"Connemara", "Partir un jour"… Comment Bastien Bouillon a conquis le cinéma français

Bastien Bouillon sur le tapis rouge du film "À Pied d'Œuvre" lors de la 82e Mostra de Venise, le 29 août 2025. - Photo par LAURENT HOU / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP
Cette année, Bastien Bouillon se plaît à jouer le type resté au bercail, un peu fauché, un peu perdu, qui tombe amoureux sur une patinoire de sa vieille amie du lycée qui, elle, revient dans sa province natale après s'être épuisée à franchir les strates de la société. Dans Partir un jour d'Amélie Bonnin, film d'ouverture à Cannes sorti le 13 mai, il joue le garagiste Raphaël aux côtés de Juliette Armanet, et dans Connemera d'Alex Lutz, sorti ce 10 septembre, il est Christophe, le bel hockeyeur qui séduit Mélanie Thierry.
Une coïncidence? "On m’a dit qu’il fallait savoir accepter les cycles. Peut-être que j’étais dans le cycle de 'celui qui reste'", analyse l'intéressé dans Elle. Mais l'acteur de 40 ans y voit quand même quelques différences: "On a d’un côté un film très pop, joyeusement nostalgique, avec ses chansons populaires, et de l’autre un film très fouillé, très mental, avec une caméra au poing qui filme au plus près."
À part ça, Bastien Bouillon a aussi joué cet été un "toxic boy" dans le premier long métrage de Nathalie Najem, Aux jours qui viennent, sorti le 23 juillet, avec Zita Hanrot. Et il retrouvera Sébastien Betbeder dans L'Incroyable femme des neiges, avec Blanche Gardin et Philippe Katerine, en salles le 12 novembre prochain. Là encore, il incarne le frère, resté au village, qui voit sa sœur revenir dans sa province après s'être fait licencier et quitter.
Avec quatre longs-métrages à son actif cette année, dont deux très attendus, dans lesquels il tient à chaque fois les premiers rôles, Bastien Bouillon, physique de gendre idéal au regard sombre, sinon triste, crâne rasé ou mèche blonde, s'affirme comme l'un des acteurs français les plus en vue de sa génération. De là à rejoindre le clan très fermé des Pierre Niney, François Civil, Pio Marmaï, Raphaël Quenard et consorts? Possible.
"Les planètes s'accordent"
Déjà, l'an passé, il avait marqué les esprits en jouant le rival d'Edmond Dantès dans Le Comte de Monte-Cristo, glanant au passage une nomination au César du meilleur acteur dans un second rôle, et le musicien Pierre Roche, mentor de Charles, dans Monsieur Aznavour. Soit deux blockbusters à la française qui ont cumulé 11,5 millions d'entrées à eux deux. Le comédien était aussi à l'affiche il y a quelques mois d'un film plus confidentiel, Un homme en fuite, avec Léa Drucker (37.000 entrées).
"Il semble que les planètes s’accordent", reconnaît-il sans emphase dans Elle. Et d'ajouter: "Pendant longtemps, je suis resté bien loin au box-office, genre dernier de la liste, même si j’avais déjà dû faire entre quarante et soixante films avant La Nuit du 12. [...] J’ai toujours eu le choix dans ma carrière. Mais parfois le choix consistait à faire un film ou ne pas travailler. Maintenant, j’ai le choix entre plusieurs projets, et ça, c’est un vrai luxe."
Notoriété soudaine
L'homme a en effet accédé à la notoriété en 2022 grâce au grand succès (mérité) de La Nuit du 12 de Dominik Moll, 545.000 entrées et six César empochés, dont celui du meilleur film et celui du meilleur espoir masculin pour l'acteur. "Ce César a validé quinze ans de travail, mais il peut aussi abîmer des gens", relativise-t-il sur France Inter.
Un peu plus tôt, en 2019, il avait déjà décroché un second rôle de poids aux côtés de Fabrice Luchini et Camille Cottin dans le populaire Le Mystère Henri Pick de Rémi Bezançon, frôlant à l'époque les 900.000 entrées, et avait tourné dans le premier long-métrage de Dominik Moll, Seules les bêtes, avec Denis Ménochet, Laure Calamy et Damien Bonnard.
Celui qui a obtenu son premier rôle dans le téléfilm d'Ivan Calbérac en 2010, juste après avoir foulé les couloirs du Cours Florent et du Conservatoire national supérieur d'art dramatique, est aussi apparu dès le début de sa carrière dans La Guerre est déclarée, Main dans la main ou Marguerite et Julien de Valérie Donzelli. Il a aussi tourné dans La Guerre des boutons de Yann Samuell et dans 2 automnes 3 hivers de Sébastien Betbeder, avec Vincent Macaigne, à l'orée des années 2010.
Fils de
Il faut dire que Bastien Bouillon, né à Chateauroux en 1985, a de qui tenir. Fils du metteur en scène Gilles Bouillon et de la comédienne Clémentine Amouroux (qui a notamment joué dans Perceval le Gallois, L'Arbre, le Maire et la Médiathèque d'Éric Rohmer ou Messidor d'Alain Tanner), Bastien Bouillon est aussi l'arrière-petit-neveu de Joséphine Baker et de Jo Bouillon, le célèbre chef d'orchestre et quatrième mari de la star du music-hall.
"Lorsque je vois un documentaire ou que je lis une BD sur Joséphine, je me dis: 'C’est marrant qu’elle ait été présente à la naissance de mon père ou à celle de ma tante, que mon grand-père, chez qui j’ai rangé mon César d’ailleurs, ait été son assistant et son neveu.' C’est un personnage que j’aime, confie-t-il dans les colonnes de Numéro Magazine. J’ai de la fierté, mais qui relève un peu de l’illégitime car je ne l'ai hélas pas connue". Sur son arbre généalogique doré, figure aussi Anne Bouillon, l'avocate très médiatisée du barreau de Nantes, spécialisée en droit des femmes.
Fils de divorcés, un de ces "traumatisés du dimanche soir" comme il dit à Madame Figaro, Bastien Bouillon a grandi à Palaiseau, chez sa mère. "J’étais en quelque sorte en garde partagée entre ma mère et mes grands-parents paternels, qui assumaient la charge du père", explique-t-il. À huit ans, il donne de sa personne dans L'Arbre, le Maire et la Médiathèque d'Eric Rohmer.
Puis en cinquième, sa mère l'inscrit dans un collège Steiner (une pédagogie alternative fondée sur l'enthousiasme, la confiance et l'expérimentation, qui accorde une grande place à l’expression artistique et aux activités manuelles). "La seule fois où j’ai aimé l’école, c’était à Steiner", raconte-t-il sur France Inter.
À quatorze ans, le discret, sinon taiseux, foule pour la première fois les planches dans En attendant Godot de Samuel Beckett, mis en scène par son paternel (qu'il retrouvera par la suite à plusieurs reprises sur scène). Il obtient ensuite un bac scientifique, parcourt le globe pendant deux ans et fait ses premières gammes au cinéma et à la télévision.
Passage derrière la caméra
Aujourd'hui, Bastien Bouillon réside à la Goutte d'or, dans le XVIIIe arrondissement de Paris, donne de son temps libre au supermarché coopératif La Louve, retape une ruine à La Souterraine, dans la Creuse. Ou s'occupe de ses trois fils, âgés de 18, 12 et 4 ans.
Côté cinéma, il sera à l'affiche en janvier prochain d'À pied d'œuvre de Valérie Donzelli, co-écrit avec Gilles Marchand, auréolé du Prix du scénario à la dernière Mostra de Venise, et de L’Affaire Bojarski de Jean-Paul Salomé, avec Reda Kateb et Sara Giraudeau. On le retrouvera aussi prochainement dans Une autre histoire de Mikhaël Hers, avec Alba Rohrwacher, et dans Histoires de la nuit de Léa Mysius, avec Hafsia Herzi, Benoît Magimel et Monica Bellucci ainsi que dans Les Petites peurs de Michel Gondry, avec Gilles Lellouche.
Surtout, celui qui s'identifie à des acteurs comme Guillaume Depardieu ou Laurent Lucas s'apprête à réaliser son premier long métrage, baptisé pour le moment Noir Céline, qu'il a co-écrit avec Ghislain Cravate. Le pitch? "Une vision différente des amours qui se délitent, écrite au son du synthé underground du barde messin, Noir Boy George", explique-t-il sur France Inter. Oui, Bastien Bouillon a déjà tout d'un grand.