Paris: dix ans de travaux pour effacer les traces d'un marchand de sommeil dans ces nouveaux logements sociaux
Deux immeubles sociaux ont été inaugurés ce lundi dans les 18e et 20e arrondissement de Paris. Les deux adresses sont emblématiques de la lutte contre les marchands de sommeil.
Dans le 18e arrondissement, aux 40 et 42 rue Marx Dormoy, se dressent deux immeubles avec 46 logements sociaux tous beaux et neufs. Il est difficile de s'imaginer qu'auparavant se tenaient en lieu et place de ces deux bâtiments, des immeubles insalubres.
Plus de 50 arrêtés d'insalubrité
Il a fallu plus de 10 ans pour en arriver à cela, car les anciens bâtiments ont fait l'objet de plus de 50 arrêtés d'insalubrité pris entre décembre 2011 et avril 2012. Les travaux préconisés par les autorités n'ont jamais été réalisés par l'ancien propriétaire.
Ce marchand de sommeil gagnait 350.000 euros par an, en louant ces logements insalubres à 200 personnes dont une cinquantaine d'enfants. Pour récupérer l'immeuble en 2014, Paris a dû lui verser 6,7 millions d'euros d'indemnités d'expropriation. Le propriétaire réclamait 12,8 millions d'euros. La somme versée par la ville, n'a jamais pu être récupérée.
"Le scandale dans cette affaire est qu'il a fallu que la ville de Paris indemnise ce marchand de sommeil", s'indigne auprès de BFM Paris-Ile-de-France, Ian Brossat, l'adjoint communiste au logement de la maire de Paris.
Depuis, le bailleur a été condamné à deux ans d'emprisonnement et 500.000 euros d'amendes. Cette affaire a entraîné le changement de la loi, et aujourd'hui les propriétaires indélicats sont expropriés sans compensation financière.
Des procédures très longues
Mais les procédures prennent du temps. "Pour exproprier un marchand de sommeil, il faut évidemment une décision du tribunal, et puis, en face de nous, on a souvent des gens qui se défendent. Ensuite, il faut être capable de reloger l'ensemble des personnes qui vivent dans l'immeuble insalubre. Donc, ce sont effectivement des procédures très longues, des procédures coûteuses aussi", poursuit l'élu.
Souheila, 39 ans et Mehdi, 38 ans, ont emménagé la semaine dernière au 40 rue Marx Dormoy dans un appartement plus spacieux que leur précédent situé dans le 13e arrondissement. "On a deux grandes chambres, une pour les enfants et une parentale", expliquent-ils alors qu'il reste encore des cartons à déballer.
Ils sont venus dans le 18e pour se rapprocher de l'école de leur fils qui a un handicap. "On espère que le bâtiment va rester propre, c'est aussi le boulot des habitants. On va tout faire pour que ça reste agréable à vivre", espère Mehdi. Au 11e étage du 42 rue Marx Dormoy, la vue du duplex est plongeante sur la butte Montmartre d'un côté et la tour Eiffel de l'autre.
Une baisse de l'habitat indigne
"L'essentiel de l'habitat insalubre a été éradiqué. Je rappelle qu'au début des années 2000, on avait plus de 1000 immeubles qui étaient insalubres, 20.000 logements qui étaient concernés par l'insalubrité", développe Ian Brossat.
Entre 2001 et 2013, la ville de Paris - alors dirigée par le socialiste Bertrand Delanoë - avait mis en place un plan parisien d'éradication de l'habitat indigne, dit "Plan des 1030 immeubles". "Depuis, ce phénomène a diminué. Aujourd'hui, on a plutôt un sujet de veille. Des appartements qui n'étaient pas être insalubre il y a encore quelques années, peuvent tomber dans l'insalubrité faute d'entretien. Donc nous continuons à rester vigilants", précise Ian Brossat.
Ce constat est partagé par Jean-Baptiste Eyraud, du Droit au logement, pour qui les logements indignes à Paris "régressent, c'est une évidence". En Île-de-France, près de 4% du parc privé francilien serait insalubre d'après des chiffres publiés en 2020 par l'Institut Paris Région.
Ce sont Paris et la Seine-Saint-Denis qui sont les plus touchés par ce phénomène. A Paris, un peu plus d'une vingtaine d'arrêtés de péril ou de mise en sécurité à Paris ont été notifiés depuis 2021.
Un permis de louer
Afin de lutter contre les marchands de sommeil, certaines villes franciliennes comme Grigny ou Bagneux sont même allées plus loin en mettant en place un permis de louer. Ce dispositif leur permet de vérifier que les logements mis en location soient décents et salubres. La ville de Paris estime que les dispositifs en place suffisent pour cette question dans la capitale.
L'élu d'opposition du 18e Pierre-Yves Bournazel, qui a participé au changement de la loi, constate que "cette loi commence à s'appliquer et elle permet de réquisitionner des biens" ce qui permet de "lutter contre ces phénomènes". Toutefois, il indique que la politique menée à Paris contre les logements insalubres "devrait être amplifiée, y compris dans le parc social" et rester vigilant sur des "nouvelles formes d'insalubrité".