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Cinéma

Inquiétant et réaliste: comment l'équipe de "Chien 51" a créé un Paris d'anticipation crédible

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"Chien 51" est l'un des projets les plus ambitieux du cinéma français cette année. Entre rigueur architecturale et refus du tout numérique, récit d'une prouesse technique au service d'une vision cohérente.

Deux mondes se font face, séparés par le périph'. D'un côté, un empilement de gratte-ciels froids et modernes, bleutés et vitrés. De l'autre, une saturation d'immeubles jaune sodium, à quelques endroits délabrés. Une image contrastée qui résume, à elle seule l'exploit visuel de Chien 51, le nouveau long-métrage de Cédric Jimenez adapté du roman de Laurent Gaudé paru en 2022.

Présenté hors compétition à la Mostra de Venise en septembre 2025 et sorti en salles ce 15 octobre, ce thriller d'anticipation porté par Gilles Lellouche, Adèle Exarchopoulos, Louis Garrel et Romain Duris imagine une capitale française divisée en trois zones sociales et surveillée par une intelligence artificielle omnisciente nommée ALMA.

Avec un budget chiffré à 42 millions d'euros, les attentes sont (forcément) immenses. La force de ce long-métrage d'anticipation réside dans ses accents réalistes. Une réussite en grande partie liée au travail mené par les équipes de décoration et d'effets visuels. "L'ambition de Cédric Jimenez n'était pas de faire un film futuriste, mais de parler d'un présent augmenté, résume Jean-Philippe Moreaux, chef décorateur de Chien 51 qui a également travaillé sur L'Amour ouf ou BAC Nord. Comme Paris est une ville-musée, très identifiable par son architecture haussmannienne, l'écueil aurait été de tomber dans une science-fiction qui déconnecte les gens du réel."

"Il fallait que ce soit très lisible visuellement, qu'il y ait l'idée d'une ville qui se construit face à une autre qui est en train de disparaître - c'est aussi ainsi qu'on représente la puissance socialement, quand les gens disparaissent, ils sont déshumanisés puis oubliés, ils n'existent plus", décrypte Jean-Philippe Moreaux.

"Nous vivons déjà dans une époque d'anticipation"

Contrairement à un film d'époque, Chien 51 n'a pas pu se fonder sur des réalités historiques pour sa narration visuelle. Il n'était pas non plus question de tourner sur des fonds verts - une méthode que Cédric Jimenez récuse dans tous ses films, privilégiant le réel. Ainsi, les prises de vues ont été réalisées entre Paris et La Défense pour les secteurs aisés, et en Provence-Alpes-Côte d'Azur pour le secteur déclassé.

Image extraite du film "Chien 51" de Cédric Jimenez
Image extraite du film "Chien 51" de Cédric Jimenez © Capture d'écran - Youtube

"Très vite, le constat, c'était de dire que nous vivions déjà dans une époque d'anticipation, et de prendre ce qui existe actuellement pour tenter de coller au scénario", note Jean-Philippe Moreaux. Ainsi, pour la zone 3, regroupant les personnes les plus pauvres, l'équipe s'est, entre autres, insipiré de Makoko, un bidonville flottant situé dans la lagune de Lagos au Nigeria.

Marseille était alors le support idéal pour ces séquences. "C'est une ville en totale déconstruction-reconstruction avec des bâtiments en partie tagués, voire détruits et, juste à côté, des immeubles très modernes, en train d'être construits, indique le chef décorateur. La lumière douce du Sud accentue aussi l'idée d'un futur proche, soumis au changement climatique."

C'est principalement dans ce décor que le policier déclassé Zem (Gilles Lellouche) déambule le long de ces bâtiments de fortune, collés les uns aux autres. Visuellement, un sentiment d'entassement de population se dégage, renforcé en post-production par des effets spéciaux. "Le parti-pris, c'était de penser à des immeubles qui sont construits au-dessus de bâtiments déjà existants, avec des matériaux différents, et des ambitions plus écologiques - ce qui se fait en réalité déjà aujourd'hui", explique Cédric Fayolle, superviseur des effets visuels sur Chien 51.

Drones omniprésents

Le film a nécessité huit mois de post-production, avec plus de 500 plans modifiés avec des effets spéciaux - ce qui représente 47 minutes sur un film de 1 heure 45 minutes. Une grande partie de ces effets spéciaux concernent la représentation de l'intelligence artificielle ALMA, en particulier lorsque celle-ci reconstitue des scènes de crime pour les enquêtes policières. "Il ne fallait pas que ces interfaces fassent trop 'gadget', souligne le superviseur VFX. Alors, nous sommes partis d'un système comme cerveau où chaque neurone serait une data avec une représentation plus numérique que photoréaliste. Car même si l'IA est capable de générer des images désormais, cela ne fonctionnait pas dans nos essais."

Parmi les défis techniques majeurs, les drones, omniprésents dans l'univers du film. Ces derniers, circulant dans chaque zone, ont été créés de manière numérique. Car "les modèles physiques que nous avions armés de manière factice étaient déséquilibrés sur le tournage". Une maniabilité nécessaire, en particulier pour l'une des scènes les plus marquantes - une course-poursuite impliquant Salia (Adèle Exarchopoulos) et un drone.

Image extraite de "Chien 51" de Cédric Jimenez.
Image extraite de "Chien 51" de Cédric Jimenez. © Capture d'écran - Youtube

En ressort, un film inquiétant et saisissant de réalisme. Si réaliste qu'il en a même troublé les automobilistes parisiens, le temps du tournage. "Pour les checkpoints, séparant les différentes zones dans le récit, il fallait une typologie visuelle liée à la surveillance, l'identification, la sécurisation des lieux, explique le chef décorateur. Alors que nous étions en train d'en installer un, au niveau de la Porte Pouchet, les gens s'arrêtaient naturellement, comme s'il s'agissait d'un vrai péage. À ce moment-là, nous avons su que nous étions sur la bonne voie !"

Sophie Hienard