"Si Dalida avait su": à Montmartre, le comportement des touristes qui viennent "toucher les seins" de sa statue pose question

À Montmartre, la statue de bronze de la chanteuse Dalida est abîmée au niveau de la poitrine par les milliers de visiteurs qui viennent chaque année lui toucher les seins.
Une superstition affirme que toucher la poitrine de la statue apporterait bonheur, particulièrement en amour.
"Elle est vraiment connue. Et on doit la toucher pour avoir de la prospérité", explique une touriste au micro de BFM Paris Île-de-France, tandis que son amie confirme: "On veut accomplir nos objectifs dans la vie."
Une "tradition" remise en question
Si l'origine de la superstition demeure incertaine, pour Annie Coste, autrice du livre "Les femmes musiciennes sont dangereuses", le buste de la chanteuse, sculpté par le Français Aslan et inauguré en 1997, représente Dalida dans une posture "offerte".
"Elle a les yeux quasiment fermés, la bouche aussi, et elle a les seins très proéminents. Tout concourt, tout incite à la toucher", analyse-t-elle.
Parmi les touristes de Montmartre, certains sont mal à l'aise face à cette "tradition". "Je ne vois pas en quoi toucher une poitrine apporterait plus d’amour. Moi, je suis avec mon valentin depuis 30 ans, et je n’ai pas touché les seins de Dalida, ni lui", sourit une passante. Une autre estime être "assez pudique en public, du coup, c'est quelque chose qui n'est pas possible".
Mais au-delà de la dégradation d'un bien patrimonial ou de l'absurdité de toucher une statue pour porter chance, la détérioration du buste de Dalida est révélateur de l'objectification du corps des femmes. Si certains se contentent de toucher brièvement la poitrine de la statue, d'autres démontrent des comportements plus indécents.
"Ça dit quelque chose de la société"
Un comportement dénoncé par un utilisateur du réseau social TikTok. Dans une vidéo publiée le 31 octobre dernier et vue plus de 500.000 fois, il montre les différents visiteurs se prenant en photo avec la statue, prétextant malaxer les seins de Dalida et se prenant fièrement en photo avec leurs mains sur sa poitrine. Un homme va mettre jusqu'à se placer derrière la statue pour poser ses mains sur ses seins. Des comportements qu'a également pu observer BFM Paris Île-de-France sur place.
"Ça fait 25 ans que je me demande combien de temps ça peut encore durer. Et au moment précis où j’ai cette pensée, j’entends un guide touristique clamer 'Il faut mettre les deux mains, sinon ça ne porte pas bonheur, mais la poisse'", raconte l'utilisateur. "Je me dis que si Dalida savait qu’un tel spectacle se perpétuerait après son suicide, peut-être qu’elle aurait trouvé la force de vivre vieille, très vieille."
L'humoriste Marine Leonardi, qui publie régulièrement des vidéos sur Instagram, s'étonne elle aussi de ces comportements qui pour elle reflètent "à quel point le corps des femmes est souvent devenu un objet".
"Les gens ont tellement touché les seins de Dalida que maintenant, ils ont une autre couleur. Toute la journée, il y a des gens qui touchent les seins de Dalida. Des enfants, des hommes, des femmes… Vous allez me dire 'C’est une statue, on s’en fout' mais quand même, ça dit quelque chose, un peu, de la société. 'Mais oui, les seins de Dalida, allez-y, touchez-les'. Alors que pardon, mais j’ai jamais vu personne se mettre devant une statue d’un valeureux chevalier en train de lui toucher le torse."
Une campagne de sensibilisation en Allemagne
Sur ce dernier point, il existe toutefois un exemple masculin de ce type de comportements: le gisant du journaliste Victor Noir, au cimetière du père Lachaise. Plusieurs parties de la statue ont été touchées par des milliers de personnes, en particulier son entrejambe, puisque cela procurerait fertilité et virilité.
Il faudrait également toucher les pieds du gisant pour rencontrer l'amour de sa vie, ou même l'embrasser sur les lèvres pour ramener un être cher. Un autre exemple qui illustre la notion d'objectification des corps.

Ces deux exemples parisiens ne sont d'ailleurs pas les seuls. En Allemagne, l'association "Terre des femmes" avaient lancé au printemps dernier une campagne de sensibilisation sur le sujet. Des pancartes blanches sur lesquelles était écrit "le harcèlement sexuel laisse des traces" avaient été affichées derrière trois statues dont les seins étaient abîmés de la même façon que ceux de la statue de Dalida.

"Dans notre société, il n'est pas rare que les corps des femmes soient touchés ou embrassés sans leur consentement", avait expliqué Sina Tonk, cheffe de projet de l'organisation non-gouvernementale allemande. "Si ces expériences traumatisantes ne laissent pas de traces visibles comme les décolorations des statues, elles laissent bel et bien des marques invisibles."