Après des débuts hésitants, l’Europe semble enfin avancer dans son programme de fusées réutilisables

La fusée PSLV-C59 qui transporte deux satellites de l'Agence spatiale européenne qui doivent étudier la couronne solaire, le 5 décembre 2024 (image d'illustration). - Indian Space Research Organisation (ISRO)
Un peu plus près des étoiles. Le programme européen de fusées réutilisables, longtemps ralenti et en retard sur ses ambitions, semble enfin prendre son envol. Cette semaine, ArianeGroup a annoncé l’intégration complète de Themis, un prototype destiné à tester des technologies d’atterrissage vertical, sur une rampe de lancement en Suède.
Les premiers essais de “sauts” à basse altitude pourraient commencer cette année ou au début de l’année prochaine. Pour l’Europe, ce pas en avant arrive après une décennie de retard face aux pionniers américains. SpaceX avait réussi le premier atterrissage vertical d’un étage orbital en 2015, suivi par Blue Origin et son véhicule suborbital New Shepard.
À cette époque, l’Agence spatiale européenne (ESA) était focalisée sur Ariane 6, une fusée traditionnelle non réutilisable, laissant le continent derrière dans la course aux technologies de récupération. Avec Themis, l’Europe entre enfin dans la course à la réutilisation, un domaine devenu central pour la compétitivité spatiale mondiale.
Combler son retard
Depuis 2017, l’ESA a ainsi lancé plusieurs programmes pour rattraper son retard dans la course aux fusées réutilisables. Parmi eux, Prometheus, un moteur à méthane et oxygène liquide conçu par ArianeGroup, a déjà fait l’objet de deux campagnes de test.

De son côté, le programme Callisto, fruit d’une collaboration franco-germano-japonaise, teste les technologies d’atterrissage vertical sur un démonstrateur à petite échelle, mais ses vols ne sont pas attendus avant 2027.
Plus avancé, le programme Themis, adopté en 2019, vise à créer un premier étage de fusée réutilisable avec jambes d’atterrissage, utilisant le moteur Prometheus. Sur la plateforme suédoise, le modèle "Themis T1H" devrait bientôt effectuer ses premiers sauts courts, avant que le "T1E" ne teste des vols à moyenne altitude, tandis que MaiaSpace (filiale d'ArianeGroup) développe une fusée capable de placer 500 kg en orbite basse à partir des enseignements tirés de ces prototypes.
"L'équation est complexe"
Si ce type de lanceur permet de réduire les coûts, le Centre national d'études spatiales (CNES) rappelle toutefois que la réutilisation n’est pas une solution miracle. ”Récupérer tout ou partie d’une fusée… Sur le papier, l’idée est séduisante (...) Mais l’équation est complexe, car il faut un nombre de lancements annuel suffisant pour que cela soit rentable. De plus, un lanceur réutilisable perd en performance, puisqu’il doit embarquer du carburant et les équipements pour redescendre et se poser.”
À plus long terme, le CNES envisage cependant des innovations encore plus ambitieuses. "À l’horizon 2050, le monde des lanceurs devrait bénéficier d’innovations qui donneront une autre allure aux engins. La tendance ? Celle du “single stage to orbit”, un lanceur à un seul étage et entièrement réutilisable. Moins cher, plus simple, plus facile à réutiliser, ce lanceur pourrait faire des allers-retours fréquents entre la Terre et l’orbite basse, là où se développe le marché des satellites. Des études sont menées actuellement sur les technologies qui pourraient aboutir à une telle fusée", détaille l'agence spatiale française.

Une concurence américaine et chinoise importante
Malgré ces progrès, et ces ambitions, Themis accuse plusieurs années de retard: les premiers essais, initialement prévus pour 2022, n’ont pas encore eu lieu. Ce retard souligne le fossé qui sépare l’Europe de pionniers comme SpaceX, qui a testé son Grasshopper dès 2012 et fait atterrir un booster orbital en 2015, ainsi que d’autres acteurs américains et chinois qui prévoient des lancements réutilisables dans les prochaines années.
En juin dernier, Space Epoch, une entreprise spatiale émergente en Chine, a notamment réussi son premier essai. À l'instar de la Falcon 9 de SpaceX, son lanceur a réussi à atterrir après avoir rallumé son moteur. La Chine vise à établir une fusée réutilisable le plus rapidement possible dans le but d'accélérer considérablement ses cadences de lancement. Pour l'ESA, il est donc crucial de développer des lanceurs européens de nouvelle génération, capables d'être à la fois durables... et plus compétitifs.