Il n'y a qu'en Espagne que les Indignés se sont fait élire

Pablo Iglesias, le leader de Podemos, à la mairie de Madrid le 13 juin dernier. - Pierre-Philippe Marcou - AFP
Grâce à leur intime connaissance des combinaisons parlementaires qui caractérisent l'art espagnol de gouverner, le parti des Indignés, "Podemos" (nous pouvons), a pu remporter les mairies de quatre métropoles: Madrid, Barcelone, Saragosse, Valence. Mais guère davantage. Le parti socialiste et le parti populaire ont conservé des positions respectables, et d'autres formations alternatives se sont infiltrées ici et là.
Rappelons, en passant, que lors des élections européennes de 2014, Podemos en lice pour la première fois ne recueillit que 8% des voix et par conséquent 5 élus européens. Ce n'était pas un raz-de-marée. En clair, Podemos ne perce pas si fortement dans le sens classique: il a obtenu une majorité relative à Barcelone uniquement. À Madrid, sur 57 sièges, "Ahora Madrid" qui est une liste plus ou moins rattachée à Podemos, a recueilli 20 sièges et le Parti populaire (droite) en a quand même obtenu 21.
À Barcelone, la liste apparentée Podemos, "Barcelona en Comú", a obtenu 11 sièges sur 41, devançant les 10 des nationalistes libéraux de Convergència i Unió. En clair, un processus semblable à un scrutin israélien: des jours et des jours de tractations post-électorales. Rappelons que le scrutin s'est déroulé le 25 mai, et que les résultats sont connus depuis et que les négociations n'ont abouti que le matin du samedi du 13 juin et toutes d'un seul coup. Le parti socialiste a chaque fois choisi de soutenir Podemos plutôt que de laisser passer la droite.
Le modeste succès espagnol est le seul valable au monde
C'est donc grâce à une bonne petite cuisine post-électorale que les candidats de Podemos ont accédé aux mairies. Il n'en demeure pas moins que dans le contexte le résultat est impressionnant: à l'échelle mondiale, il n'y a qu'en Espagne que le mouvement des Indignés a fait irruption à la tête de métropoles, ce n'est pas rien.
Il faut définir certains points de vocabulaire: le mot "indigné" vient du livre de Stéphane Hessel, le diplomate français, né Allemand, qui écrivit un essai appelant à la résistance à plusieurs injustices: les inégalités de richesse, le rejet des migrants et la politique israélienne concernant la Palestine. Le livre fit un tabac de librairie en Espagne, et inspira le nom des "Indignados". Ces derniers prirent exemple sur les manifestants du Printemps arabe en Tunisie et en Égypte, en y collant le mot de Hessel.
Aux États-Unis le mot "Occupy" est issu de la fronde estudiantine de 2009 en Californie, des occupations pour dénoncer les coupes budgétaires consécutives à la récession de 2008. Il eut diverses vagues d'occupations de lieux symboliques mais exigüs, tel le minuscule "Parc Zuccotti" près de Wall Street. Ce mouvement a ému le monde politique, mais est resté sans conséquence sérieuse.
Désormais, le mouvement atteint Israël, où les injustices sociales sont devenues insupportables. Jusqu'à 300.000 personnes ont défilé cet été et à l'automne 2011, et une commission de réforme assez musclée réussit à impulser un débat profond et durable, voire quelques changements. Au moins une élue travailliste, la benjamine de la Knesset, Stav Shaffir, est marquée par ce mouvement. Mais dans le monde cela compte peu. Excluant le cas grec, qui est trop différent à cause de la question existentielle de l'abandon de l'euro sur fond de faillite de l' État, c'est donc en Espagne que quelque chose de réel est issu du mouvement des Indignés. Il reste à voir si les citoyens seront suffisamment impressionnés pour continuer à voter pour eux.