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"C'est sûr que j'ai dû être lourd": Lellouche, Dujardin, Marmaï et Rouve auditionnés sur les violences sexuelles dans le cinéma

Jean Dujardin, Gilles Lellouche et Jean-Paul Rouve

Jean Dujardin, Gilles Lellouche et Jean-Paul Rouve - Bertrand Guay - AFP / Valérie Macon - AFP / Anne-Christine Poujoulat - AFP / Montage BFMTV.com

Les quatre acteurs ont été réunis à huis clos pour répondre aux questions de cette Commission présidée par Sandrine Rousseau. Le compte rendu de la réunion vient d'être publié.

Le contenu de la table-ronde sur les violences sexuelles dans le cinéma, qui a réuni Jean Dujardin, Pio Marmaï, Jean-Paul Rouve et Gilles Lellouche le 10 mars dernier, vient d'être rendu public. Le compte-rendu de cette séance, qui s'est tenue à huis clos, a été publié sur le site de l'Assemblée nationale lundi 17 mars.

Lors de cette discussion, organisée dans le cadre de la Commission d'enquête relative aux violences commises dans le cinéma (présidée par Sandrine Rousseau et née d'une demande de Judith Godrèche en mai dernier), les quatre comédiens ont tous été amenés à s'exprimer sur leur propres expériences des violences sexuelles qui sclérosent le milieu du cinéma. Entre reconnaissance d'une omerta à briser, introspection, suggestions d'initiatives et, aussi, sentiment d'impuissance.

• Un problème longtemps évacué

Tous ont rapporté qu'à l'époque de leur formation, jamais les violences sexistes ou sexuelles n'ont été évoquées. "Jamais on ne nous a alertés sur les dangers qui surviennent lors des castings ou dans le quotidien d’un tournage qui dure dix jours ou deux mois", a ainsi assuré Gilles Lellouche. "Il y a quelque chose à faire dans le cadre de la formation, qu’elle soit publique ou privée."

Une inaction qui tend à changer: "On doit désormais suivre (une formation sur les violences ou harcèlements sexistes et sexuels) lorsqu’on a, je crois, au moins 25 % des répliques d’un film", a déclaré Jean Dujardin, qui y a eu accès dans le cadre de son prochain tournage.

"On nous demande notamment si on a des idées", raconte-t-il. "Il m'en est venu une: à chaque début de tournage, à chaque début de semaine, le premier assistant (...) pourrait rappeler la charte éthique propre au tournage; il prendrait deux ou trois minutes pour répéter la marche à suivre, ce qu’il faut et ce qu’il ne faut pas faire."

"Sans prendre beaucoup de temps, ça permettrait à l’acteur de calmer ses vapeurs, au machino d’éviter de balancer une lourdeur à une nana de la régie", estime-t-il.

• Les méfaits passent sous les radars

"J'ai entendu des choses: des maquilleuses m’ont parlé d’acteurs aux mains baladeuses et de réflexions grasses et débiles – c’est assez fréquent", a déclaré Gilles Lellouche. Pour autant, outre l'acteur de Je verrai toujours vos visages qui se souvient "qu’une jeune comédienne (lui) dise que le réalisateur venait frapper à sa porte le soir", les acteurs interrogés constatent que les violences sexistes et sexuelles passent, globalement, inaperçues.

"Je n'ai jamais rien vu sur un plateau", a déclaré Jean-Paul Rouve. Ce constat détonne avec celui des femmes interrogées dans le cadre de cette commission, qui décrivent un phénomène récurrent, comme l'ont rappelé les députés présents.

"Nous ne mentons pas quand nous disons n’avoir rien vu ni entendu", a insisté l'acteur. "Les femmes, de manière générale, ne parlent pas des gestes et des regards déplacés qu’elles subissent constamment, dans la rue et ailleurs (...) Mes amies comédiennes ne m'en parlent pas parce que, malheureusement, elles considèrent que c’est dans l’ordre des choses.

"Je pense quand même que notre attitude n’invitait probablement pas les gens à venir témoigner", a concédé Gilles Lellouche. "Peut-être que nous ne donnions pas suffisamment confiance pour que l’on vienne nous dire les choses."

"Il y a forcément des choses que nous avons loupées sur les plateaux", a reconnu Jean Dujardin. "Évidemment. Des lourdeurs. Des choses qui nous semblaient totalement anodines."

• Remise en question personnelle

Les comédiens confient également avoir réévalué leurs propres comportements, à l'aune du mouvement MeToo. "Je pense que j’ai pu être lourd dans ma façon de signifier les choses", a ainsi déclaré Pio Marmaï. "Le mouvement MeToo permet aux hommes de faire une introspection, d’interroger leurs comportements et leurs propos passés; c’est indispensable."

"J’ai 52 ans, ça fait vingt ans que je fais ce métier", a renchéri Gilles Lellouche. "Si je dois faire une radioscopie de mes comportements, c’est sûr que j’ai dû être lourd; c’est évident."

• Prêts à prendre des mesures

Ce dernier, tout comme Jean-Paul Rouve, est également réalisateur. En tant que cinéastes, tous les deux ont assuré qu'ils ne reculeraient devant aucune mesure s'ils entendaient parler d'un comportement inhabituel sur leur propre tournage.

"S’il survenait sur un de mes films des choses avérées, faisant l’objet de témoignages, la décision serait très claire: la personne serait suspendue et le tournage éventuellement arrêté", a assuré le réalisateur de L'Amour ouf.

"Si, comme metteur en scène, j’entends parler de quoi que ce soit qui s’est passé sur un plateau, que l’auteur supposé des faits soit un technicien ou un comédien, il faut agir", a renchéri son confrère. "S’il s’agit du personnage principal, le film s’arrête, mais alors c’est un sinistre, couvert par les assurances. Ça arrivera d’ailleurs forcément, si ce n’est pas déjà arrivé."

• La question des scènes d'intimité

Les quatre acteurs sont tombés d'accord sur le flou qui entoure la logistique des scènes de sexe. Tous évoquent avoir souvent vu dans les scripts la mention "Ils font l'amour" pour toute description de la scène, laissant son exécution à l'improvisation des acteurs et aux demandes, le jour-J, du réalisateur.

"J’ai connu des metteurs en scène qui demandent plein de prises. À un moment, tu te dis: 'C'est bon, ça va, tu l’as!'. L’ambiguïté peut aussi passer par là", a déclaré Jean-Paul Rouve.

Ces didascalies élusives "existent de moins en moins", a tout de même fait valoir Pio Marmaï. "Les scénarios sont beaucoup plus précis et les coordinateurs d’intimité contribuent à définir ce que l’on va fabriquer ensemble." Mais pour autant, une marge de progression existe; "Oui, il y a un vide", a admis Jean Dujardin.

"On pourrait imposer un story-board, un document exhaustif" sur les gestes qui seront filmés, a suggéré Gilles Lellouche.

Comme exemple de bonne gestion des scènes de sexe, Jean-Paul Rouve a évoqué le tournage du Consentement, adaptation du livre de Vanessa Springora, dans lequel il campe un auteur quinquagénaire qui use de son emprise pour séduire une adolescente de 14 ans (incarnée par Kim Higelin, majeure au moment du tournage).

"Les trois scènes qui pouvaient poser un problème étaient assez détaillées (...) mais jusqu’à un certain point. Nous avons donc fait une réunion toute une après-midi pour préparer ces scènes avec la réalisatrice, la comédienne et le chef opérateur. La réalisatrice avait fait un découpage très précis: on savait exactement quels plans on allait tourner, ce qu’on allait voir et ne pas voir. Je me souviens que Kim a dit qu’elle ne voulait pas d’un plan, et on ne l’a pas fait."

• Jean Dujardin, sur Polanski

L'acteur est revenu sur son rôle principal dans le film J'accuse, sorti en 2019 par le cinéaste, alors que les accusations de violences sexuelles contre lui par plusieurs femmes étaient connues. Lorsque Sandrine Rousseau lui a demandé s'il referait ce film aujourd'hui, l'acteur a répondu:

"Aujourd’hui, évidemment, je me poserais la question (...) Le cas de Roman Polanski est compliqué (...) Pour répondre à votre question, je ne sais pas (ce que je ferais aujourd'hui)…"
https://twitter.com/b_pierret Benjamin Pierret Journaliste culture et people BFMTV