
De Bad Boy Records à la prison de Brooklyn: la chute de l'empire P. Diddy
Le 26 juin 2022, sur la scène des BET Awards - cérémonie qui célèbre les personnalités afro-américaines les plus influentes de l’industrie du divertissement -, P. Diddy s’apprête à recevoir l’une des distinctions les plus prestigieuses de sa carrière: le Lifetime Achievement Award, un prix qui récompense l’ensemble de sa carrière et sa contribution majeure à l'industrie musicale.
Sous les applaudissements d'une salle comble, réunissant toutes les plus grandes célébrités afro-américaines du moment, l’artiste et producteur monte sur scène, euphorique, et entame un discours de remerciements de plus de dix minutes. Il y mentionne Dieu, ses proches, sa mère et ses collaborateurs tels que son mentor Andre Harrell... Mais, dans l’émotion du moment, Diddy adresse également un message inattendu à son ex-compagne, la chanteuse Cassie, dont il est séparé depuis maintenant quatre ans.
"Je dois remercier tout particulièrement les gens qui ont vraiment été là pour moi. (...) Et aussi Cassie, pour m'avoir soutenu dans les moments sombres, Love", déclare-t-il, avant de regarder la caméra et de former la lettre L (pour Love) avec sa main droite.
Cette scène, Cassie la décrit en ouverture de la plainte de 35 pages qu’elle a déposée le 16 novembre 2023 contre P. Diddy. Ce soir-là, en regardant la cérémonie à la télévision, les mots du producteur la mettent profondément mal à l’aise. Car, comme le révèle le document transmis par ses avocats au tribunal fédéral de première instance des États-Unis, "la vérité, c’est que Cassie a été retenue par M. Combs (le vrai nom de P. Diddy, NDLR) et a enduré, pendant plus d’une décennie, son comportement violent et ses exigences démesurées".
"Pour Mme Ventura (le nom de famille de Cassie, NDLR), ces 'moments sombres' sont ceux qu’elle a vécus, piégée par M. Combs dans un cycle d’abus, de violence et de trafic sexuel", poursuit la plainte.
Ce document, qui présente pour la première fois publiquement Diddy comme un prédateur violent, est classé moins de 24 heures plus tard à la suite d’un accord conclu entre Cassie et le producteur, pour une somme estimée à 30 millions de dollars. Mais il fait l’effet d’une bombe dans l’industrie musicale.
En quelques mois, plus d’une centaine de nouvelles accusations visant P. Diddy émergent, poussant le FBI à ouvrir une enquête criminelle en septembre 2024 et à perquisitionner en Californie et en Floride les villas du magnat de la musique, dont la fortune dépassait les 700 millions de dollars de dollars en 2019, selon le magazine Forbes.
Arrêté à New York en septembre 2024 pour trafic à des fins d'exploitation sexuelle et extorsions, P. Diddy, qui a toujours nié les faits, est accusé par la justice américaine d’avoir dirigé une "entreprise criminelle" qui aurait contraint des femmes - dont Cassie - à participer à des escapades sexuelles sur plusieurs jours, qu'il appelait "freak off", et qui impliquaient notamment des prostitués et une consommation abondante de drogues.
Désormais détenu au centre pénitentiaire de Brooklyn, P. Diddy doit comparaître devant un tribunal fédéral à New York à partir de ce lundi 5 mai 2025. S’il est reconnu coupable, le rappeur et producteur risque la prison à vie. Une chute vertigineuse pour celui qui fut l’un des magnats les plus puissants de l’industrie musicale américaine, à la tête d’un empire que l’on pensait jusqu’alors intouchable.
Une vision pour la culture hip-hop
Mais avant P. Diddy, il y avait Sean John Combs. Né le 4 novembre 1969 à Harlem, Sean grandit dans un environnement marqué par la pauvreté et la violence. Son père, Melvin Combs, ancien militaire devenu trafiquant de drogue, est assassiné alors que Sean n’a que deux ans. C’est sa mère, Janice Combs, ancienne mannequin, qui l’élèvera seule avec sa sœur. Très vite, elle quitte Harlem avec ses enfants pour Mount Vernon, dans la banlieue nord de New York, espérant leur offrir une vie plus stable.

Enfant, Sean aimait déjà attirer l’attention. Bon élève, extraverti, sociable, "ça a toujours été un peu la star de l’école", résume Elena Oliveri, journaliste rap et productrice du podcast Remember The Time. "Il avait une aura, il était super à l'aise en société, c'était le mec qui avait plein de potes", poursuit la spécialiste.
Loin de l’image de gangster qu’il cultivera plus tard, Sean Combs est d’abord un enfant de la classe moyenne noire new-yorkaise, bien élevé et ambitieux. Cette obsession le pousse à intégrer la Howard University, prestigieuse université historiquement noire à Washington, où il étudie le business.
Mais très vite, les cours lui paraissent secondaires. En parallèle, celui qui se fait alors appeler Puff Daddy fait ses armes dans l’industrie musicale et événementielle, en organisant ses premières soirées grandioses, premices de ses futures White Parties.
"C’est quelqu’un qui aime être au centre de l’attention. Et derrière le fait de faire la fête, il y a surtout l’idée de 'je veux me mettre en avant'. Ça va renforcer son côté un peu égocentrique et le conforter dans l’idée qu’il est destiné à une vie différente des autres", indique Elena Oliveri.
Le 28 décembre 1991, l’une de ces soirées va pourtant tourner au drame. Alors que P. Diddy a organisé avec le rappeur Heavy D un match de basket-ball suivi d’un concert caritatif au gymnase du City College de New York, l’événement attire beaucoup plus de public que le lieu ne peut en accueillir. Résultat, près de 3.000 personnes essayent de forcer l’entrée de la salle, provoquant un mouvement de foule massif qui fera neuf morts et 29 blessés. Un procès est intenté contre les organisateurs, dont Diddy, mais il est classé au civil, sans condamnation pénale.
Vivement critiqué pour la gestion de cet événement, Puff Daddy va toutefois persévérer dans le milieu de la musique. Grâce à son ami Heavy D, le futur producteur va rencontrer Andre Harrell, fondateur du label Uptown Records, qui va le prendre en stage.
"À l'époque, Uptown Records c’est un gros label, ils ont les artistes Heavy D, Al B. Sure!, ou encore le groupe Guy. C'est vraiment les CD que tout le monde s'arrache à New York", note Elena Oliveri.
Au sein d’Uptown Records, Diddy s’impose rapidement: d’abord assistant, il devient en quelques mois directeur artistique junior et signe notamment des artistes tels que Mary J. Blige ou Jodeci. "Ce qui fera la différence, c’est sa vision", assure Elena Oliveri.
"Il va essayer de faire un pont entre les meilleurs genres musicaux de l'époque, le hip hop et le RnB, et d’avoir une vraie recherche artistique en mettant par exemple des voix féminines sur des refrains ou en travaillant avec des beatmakers", ajoute la journaliste.
"Là où les labels de l’époque étaient plutôt sur de la musique avec un ADN très rue, très sombre, Diddy, lui, va proposer de la musique beaucoup plus festive, en samplant par exemple des morceaux de RnB des années 1960", abonde Chris Kapongo, journaliste spécialisé hip-hop et fondateur du média Hyconiq.
Un magnat au sommet de l’industrie
Mais en 1993, après un désaccord avec André Harrell, qui, selon les dires, serait lié à une ambition jugée trop excessive de la part de Puff Daddy, ce dernier est licencié. Ce départ sera un déclic pour le producteur. "Je voulais créer quelque chose qui reflétait ma vision de la musique et de la culture", expliquera-t-il en 2016 au micro de la radio The Breakfast Club Power.
Diddy fonde alors, avec l’aide du producteur de musique Clive Davis, Bad Boy Records: son propre label indépendant qu’il conçoit comme un véritable "mouvement culturel", décrivait-il à l'époque dans le documentaire d’Apple Can't Stop Won't Stop: A Bad Boy Story.
Puff Daddy embarque avec lui plusieurs recrues repérées avant son départ d’Uptown Records, à l’instar du rappeur américain Craig Mack ou de la jeune star montante de Brooklyn The Notorious B.I.G, et développe une identité forte: des productions léchées, un univers clinquant, et une mise en avant constante de sa propre image.
"Diddy c’est l’un des producteurs/rappeurs à avoir le mieux compris la notion de branding et de positionnement", affirme Chris d’Hyconiq. "Il va être visionnaire dans sa manière de promouvoir ses artistes. C’est lui qui va par exemple inventer le principe de remixer un morceau en y invitant un autre artiste en featuring dessus".
"Soit il faisait collaborer des artistes de son label entre eux, soit il s’invitait lui-même sur le morceau et sortait ensuite le titre, qu’il accompagnait d’un nouveau clip dans lequel il faisait une apparition", poursuit Chris.
Grâce à ces premiers succès, Bad Boy Records devient rapidement un pilier de la scène hip-hop et RnB des années 1990, propulsant les carrières de Faith Evans, Mase, 112, Shyne ou encore Boyz N Da Hood. Le label s'impose comme une machine à hits et un empire en pleine expansion, nourri par l’ambition débordante de Diddy.
Mais à mesure que Bad Boy prend de l’ampleur, une rivalité s’installe avec d’autres poids lourds de l’industrie, notamment avec Death Row, le label californien mené d’une main de fer par le producteur Suge Knight et porté par des artistes tels que Tupac, Dr. Dre ou Snoop Dogg.
Tandis que Bad Boy incarne l’esthétique clinquante et sophistiquée de la côte Est, Death Row représente la rue et l'ésthétique gang de la côte Ouest. Ce duel va peu à peu dépasser la sphère musicale et représenter une opposition plus large entre deux visions du rap et deux territoires: l’ambition new-yorkaise face à la rivalité californienne.
La mort de Biggie, un tournant décisif dans son ascension
Le 9 mars 1997, The Notorious B.I.G. est assassiné à Los Angeles à la sortie d’une soirée organisée par le magazine Vibe. Si sa mort à l’âge de 24 ans reste toujours non résolue à ce jour, elle survient six mois après celle du rappeur Tupac Shakur, tué dans des circonstances similaires à Las Vegas, et illustre pour beaucoup l’apogée de la guerre entre la scène rap de la côte Est et de la côte Ouest.
Avec la mort de Biggie, c’est aussi une part de l’empire que Puff Daddy s’était construit qui s’écroule. Mais, jusqu’alors producteur de l’ombre, Diddy va pour la première fois se placer au centre de la scène et sortir quelques mois plus tard le morceau I’ll be Missing You, un hommage poignant à son ami en duo avec Faith Evans, veuve de Biggie.
Véritable tube, cette chanson le propulse sur le devant de la scène et lui donne l’envie de se lancer en solo, même si certains y voit une forme d’opportunisme. "Quand tu connais le personnage de Diddy, c'est horrible, mais tu peux pas t’empêcher de penser que Biggie a sûrement été un dommage collatéral pour que lui puisse arriver au sommet", indique Elena Oliveri.
"Il y a un peu cette impression que dans la course au succès de Diddy, il y a des gens qui doivent mourir et peut être que Biggie en faisait partie", poursuit la spécialiste.
Le succès d’I’ll be Missing You marque ainsi le début de la carrière solo de Puff Daddy qui dévoile un album No Way Out en 1997 et capitalise sur sa popularité pour élargir son empire bad Boy Records. Son objectif: être partout.
Fêtes légendaires et dérapages judiciaires
La popularité de P. Diddy et son goût pour les projecteurs et l’excès vont notamment s’illustrer à travers ses légendaires White Parties. Dès la fin des années 1990, le producteur et artiste - que certains vont même aller jusqu'à comparer au personnage Jay Gatsby de F. Scott Fitzgerald - va organiser des impressionnantes fêtes annuelles dans des somptueuses villas à travers le monde où tout le gratin du hip-hop et d’Hollywood est convié, à condition d’être vêtu de blanc.

Certaines de ces soirées seront même organisées en France, à Saint-Tropez, en présence de nombreuses personnalités de renom telles que Jay-Z et Beyoncé ou encore Donald Trump.

Mais peu à peu, la success story de Puff Daddy commence à s’éroder, fragilisée par une série de dérapages judiciaires. En 1999, il est notamment accusé d’avoir agressé Steve Stoute, dirigeant du label Interscope Records et manager du rappeur Nas.
En cause: la diffusion du clip de la chanson Hate Me Now sans l'accord de P. Diddy, dans lequel ce dernier apparaissait crucifié. Furieux, Diddy aurait fait irruption dans les bureaux de Steve Stoute pour le frapper avec une bouteille de champagne. Inculpé pour agression au second degré, il sera contraint de suivre un programme d'une journée pour apprendre à gérer de sa colère.
Quelques mois plus tard, P. Diddy se retrouve cette fois mêlé à une fusillade qui éclate dans une boîte de nuit de Manhattan, alors qu’il est accompagné de Jennifer Lopez, sa compagne de l’époque, et du rappeur Shyne. Après une altercation entre leur groupe et un autre client du club, trois personnes sont blessées par balle. La scène provoque un vent de panique, et Diddy est arrêté quelques heures plus tard, retrouvé avec une arme à feu dissimulée dans sa voiture.

Ce procès, très médiatisé, manque de faire dérailler la carrière de P. Diddy. Mais ce dernier sera finalement acquitté en 2001, contrairement à Shyne, qui sera quant à lui reconnu coupable de tentative de meurtre et condamné à dix ans de prison.
Au début des années 2000, Diddy opère alors un rebranding stratégique pour redorer son image publique. Peu après la fin du procès, Puff Daddy change son nom pour devenir P. Diddy, une évolution qui marque sa volonté de tourner la page sur les polémiques.
Diddy va également investir dans de nombreux domaines tels que l’alcool avec la marque Ciroc, la mode avec la marque Sean John, mais aussi à la télévision avec l’émission de téléréalité Making the Band, ainsi que dans l’immobilier.

"Tu l'entends à la radio, il passe à la télé, tu vas dans un magasin, t'achètes de l'alcool et en fait c'est lui qui est derrière la marque. C'est vraiment en adéquation avec sa recherche du pouvoir et d'aller toujours plus loin", assure Elena Oliveri.
"Comme Jay-Z ou Dr. Dre, il incarne le rêve du self-made-man noir américain et va devenir un véritable modèle pour les jeunes darkskin à l’époque", ajoute Chris Kapongo.
"À l'époque, c'est un symbole de réussite. Il représente les gens qui sont partis de rien et qui ont connu une vraie success story, mais bon, à quel prix?", poursuit Elena Oliveri.
Cassie et Diddy: une histoire d’influence, de manipulation et de violences
C’est dans ce contexte, qu'au milieu des années 2000 P. Diddy croise le chemin de Cassie Ventura, une jeune chanteuse et mannequin en pleine ascension qu'il signera sur son label Bad Boy Records et qui deviendra plus tard sa compagne.
"Mais Cassie, c'est un vol", rappelle Elena Oliveri. "À la base, c’est pas du tout l’artiste de Diddy. Il l'a volée à Ryan Leslie".
À l'époque âgée de 19 ans, Cassie est en effet repérée par le producteur et proche collaborateur de Diddy, Ryan Leslie. Séduit par le potentiel artistique et l’aura de la jeune femme, ce dernier - qui devient entre temps son compagnon - lui fait enregistrer un premier single Me & U. La chanson tape dans l’œil de Diddy, qui l’entend un soir en boîte de nuit. Il propose alors un accord à Ryan Leslie pour co-signer Cassie sur Bad Boy Records et co-produire son premier album Cassie, porté par le succès du morceau Long Way 2 Go.
"Au début, la relation entre Cassie et Diddy est professionnelle mais peu à peu, il va tenter d'évincer progressivement Ryan Leslie pour s'occuper pleinement de la jeune femme", précise Elena Oliveri.
Dans sa plainte déposée en novembre 2023, Cassie affirme que P. Diddy, à l'époque âgé de 37 ans, va s'impliquer de plus en plus dans sa vie personnelle en contrôlant ses moindres faits et gestes et en lui faisant des avances insistantes, alors qu'elle est encore en couple avec Ryan Leslie.
Cassie raconte ainsi qu'en 2007, Diddy serait même allé jusqu'à payer un promoteur pour organiser une fausse soirée en son honneur à Miami dans le but d'éloigner la chanteuse de son petit ami pour pouvoir la séduire. "Au cours de ce voyage à Miami, M. Combs a fourni à Mme Ventura d'importantes quantités de drogue. (...) et a eu des relations sexuelles avec Mme Ventura", peut-on lire dans la plainte.
"Au départ, Diddy va vraiment se positionner comme un grand frère qui va venir la sauver et la prendre sous son aile. Mais cette forme d’emprise va se refermer peu à peu sur Cassie. Elle va rapidement se retrouver piégée et mettre fin à sa relation avec Ryan Leslie pour s’engager avec Diddy", indique Elena Oliveri.

Cassie et Diddy officialisent ainsi leur relation en 2007. Mais derrière les apparitions publiques glamour du couple sur les tapis rouges, dans des clips ou lors de voyages luxueux, la jeune femme révèle dans sa plainte l'existence en coulisses d'une relation toxique, ponctuée par des violences psychologiques, sexuelles et physiques, une consommation forcée de drogues ainsi qu'un contrôle de tous les aspects de sa vie par P. Diddy.
Parmi les accusations les plus troublantes, Cassie affirme dans sa plainte que P. Diddy l’aurait forcée à participer, sous l'emprise de drogue et d'alcool, à des "freak off": des orgies sur plusieurs jours, organisées et filmées par le rappeur dans des hôtels de luxe, en compagnie d'autres hommes, souvent des proxénètes.
Avant et pendant ces 'freak off', "M. Combs a toujours fourni à Mme Ventura (et aux prostitués) de grandes quantités de drogues (...) de l'ecstasy, de la cocaïne, du GHB, de la kétamine, de la marijuana et de l'alcool, ce qui lui a permis de se dissocier de ces spectacles d’horreur", peut-on lire dans la plainte de Cassie.
Lors de ces "freak off", "M. Combs utilisait son téléphone, son ordinateur portable et sa tablette pour filmer Mme Ventura en train d'avoir des rapports sexuels avec des prostituées", poursuit la plainte. Cassie raconte qu'elle aurait tenté à plusieurs reprises de supprimer ces contenus, mais que Diddy arrivait à les récupérer malgré tout.
"Mme Ventura a été dégoutée par les exigences de M. Combs, mais entre les violences physiques et son pouvoir et son tempérament, Mme Ventura est devenue pétrifiée par son partenaire et patron, et a eu l'impression qu'elle ne pouvait pas dire non", ajoutent les avocats de Cassie dans sa plainte.
Plus d'une centaine d'autres victimes
Lorsque Cassie porte plainte contre Diddy en 2023, en s’appuyant sur le Survivors Act - une loi temporaire de l’État de New York permettant aux victimes d’agressions sexuelles de poursuivre leurs agresseurs même si les faits sont anciens - ses révélations font l’effet d’un séisme dans l’industrie musicale.
Mais quelques jours plus tard, un accord à l’amiable, estimé à près de 30 millions de dollars, est finalement conclu entre Cassie et P. Diddy. Si ce règlement met fin aux poursuites judiciaires, le témoignage de la chanteuse, qui a depuis quitté Diddy en 2018 et refait sa vie, va toutefois ouvrir une véritable boîte de Pandore.
En moins d’une semaine, deux autres femmes sortent de l’ombre pour accuser le producteur de viols dans les années 1990. En février 2024, c’est un de ses anciens collaborateurs, Rodney 'Lil Rod' Jones, qui l’accuse à son tour de l’avoir drogué, harcelé et agressé sexuellement.
Dans les mois qui suivent plus d'une centaine de plaintes de victimes - souvent anonymisées et pour la plupart représentées par l'avocat Tony Buzbee - vont émerger à l'encontre de P. Diddy, où seront également citées d'autres stars de l'industrie telles que Jay-Z, Leonardo Di Caprio ou le prince Harry. Ces témoignages vont révéler au grand jour le système tentaculaire de violence, de manipulation et de contrôle mis en place par Diddy et maintenu pendant des décennies sous silence.
Interrogée dans le documentaire HBO La chute de P. Diddy, l'une de ces femmes, Thalia Graves, raconte ainsi avoir été droguée, violée et filmée à son insu par P. Diddy en 2001 alors qu'elle pensait avoir un rendez-vous avec le producteur pour parler de la carrière de son petit-ami de l'époque, un employé chez Bad Boy Records.
"J’avais les mains attachées dans le dos. (...) Puffy s’est placé derrière moi et il m’a sodomisée. C’était si violent que j’ai vomi sur la table de billard. J’ai hurlé, je ne sais même pas si j’ai réussi à émettre le moindre son quand je criais", confie-t-elle.
Thalia Graves apprend par la suite que son agression a été filmée. P. Diddy rentre alors à nouveau en contact avec elle pour lui demander de garder le silence. "J’essayais de gérer mon viol et mon agression, d’élever mon enfant en étant déprimée et chaque jour était une bataille pour ma survie", ajoute-t-elle en larmes, révélant avoir songé plusieurs fois à se suicider depuis cette agression.

En mai 2024, l’affaire prend également un nouveau tournant lorsque le média américain CNN dévoile une vidéo choc. Dans celle-ci, datée de 2016 et issue des caméras de surveillance d'un hôtel, on voit Diddy frapper violemment son ex-compagne Cassie et l'attraper de force par le bras alors qu'elle tente de fuir. Des images qui confirment de manière glaçante certains des faits évoqués par la chanteuse dans sa plainte.
Que risque P. Diddy?
Face à la gravité des accusations et à l’accumulation des témoignages, l’étau se resserre peu à peu autour de P. Diddy. En 2024, le FBI ouvre alors une enquête fédérale. L’agence s’intéresse non seulement aux faits présumés d’agressions sexuelles, mais aussi à d’éventuels trafics de drogue, d’êtres humains et à l’existence d’un réseau organisé autour de Diddy.
Le 25 mars 2024, les autorités fédérales mènent d'impressionnantes perquisitions simultanées dans deux de ses résidences, à Los Angeles et à Miami. Les enquêteurs saisissent de nombreux éléments électroniques - ordinateurs, téléphones, disques durs - ainsi que des documents et objets susceptibles d'étayer les accusations portées contre lui, lors de son procès.

Alors que les avocats de P. Diddy dénoncent une "chasse aux sorcières" orchestrée selon eux dans le but de "salir l’image d’un homme noir puissant", le rappeur et producteur sera finalement arrêté le 16 septembre 2024 à New York. Depuis, Diddy est incarcéré au Metropolitan Detention Center de Brooklyn, malgré ses multiples demandes de libération sous caution, refusées par la justice, redoutant qu’il n’interfère avec l’enquête ou n’exerce des pressions sur les témoins et les victimes.
Trente ans après avoir régné sur l’industrie musicale, P. Diddy comparaîtra donc ce lundi 5 mai devant la justice fédérale. Une date symbolique puisqu'à la même période deux ans plus tôt, le producteur et rappeur défilait encore sur les marches du Met Gala.
Mais cette année, tandis que le gratin de la mode se pressera à quelques pas du tribunal fédéral de Manhattan, l’ex-magnat du hip-hop prendra quant à lui place sur le banc des accusés pour répondre à des accusations qui pourraient lui valoir la prison à vie. Un procès à la portée historique qui pourrait bien marquer un tournant l'industrie du hip-hop trop longtemps restée silencieuse.