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Cinéma

"Un autre monde": Vincent Lindon dans un film sur le capitalisme qui broie aussi ses cadres

Après "La Loi du marché" et "En guerre", l'acteur retrouve Stéphane Brizé pour un film sur les maux de la France contemporaine et les excès du libéralisme. Une œuvre forte qui rencontre le succès.

Il n'y a pas que Tom Holland, héros de Spider-Man: No Way Home et d'Uncharted, qui attire les foules dans les salles obscures. Avec 195.408 entrées pour sa première semaine d’exploitation, Un autre monde, le nouveau film de Stéphane Brizé sorti le 16 février dernier, réalise le meilleur démarrage de l’année pour un film d’art et essai.

Ce nouveau film, qui souligne la brutalité économique du monde du travail, est le troisième volet d'une trilogie signée Stéphane Brizé sur les maux de la France contemporaine et les excès du libéralisme après La Loi du marché (2015) et En guerre (2018).

Le réalisateur dirige une nouvelle fois Vincent Lindon, ici dans la peau de Philippe Lemesle, dirigeant d'une usine d'électroménager sommé par sa direction de préparer un plan social impossible à mettre œuvre.

Tiraillé entre sa hiérarchie qui exige des résultats et son personnel qui demande sa protection, Philippe, lui aussi menacé de passer à la trappe, se retrouve face à un abysse de solitude et voit sa vie de famille se déliter sous ses yeux.

Récit implacable

Avec Un autre monde, Stéphane Brizé entend dénoncer des mécanismes "assez terribles", qui induisent le plus souvent "une idée de peur" chez les salariés, qui les "fragilisent" et "génèrent une anxiété constante", explique-t-il à BFMTV. "Le film parle de la porosité entre l’espace professionnel et l’espace personnel."

Un autre monde plonge le public dans "une entreprise où les décisions de réduction de coûts, qui passent en partie par une réduction du nombre de salariés, ne sont pas liées à un manque de performance de l’entreprise, mais à des décisions boursières", déplore le réalisateur. "Ce sont de décisions prises sur l'autel de la profitabilité."

Au cours de ce récit implacable, le personnage incarné par Vincent Lindon croit pouvoir sauver son entreprise, avant de voir ses illusions déçues par un système qui broie ceux qui se tentent de s'y opposer. Brizé traduit cette impression d’enfermement à l'écran:

"Toutes les scènes de discussion sont tournées à trois caméras, avec trois axes différents, braquées sur Vincent, pour traduire l'idée qu’il est cerné, qu’il n'y a pas d’échappatoire."

Batailler contre la perte de sens

Un autre monde offre un contre-champ à En guerre, qui mettait déjà en scène un plan social, mais du point de vue des salariés. Un autre monde suit exclusivement le parcours du dirigeant d'entreprise, l'humanisant au passage:

"Ce personnage était le méchant dans En guerre, parce que je le filmais juste au moment où on le voyait porter l’injonction. Un autre monde existe parce que je me suis autorisé à me demander si ce personnage était si à l’aise que ça avec l'injonction qu’il porte."

Et le réalisateur d'ajouter: "On pense qu’il va être le méchant de l’histoire. On va de l’autre côté du miroir et on commence à comprendre les forces antagonistes auxquelles il est soumis. Il va finir par comprendre que ce qu’on lui demande ne fait plus sens. Il bataille avec la perte de sens."

"On va fabriquer naturellement une forme d'empathie pour le personnage de Vincent Lindon qui se rend compte que ce qu’on lui demande de faire impacte anormalement les salariés et les qualités de travail", analyse encore le cinéaste. "On a envie que ce mec trouve une solution qui, comme il dit, 'aura peut-être un coût, mais n’aura pas de prix' pour sortir d’une situation quasi-mortifère."

Le public a moins d’empathie pour le personnage incarné par Marie Drucker, qui porte face à celui de Vincent Lindon la décision de l’entreprise avec une froideur et une assurance absolues.

Pour autant, Stéphane Brizé ne porte aucun jugement sur ce personnage dont le système a besoin. "Je ne peux pas avoir un avis définitif sur cette femme, parce que je ne la connais qu’à ce moment-là." Il n'a pas prévu de quatrième volet pour suivre ce personnage: "Il ne s’agit pas de décliner [la formule] à l’infini."

https://twitter.com/J_Lachasse Jérôme Lachasse Journaliste BFMTV