TOUT COMPRENDRE - De la gauche à l'extrême droite, l'improbable coalition prête à évincer Netanyahou

Yaïr Lapid, Naftali Bennett et Mansour Abbas. - AFP
12 ans ininterrompus à la tête du gouvernement. 15 ans, si on compte son premier mandat, entre 1996 et 1999. Benjamin Netanyahou, désormais lesté d'inculpations pour fraude et corrution, a beau être sans conteste le Premier ministre à la plus grande longévité en Israël, il n'a jamais paru si proche de la sortie. Celle-ci pourrait même intervenir dimanche, si la Knesset, le Parlement local, accorde son vote de confiance à ce qu'il est convenu d'appeler le "Bloc du changement" ou encore la "coalition du changement".
En plus d'achever le long chapitre Netanyahou de l'histoire politique israélienne, la coalition mettrait un terme à la crise qui paralyse les institutions israéliennes depuis déjà deux ans, encore aggravée depuis que les dernières élections législatives tenues le 23 mars n'ont pas permis de dégager une majorité nette. Mais elle apparaît comme une alliance improbable, bringuebalant huit formations en son sein, allant de la gauche à l'extrême droite en passant par un parti arabe israélien, souvent qualifié d'islamo-conservateur.
· Comment est née la coalition?
Le 23 mars dernier, Israël organisait de nouvelles élections législatives. Il s'agissait du quatrième scrutin de ce type en l'espace de moins de deux ans. Avec une perte de plus de cinq points dans les suffrages exprimés, et un contingent réduit à 30 députés, le parti conservateur du Likoud a gardé son statut de première force politique d'Israël au sortir des urnes, devant le Yesh Atid, mouvement centriste de Yaïr Lapid, et ses 13,91%. Avec à peine plus de 6% des voix, le Parti travailliste israélien est apparu laminé... il venait pourtant d'améliorer légèrement sa marque précédente.
Pas de doute cependant: le principal enseignement à tirer de ces élections est que le paysage politique israélien n'a sans doute jamais été si fragmenté. Et ce terrain miné n'a pas permis, à ce jour, de faire pousser un gouvernement viable. D'abord missionné par le président de la République, Reuven Rivlin, pour former son nouveau cabinet en sa qualité de patron du premier parti du scrutin, Benjamin Netanyahou a jeté l'éponge au bout de quelques semaines. Et son opposant Yaïr Lapid allait droit au même destin quand le 2 juin dernier, à l'ultime jour de l'agenda fixé par le chef de l'Etat, il a décroché son précieux accord de gouvernement, signé et contresigné par son mouvement Yesh Atid et sept autres.
C'est sur cette équipe que la Knesset réunie en session spéciale devra se prononcer dimanche. Si la confiance lui est accordée, elle sera investie dans la foulée.
· Quelles formations la composent ?
Le programme de politique générale de la "coalition du changement" n'est pas encore connu. Il devra être divulgué d'ici au vote, probablement ce vendredi, selon le média israélien Haaretz. La répartition des portefeuilles demeure elle aussi incertaine. Mais les forces qui s'apprêtent à composer un gouvernement suffisent à susciter l'étonnement.
L'ensemble regroupe huit partis aussi différents que dissemblables. Il y a donc les laïcs du Yesh Atid de Yaïr Lapid, adossés à une autre formation centriste, "Bleu et Blanc", emmenée par Benny Gantz. Ils s'appuieront à gauche sur le Parti travailliste mais aussi sur Meretz, qui milite pour le retrait des territoires occupés depuis 1967 et la création d'un Etat palestinien.
Les discussions sur ces points promettent d'être animées au sein du gouvernement car on y retrouverait aussi Israël Beytenou - parti nationaliste laïc d'Avigdor Liberman -, Nouvel Espoir - dissidence du Likoud - et surtout Yamina, mouvement d'extrême droite religieuse menée par Naftali Bennett. Celui-ci, dépeint par Le Monde comme un personnage étalant un "racisme décomplexé" et comme un grand défenseur des colonies israéliennes en Cisjordanie, aura lui aussi de quoi s'échauffer en Conseil des ministres.
En effet, le parti Raam doit compléter le gouvernement. Il s'agit là d'une famille politique, dirigée par Mansour Abbas, prétendant représenter les intérêts des Arabes israéliens et définie comme "islamique et conservatrice" par Times Of Israel. C'est en tout cas la première fois qu'un parti arabe participe à un gouvernement en Israël, a noté ici France 24.
· Un accord qui prévoit une rotation au poste de Premier ministre
Mais c'est bien Yamina de Naftali Bennett qui doit se tailler la part du lion. Oh, certes, le parti n'aura que sept voix à la Knesset pour la mandature à venir mais c'est son chef qui devrait prendre les rênes du gouvernement. Naftali Bennett, qui fut l'allié et surtout le ministre de Benjamin Netanyahou, à l'Education et à la Défense, s'émancipe cette fois à ses risques et périls, car bien sûr son accord avec Yaïr Lapid et la gauche dessine un divorce flamboyant avec le Likoud.
Toutefois, "la coalition du changement" abordera la question de la direction du gouvernement avec une certaine originalité, comme l'a relevé ici l'Agence France Presse: une présidence du conseil tournante. Ainsi, Naftali Bennett serait Premier ministre les deux premières années, soit jusqu'en 2023. Puis, il laisserait la place au patient Yaïr Lapid, si jamais l'alliance tient toujours.
Ce qui est à l'évidence loin d'être gagnée au vue de sa fragilité intrinsèque et de l'instabilité de la politique israélienne ces deux dernières années.
· L'inconnue Likoud, le très connu Netanyahou
L'attitude du Likoud et de son chef Benjamin Netanyahou, tous deux ravalés dans l'opposition pour la première fois en 12 ans alors même que leur liste est arrivée en tête aux élections, ne sera pas un moindre facteur d'instabilité. Le peloton du Likoud à la Knesset s'est contracté de 36 députés à 30, mais il s'agira tout de même du groupe parlementaire le plus important. Et Benjamin Netanyahou ne décolère pas ni ne désarme. Il se prépare même déjà à remonter à cheval.
Comme l'observe ici I24 News, il désire provoquer des primaires au Likoud, afin d'en rester le président, et des primaires anticipées encore, afin de prendre ses concurrents de vitesse. Car il est dorénavant contesté, certains cadres craignant que ses ennuis judiciaires pour corruption ne les entraînent tous par le fond, lui d'abord, eux ensuite.
Ils sont d'ailleurs plusieurs à envisager une première lèse-majesté dans la nouvelle législature: lui refuser la main sur les désignations des présidents de trois commissions parlementaires dévolues traditionnellement à l'opposition. "Cette fois, nous ne permettrons pas à Netanyahou d'établir lui-même les règles du jeu", a tempêté un dirigeant du Likoud auprès de la chaîne de télévision Channel 12.
Ce goût d'un nouvel horizon pour le Likoud pourrait se cristalliser autour d'un nom, celui de Yuli Edelstein, ex-ministre de la Santé de Benjamin Netanyahou, qui en cas de primaires penserait aller défier son ancien patron, selon Times Of Israel.
