurovision en 2014 de la drag-queen barbue autrichienne Conchita Wurst, il a dit ne pas contester "le droit des spectateurs de l'Eurovision de voter pour un homme avec une barbe, vêtu en robe de femme".

"Et si l'Eurovision fait plaisir à quelqu'un, nous n'interdisons à personne de le regarder dans notre pays", a-t-il glissé.

Vladimir Poutine a érigé la Russie en porte-étendard des "valeurs traditionnelles", face à ce qu'il juge être la "décadence" morale de l'Occident du fait de sa tolérance à l'égard des personnes LGBT+.

Signe de la répression des minorités sexuelles en Russie, la Cour suprême du pays avait banni pour "extrémisme" fin 2023 le "mouvement international LGBT", une formulation floue ouvrant la porte à de lourdes peines de prison.

Une "tribune" pour la Russie

Samedi soir près de Moscou, chaque artiste, comme la chanteuse qatarie Dana Al Meer, ou la Malgache Denise, chantera dans sa langue maternelle, "à la différence de l'Eurovision où la plupart des chansons sont souvent interprétées en anglais", soulignent les organisateurs.

Le Russe Shaman, figure emblématique des concerts patriotiques organisés par le gouvernement, présentera, lui, une chanson lyrique intitulée "Droit au coeur". Le show sera retransmis en direct ou en différé dans chaque pays participant, selon son fuseau horaire, a précisé Konstantin Ernst, directeur général de la chaîne de télévision publique russe Pervy Kanal, principal organisateur de l'Intervision.

Pour Cyrille Bret, la Russie cherche, depuis son bannissement de l'Eurovision, "des tribunes et des canaux de rayonnement".

"Ressusciter l'Intervision, très populaire en son temps, participe à la réorientation de l'influence russe de l'Ouest vers l'Est, l'Eurasie et le Sud Global", explique-t-il.

Les pays participants représentent "4,334 milliards de personnes, soit plus de la moitié des habitants de planète", s'est ainsi félicité en conférence de presse Sergueï Kirienko, haut responsable de l'administration présidentielle russe, qui préside le conseil de surveillance du concours.

Le gagnant de l'Intervision sera désigné par un jury international, à la différence de l'Eurovision où les voix du jury sont cumulées avec celles des téléspectateurs votant par texto.

S.H. avec AFP