Gore, féministe, drôle, pourquoi le film "The Substance" est un événement

Une scène du film "The Substance" de Coralie Fargeat - Metropolitan Filmexport
Prix du scénario à Cannes, le film d'horreur féministe The Substance de la Française Coralie Fargeat est l'événement de la semaine. Le film qui arrive en salle en France ce mercredi est déjà culte aux États-Unis, où il est sorti en septembre dernier. Un succès qui pourrait le conduire aux Oscars.
The Substance est une "expérience de cinéma complètement immersive" et "un rollercoaster qui nous fait passer par plein d'émotions d'horreur, de rire", selon la réalisatrice, invitée le week-end dernier sur le plateau de C l'hebdo. La recette fait aussi mouche sur les réseaux sociaux, où certaines scènes sont déjà devenues des mèmes.
Satire de l'industrie hollywoodienne et relecture du Portrait de Dorian Gray, The Substance met en scène Elisabeth Sparkle (Demi Moore), une ancienne gloire du fitness victime du jeunisme ambiant. Lorsqu'elle est renvoyée par son employeur, elle se laisse tenter par une substance qui permet à la personne qui se l'injecte de produire une "meilleure version d'elle-même, plus jeune, plus belle, plus parfaite".
Déformations physiques
Ainsi "naît" son avatar Sue (Margaret Qualley), qui va marcher dans ses pas face à un producteur grossier incarnant le patriarcat (Dennis Quaid). Seule condition pour ne pas se mettre mutuellement en danger, toutes deux doivent partager leur temps dans le monde extérieur de manière égale. Or Sue en veut toujours plus, enclenchant une spirale infernale.
Avec The Substance, Coralie Fargeat entend dénoncer les injonctions faites aux femmes sur leur corps. "Ça a un impact massif dans la vie des femmes et conditionne énormément de choses dans la société. Notre corps nous définit, génère des inégalités et de la violence, de notre propre part aussi", avait-elle développé lors d'une interview accordée à Cannes à l'AFP.
"On est amené de manière quasi obligatoire à détester (notre corps) d'une manière ou d'une autre et on peut devenir notre premier instrument de torture", avait-elle encore poursuivi. Elle illustre son propos dans The Substance "de manière hyperbolique" à coup d'aiguilles et de sang, "symboles de la violence de ce qu'on doit endurer en tant que femme".
Les nombreuses déformations physiques subies par les comédiennes, grâce aux effets spéciaux imaginés par le Français Pierre Olivier Persin, symbolisent aussi cette violence. "Dès l'écriture du film, ça a été un choix de faire des effets spéciaux réels", a expliqué Coralie Fargeat sur le plateau de C l'hebdo. "C'est un film sur le corps des femmes, je savais qu'il fallait que je puisse filmer pour de vrai la chair, la toucher."
Saut dans l'inconnu
Une autre séquence, où le personnage de Demi Moore se prépare pour se rendre à un rendez-vous galant, et ne parvient pas à trouver la bonne tenue, avant de décider de rester chez elle, illustre aussi ce propos. Depuis sa sortie, la scène a fait l'objet de nombreux détournements. La scène où le personnage retire rageusement son rouge à lèvres et son maquillage, l'étalant sur son visage, a marqué les esprits du public américain.
L'interprétation de Demi Moore, qui n'avait pas trouvé de rôle marquant depuis Margin Call en 2011, ainsi que celle de Margaret Qualley, permet aussi à The Substance de toucher un public réticent à l'horreur. "Elles ont été assez incroyables, elles ont pris vachement de risques", avait estimé la réalisatrice à Cannes. "On sent que le film est incarné, il y a quelque chose qui s'est passé entre elles."
Quant à Demi Moore, "ce que je trouve génial, c'est qu'elle n'a pas eu peur ni de se dévoiler, ni du ridicule. C'était un saut dans l'inconnu et elle y est allée, elle n'a rien lâché". "C'était le meilleur des défis", avait renchéri l'actrice américaine en conférence de presse à Cannes. "Je cherche toujours des matériaux qui me poussent hors de ma zone de confort."
"Expérience très brutale"
Avec ses explosions gore tantôt écoeurantes tantôt comiques, The Substance ne ressemble effectivement à aucun autre film. Pour imposer sa vision, Coralie Fargeat a affronté le studio américain Universal, qui a revendu le film à la plateforme de streaming anglaise Mubi. "J'ai travaillé cinq ans sur ce film, j'ai dû mener beaucoup de batailles pour le faire tel que je le voulais", disait-elle au Point à Cannes.
"Quand on est très exigeant, il faut se battre pour imposer sa vision. Tout ne marche pas comme on veut, il ne faut rien lâcher", avait ajouté la cinéaste, qui a terminé son film trois jours avant son avant-première à Cannes. "Quant à Demi, oui, j'ai dû la pousser dans ses derniers retranchements, mais elle a toujours été bienveillante, même quand on s'engueulait, parce qu'elle comprenait que c'était pour le rôle."
Pour la comédienne, "cette expérience très brute, qui me demandait d'être vulnérable et de m'exposer physiquement et émotionnellement, m'a permis de mieux m'accepter comme je suis", avait-elle confié lors d'une conférence de presse à Cannes. Pour la star des années 1990, "c'est le début d'un troisième acte dans la carrière de Demi, c'est inspirant", résumait à la même conférence de presse sa co-star Dennis Quaid.
Pour de nombreux critiques américains, Demi Moore pourrait s'inviter dans la course aux Oscars. "Aux États-Unis, on sent (...) qu'il y a un vrai amour pour ce que (le film) raconte, pour l'expérience, pour le jusqu'au boutisme et pour le lâcher-prise du film", s'était réjouie Coralie Fargeat sur le plateau de C l'hebdo. "On espère que le film va aller encore plus loin. Évidemment on rêve des Oscars, ce serait magnifique!"