Crash au Kazakhstan: les zones d'ombre qui persistent trois jours après le drame

Des spécialistes des situations d'urgence travaillent sur le site du crash d'un avion de ligne de la compagnie Azerbaijan Airlines près de la ville d'Aktau, dans l'ouest du Kazakhstan, le 25 décembre 2024. - Issa Tazhenbayev / AFP
Un avion de ligne azerbaïdjanais, qui devait relier la capitale Bakou à Grozny en Tchétchénie, s'est mystérieusement écrasé au Kazakhstan ce mercredi 25 décembre. Soit à plusieurs centaines de kilomètres de sa destination initiale. Sur les 67 passagers à bord, 38 sont morts. La compagnie Azerbaijan Airlines a indiqué ce vendredi 27 décembre que, selon les résultats préliminaires de l'enquête, le crash est dû à une "interférence externe, physique et technique".
Alors que cette enquête menée par l'Azerbaïdjan, en coopération avec le Kazakhstan et la Russie, suit son cours, des thèses émergent et des zones d'ombre demeurent.
Un missile antiaérien russe?
La piste privilégiée par de nombreux spécialistes? Un missile de la défense antiaérienne russe qui aurait été tiré par erreur sur l'avion de ligne. Comme preuve, "la partie arrière de l'avion qui est criblée par des impacts extrêmement forts et qui sont même entrés à l'intérieur entraînant une dépressurisation de la cabine", explique Jean Serrat sur BFMTV.
Ces impacts sont semblables à ceux causés par des éclats de shrapnel. Des missiles qui explosent à côté de leur cible et "envoie toute une série d'impacts, de manière à la détruire en vol", selon le consultant aéronautique BFMTV.
"Les traces qu'on voit sur l'avion laissent quand même penser que c'est assez probable" qu'il ait été abattu par un missile, a déclaré à l'AFP Jean-Paul Troadec, ancien directeur du Bureau d'enquêtes et d'analyses pour la sécurité de l'aviation civile (BEA).
Un responsable américain, s'exprimant sous le couvert de l'anonymat, a également pointé la responsabilité d'un système russe de défense antiaérienne. Tout comme des sources anonymes au sein du gouvernement azerbaïdjanais.
"Comme c’est un gros avion de ligne, plus gros que les appareils de guerre légers, il a résisté à l’attaque", analyse auprès du Figaro, Michel Goya, spécialiste en stratégie militaire.
Pour Justin Crump, expert en renseignement, sécurité et défense qui s'exprime auprès de la BBC Radio, l'avion visé par les tirs russes est "la meilleure théorie qui corresponde à tous les faits disponibles que nous connaissons". Mais il insiste: "je ne pense pas que ce soit délibéré du tout".
Ce vendredi, le président ukrainien Volodymyr Zelensky a appelé à une "enquête approfondie" sur les circonstances du drame, assurant voir une responsabilité "évidente" de la Russie dans cette tragédie. "Nous pouvons voir comment les preuves visuelles évidentes sur le site du crash indiquent la responsabilité de la Russie dans la tragédie", a-t-il déclaré sur X.
La Russie pointe les drones ukrainiens du doigt
Dans le contexte de la guerre en Ukraine, la Russie est en effet sur le qui-vive dans la région. Des attaques de drones ukrainiens avaient été rapportées ces dernières semaines dans deux régions voisines de la Tchétchénie (une république constitutive de la fédération de Russie), l'Ossétie du Nord et l'Ingouchie, à des centaines de kilomètres de la ligne de front ukrainienne.
Même si "en théorie", l'unité de défense antiaérienne ne peut pas confondre un Embraer civil avec un drone ou un avion de chasse, le général Jérôme Pellistrandi, consultant défense pour BFMTV, pointe du doigt "une erreur professionnelle extrêmement grave".
"Cela démontre la fébrilité des militaires russes qui ont détecté quelque chose et qui ont tiré sans même avoir identifié", note-t-il.
Les autorités kazakhes, alliées de Moscou, ont dénoncé des "spéculations" autour de l'accident. Quand le Kremlin a indiqué ce vendredi qu'il ne ferait pas de commentaires avant la fin de l'enquête sur le crash. "Une enquête est en cours. Nous estimons que nous n'avons pas le droit de faire des commentaires avant les conclusions de l'enquête", a déclaré à la presse le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov.
Si la Russie est pointée du doigt par l'Ukraine qui affirme que la Russie "doit être tenue pour responsable, Moscou blâme à son tour Kiev.
"À ce moment-là, des drones militaires ukrainiens menaient des attaques terroristes contre des infrastructures civiles dans les villes de Grozny et Vladikavkaz", a indiqué ce vendredi sur Telegram le patron de l'agence russe de l'aviation civile Rosaviatsia, Dmitri Iadrov.
Une déclaration qui pourrait d'un autre côté renforcer l'hypothèse d'un missile tiré par la défense antiaérienne russe contre ces drones.
"Moscou essaye de noyer le poisson"
Peu après le crash, Moscou comme l'Azerbaijan Airlines ont affirmé que l'avion avait percuté une nuée d'oiseaux. La compagne aérienne avait ensuite retiré cette information. Plusieurs experts jugent improbable qu'une telle collision ait conduit au crash. Des impacts d'oiseaux sur la structure, "ça n'empêche pas l'avion de voler", a dit un ancien expert du BEA à l'AFP.
Un ancien membre de l’US Air Force, Uri Kikaski, souligne quant à lui que les images de l'appareil montrent que les moteurs "sont intacts". "Si un moteur avait explosé à la suite d'un impact d'oiseau, il serait fumant/en feu et les passagers auraient été incités à prendre des photos, qui n'existent pas", constate-t-il sur X.
Le département régional du ministère kazakh de la Santé a lui fait état de "l'explosion d'un ballon" à bord de l'appareil.
"La stratégie de Moscou est en quelque sorte d'essayer de noyer le poisson, de retarder au maximum l'établissement des responsabilités", avance le général Jérôme Pellistrandi.
Un parallèle a été fait à plusieurs reprises entre ce crash et celui du vol MH17, le Boeing de la Malaysia Airlines, abattu par un missile sol-air, imputée par la justice néerlandaise au tir d'un missile russe, au-dessus de l'Ukraine en 2014. "La Russie n'a jamais reconnu la responsabilité dans cette affaire", abonde notre consultant défense. "Donc là, on risque d'avoir le même processus".
Des interférences GPS
Les équipements de brouillage électronique russes pour perturber les systèmes de communication des drones ukrainiens pourraient également être responsables des interférences GPS subis par ce vol J2-8243.
Grâce aux données du site de suivi Flightradar24, on aperçoit que l'avion a correctement envoyé ses données de position entre son décollage de Bakou à 3h55 temps universel (4h55 heure de Paris) et 4h25 UTC (5h25 heure de Paris). Durant ce laps de temps, l'appareil Embraer 190 suivait sa trajectoire le long de la côte est de l'Azerbaïdjan, en direction du nord.
De là, les interférences GPS ont commencé avec des périodes durant lesquelles aucun signal n'a été envoyé. Des données de position "probablement fausses" ont de nouveau été perceptibles à partir de 6h07 UTC (7h07 heure de Paris), jusqu'au crash, à 6h28 (7h28 heure de Paris), sur la côte ouest du Kazakhstan, de l'autre côté de la mer Caspienne.
Selon le patron de l'agence russe de l'aviation civile Rosaviatsia, "le commandant de bord a fait deux tentatives d'atterrissage à Grozny, qui ont échoué". "D'autres aéroports lui ont été proposés. Il a décidé de se rendre à l'aéroport d'Aktaou", a-t-il précisé sur Télégram ce vendredi.
L'équipage aurait décidé d'effectuer un atterrissage d'urgence à Aktaou, au Kazakhstan après avoir entendu un son sourd "vingt-cinq minutes avant l’arrivée programmée du vol à Grozny", donc aux alentours de 4h55 UTC, rapporte Libération. Selon le président azerbaïdjanais Ilham Aliye, ce sont les conditions météorologiques qui ont forcé l'avion à changer de cap, un épais brouillard recouvrant la capitale tchétchène.
Le patron de Rosaviatsia a lui aussi fait état ce vendredi d'un "brouillard épais" qui empêchait toute visibilité "à une altitude de 500 mètres".
"Les rapports météorologiques pour Grozny à ce moment-là indiquaient une visibilité de 3.600 mètres sur l'aérodrome avec des nuages bas, mais on ne sait pas encore si cela a joué un rôle", note de son côté Flightradar.
"Il y a bien quelque chose qui a explosé"
Outre le changement de cap, l'avion a eu du mal à maintenir son altitude en direction d'Aktaou. "L'avion n'a pas pu maintenir une altitude et une vitesse constante pendant au moins 75 minutes", rapporte Flightradar.
"Il est évident, compte tenu des écarts d'altitude et de cap, que les pilotes n'avaient pas le contrôle du gouvernail ou des gouvernes de profondeur", affirme Uri Kikaski, ancien membre de l’US Air Force sur X.
"La gestion de la trajectoire est alors assurée tant bien que mal par un différentiel de poussée entre les deux moteurs", ajoute sur X Xavier Tytelman, consultant aéronautique et défense et ex-aviateur militaire.
Avant de s'écraser, l'appareil Embraer 190 a tourné aux alentours de la ville d'Aktaou puis a plongé, percuté le sol, un gigantesque incendie se déclarant aussitôt.
"On est nombreux comme pilotes à dire qu'une partie de la gouverne arrière, qui permet de descendre et de monter a probablement été impactée. On voit que les pilotes essayent de maintenir l'axe longitudinal avec les moteurs, un coup, ils descendent, un coup, ils remontent", explique sur notre plateau, Jean Serrat, consultant aéronautique pour BFMTV.
Avant d'ajouter: "Pour nous, il n'y a pas de doute, il y a bien quelque chose qui a explosé à côté de cet avion et qui a impacté cet avion".