"Je ne reste jamais longtemps au même endroit": des personnalités sous protection policière racontent leur quotidien

Précautions, escorte, vigilance de chaque instant. Menacées de mort en raison de leurs prises de position publiques, diverses personnalités ont raconté à BFMTV leur vie sous protection policière, trois jours après la tentative d'assassinat commise vendredi dernier dans l'Etat de New York contre l'écrivain américano-britannique Salman Rushdie.
Celui-ci est visé par une fatwa édictée dès 1989 par l'ayatollah iranien Khomeiny, un an après la publication de son roman Les Versets sataniques. Un livre jugé "blasphématoire" par le clergé chiite et qui a valu au romancier d'être soupçonné d'apostasie.
Quand l'angoisse devient "mode de vie"
Pour le philosophe Daniel Salvatore Schiffer aussi, le danger vient de l'islamisme. Après avoir rapporté trois attentats perpétrés contre lui au cours des trois dernières décennies, il a témoigné sur BFMTV dimanche soir: "Je vis à Bruxelles actuellement. Sur l’échelle de l’évaluation des menaces, je suis niveau 3 sur 5."
Une vie en état d'alerte qui a des conséquences très concrètes au jour le jour: "Une fois, j’ai fait venir Marek Halter pour une conférence à Bruxelles, et il y avait 20 policiers autour de nous." "J’ai un numéro spécial, et à la moindre alerte, j’appelle et des gens arrivent en combinaison pour ma protection", a-t-il mis en exergue.
Il a dépeint une vie vidée de toute spontanéité et insouciance, où l'inquiétude devient "un réflexe, un mode de vie". "Il est rare que j’annonce ma venue dans un endroit public, pour éviter les problèmes de sécurité et par discrétion. Je ne reste jamais longtemps au même endroit. Dans un restaurant, je ne tourne jamais le dos à la rue, je regarde toujours devant moi. (...) Vous ne me verrez jamais à un événement où il y a beaucoup de monde. Vous ne me verrez jamais à un concert, au théâtre, au cinéma, les endroits obscurs", a illustré l'intellectuel.
"Quand je vivais à Paris, je ne pouvais plus prendre le métro. J’avais une voiture de police avec gyrophare devant mon domicile", raconte encore Daniel Salvatore Schiffer.
Cette angoisse contamine naturellement les proches de la personne menacée. "C’est un stress permanent. Ce n’est pas seulement ma personne que je mets en danger mais aussi mes proches. Là, ça peut poser des problèmes, des tensions", a fait valoir le philosophe, signataire d'une tribune de soutien à Salman Rushdie relayée par de nombreux médias francophones.
De pétition du voisinage en déménagement
Le journaliste Mohamed Sifaoui vit sous protection policière depuis 2003, en raison de son travail autour de l'islamisme. Il a expliqué dimanche auprès de TF1 que ces tensions avaient gagné l'ensemble de son entourage au fil du temps.
"Il m’est arrivé de déménager pour raison de sécurité, de subir des pétitions du voisinage demandant que je déménage parce que c’était ‘dangereux pour eux’. J’ai dit: 'Rassurez-vous, c’est dangereux pour moi d’abord'".
"Je ne peux pas être chez moi et qu’un copain m’appelle et me dise: ‘Tiens, on se rejoint dans dix minutes à côté au bistrot’. Il y a toujours un dispositif à mettre en place", a-t-il déploré.
Un accouchement sous escorte
L'existence de l'essayiste et ex-journaliste de Charlie Hebdo Zineb el Rhazoui a également été chamboulée par le fanatisme islamiste. Depuis sept ans, des policiers l'accompagnent même en tous lieux afin d'assurer sa sécurité. "Mon quotidien ressemble à celui d’une personne confinée. Toutes mes sorties doivent être organisées. J’ai interdiction formelle de prendre les transports en commun. Et puis il y a aussi un souci d’intimité et de liberté", a-t-elle décrit auprès de TF1.
Au point qu'elle a dû accoucher sous bonne escorte. "C’est-à-dire que mon enfant, dès qu’il a ouvert les yeux sur le monde, était entouré d’hommes armés", a-t-elle précisé.
"C'est une vie de merde"
Le journaliste et auteur italien Roberto Saviano - pour sa part harcelé par la vindicte de la Camorra napolitaine - a résumé le tout en une formule lapidaire en duplex sur BFMTV: "C’est une vie de merde. Ce n’est ni la vie, ni la mort et on est toujours sous pression".
"On est toujours sous escorte mais il faut garder à l’esprit la raison pour laquelle on vit comme ça", a-t-il enchaîné. Car l'auteur de Gomorra le rappelle, c'est une affaire de principe: "Je pourrais aller à l’étranger, ne plus revenir en Italie et ne plus m’occuper des thèmes qui me mettent en danger… Mais non, je suis têtu et je continue cette lutte."
Pour Rushdie, le "retour des années terribles"
Dans les années 1990, lorsque Salmane Rushdie se déplaçait en France huit agents du Raid assuraient sa sécurité en permanence.
"On couvrait les 360° de sa personnalité. On appelait ça le ‘dispositif en diamant’. C’est vrai, c’était compliqué à vivre", a expliqué sur BFMTV l'ex-instructeur du Raid Bruno Pomart.
Des complications qui, ajoutées au passage du temps, expliquent que les précautions aient été amoindries ces dernières années. Blessé au foie et à l'oeil par son assaillant, l'écrivain de 75 ans est toutefois sur la "voie du rétablissement". "Son état s’améliore. Il n’est plus sous respirateur", s'est félicité son agent dimanche.
Toutefois, l'épisode dramatique que Salman Rushdie vient de vivre va sans doute refermer cette parenthèse de relative liberté, selon notre consultant pour les questions internationales, Anthony Bellanger: "C'est le retour des années terribles pour lui et il va à nouveau vivre sous protection policière".
