Mort de Robert Mugabe: du héros de l'indépendance au tyran, son règne résumé en 5 dates-clés

Pendant son règne de trente-sept ans à la tête du Zimbabwe jusqu'à sa chute en 2017, Robert Mugabe, mort à l'âge de 95 ans, est passé du statut de héros de l'indépendance et ami de l'Occident à celui de tyran qui a provoqué l'effondrement économique de son pays.
Le petit homme à la fine moustache et aux épaisses lunettes a découvert la politique à l'université de Fort Hare - la seule ouverte aux Noirs dans l'Afrique du Sud de l'Apartheid - avant de s’engager, en 1960, dans la lutte contre le pouvoir rhodésien, blanc et ségrégationniste. Commence alors un long parcours politique.
- 1963: le héros de l'anticolonialisme
Cette année-là, Robert Mugabe crée son propre parti, l’Union nationale africaine du Zimbabwe (ZANU), favorable à la libération de la Rhodésie du pouvoir des colons britanniques. Rapidement, il est emprisonné pour ses propos critiques à l’égard du régime et ne sera libéré que dix ans plus tard. En 1975, il prend la direction de la ZANU et mène, avec l’Union du peuple africain au Zimbabwe (ZAPU) de Joshua Nkomo, la lutte armée contre le régime blanc de Ian Smith. La guerre dure 1972 à 1979 et fait 27.000 morts.
Des négociations entre les représentants de la guérilla et le pouvoir s’achèvent en 1979 par les accords de Lancaster House. Un an plus tard, l’indépendance de la Rhodésie est proclamée, le pays est rebaptisé Zimbabwe.
- 1980: au pourvoir, "Mister Bob" contre ses opposants
Mugabe prend la tête du pays en 1980, après la victoire de son parti aux élections législatives. Il devient Premier ministre et son partenaire de lutte, Joshua Nkomo, ministre de l'Intérieur. Après plusieurs années de guérilla contre le régime raciste de Ian Smith, le nouvel homme fort de l'ex-Rhodésie débute son mandat en prêchant la réconciliation avec la minorité blanche.
Premier ministre de mars 1980 à 1987, fonction qu'il abolit pour devenir ensuite président, "Mister Bob" jouit de bonnes relations avec les dirigeants occidentaux, y compris l'ex-puissance coloniale britannique et son Premier ministre Margaret Thatcher.
Pourtant, le héros a la main lourde contre très tôt ses opposants. Le 17 février 1982 il limoge Nkomo, accusé de complot. La même année, il envoie l'armée dans la province "dissidente" du Matabeleland, terre des Ndebele et de son ancien allié pendant la guerre, Joshua Nkomo. La répression, brutale, fait environ 20.000 morts.
- 1987: abus, fraudes et violences à la présidence
Le 30 décembre 1987, Mugabe devient chef de l'Etat après une révision de la Constitution. Il poursuit ses abus contre l'opposition et entame une violente réforme agraire. Affaibli politiquement, déstabilisé par ses compagnons d'armes de la guerre d'indépendance, Robert Mugabe décide de leur donner du grain à moudre en les lâchant contre les fermiers blancs, qui détiennent toujours l'essentiel des terres du pays.
Des centaines de milliers de Noirs deviennent propriétaires, mais au prix de violences qui contraignent la plupart des 4500 fermiers blancs à quitter le pays. Mais l’Occident ferme les yeux. En 1994, la reine Elizabeth II le fait ainsi chevalier de la Grand croix.
"Les premières années, il fut un peu le chouchou de l'Occident, très agréablement surpris qu'il mène ce qui ressemblait à une politique de réconciliation", résume Stephen Chan, de la School of Oriental and African Studies (SOAS) de Londres.
Même le massacre de milliers de civils d'ethnie Ndebele à partir de 1982 ne fait pas froncer les sourcils des capitales occidentales. Mais l'idylle ne dure pas. Dans les années 1990, la dérive autoritaire de Robert Mugabe suscite de plus en plus de critiques. Sa réforme agraire va précipiter le divorce.
- 2000: la communauté internationale finit par réagir
Avec les violences exercées par le régime de Mugabe contre l'opposition lors des législatives de 2000 et les fraudes massives dénoncées par les observateurs de l'Union européenne lors de la présidentielle deux ans plus tard, la rupture est consommée. Bruxelles et Washington imposent des sanctions au Zimbabwe et font de son président une personae non grata.
Robert Mugabe balaye publiquement ces mesures d'un revers de main: "Gardez votre Angleterre et laissez-moi m'occuper du Zimbabwe", lance-t-il, dédaigneux, à Tony Blair. La reine lui retire même sa Grand croix en 2008 "en raison des violations des droits de l'homme et du mépris abject pour la démocratie au Zimbabwe".
Pour le maître d'Harare, l'Occident devient alors la cible privilégiée et le coupable de tous les maux du pays. Sa réforme agraire se solde par un échec cinglant et précipite le Zimbabwe dans la crise financière. Le chômage bat des records, l'inflation galope dans des proportions dantesques, l'agriculture, l'industrie et l'Etat sont ruinés... La faute aux sanctions, clame sans hésiter Robert Mugabe. "Pouquoi punir mon peuple? C'est parce que ces impérialistes veulent l'héritage", affirme-t-il.
L'élection présidentielle de 2008 est l'occasion d'une nouvelle passe d'armes. Les violences exercées par le régime entre les deux tours du scrutin contraignent son rival Morgan Tsvangirai, arrivé en tête, à se retirer. Robert Mugabe est réélu, ainsi qu’en 2013. Les Occidentaux n'hésitent plus à réclamer ouvertement son départ.
- 2017: acculé, Mugabe quitte le pouvoir
Mugabe s’accroche au pouvoir et joue du népotisme. Il souhaite que sa femme, Grace, lui succède. Lorsque celle-ci demande publiquement, le 5 novembre 2017, que Mugabe lui laisse le pouvoir, l’armée intervient. Les deux époux sont placés en résidence surveillée. Le plus vieux chef d'Etat en exercice de la planète est acculé à la démission le 21 novembre 2017, à l’âge de 93 ans.
Il laisse le pays exsangue et ruiné. Pour son successeur Emmerson Mnangagwa, élu à la présidence du pays en 2018, la tâche est immense.