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Poutine en Mongolie: que risque le président russe en visitant un pays membre de la Cour pénale internationale?

Vladimir Poutine lors d'une interview avec  l'agence de presse RIA Novosti, au Kremlin, à Moscou, le 12 mars 2024.

Vladimir Poutine lors d'une interview avec l'agence de presse RIA Novosti, au Kremlin, à Moscou, le 12 mars 2024. - Gavriil GRIGOROV / POOL / AFP

Vladimir Poutine entame ce mardi 2 septembre une visite officielle en Mongolie, un pays membre de la Cour pénale internationale censée arrêter le président russe en raison du mandat d'arrêt émis contre lui.

Une visite scrutée de près par la communauté internationale. Vladimir Poutine se rend mardi 3 septembre en Mongolie, un État où il doit théoriquement être arrêté en raison du mandat d'arrêt émis contre lui par la Cour pénale internationale (CPI) en 2023.

Dans le cadre de l'invasion de l'Ukraine, le président russe est en effet accusé d'être "responsable du crime de guerre de déportation illégale" d'enfants, tout comme la commissaire présidentielle aux droits de l'enfant Maria Alekseyevna Lvova-Belova. La Mongolie ayant signé le statut de Rome (qui a fondé la CPI) en 2000, avant de le ratifier en 2002, ses autorités judiciaires sont censées procéder à l'arrestation du chef d'État russe.

"Pas d'inquiétude" au Kremlin

Ce voyage dans un État membre de la CPI est une première pour Vladimir Poutine depuis le mandat d'arrêt émis contre lui. Jusqu'ici, il a pris soin d'éviter certains pays, faisant l'impasse sur le sommet des Brics en Afrique du Sud en août 2023, puis sur celui du G20 en Inde en septembre de la même année. Il n’hésitait pas, toutefois, à se rendre en Chine, en Corée du Nord ou en Azerbaïdjan, des pays qui ne sont pas signataires du statut de Rome.

Comme tous les autres États parties, la Mongolie "a l'obligation de coopérer" avec elle, a rappelé devant la presse un porte-parole de la CPI, Fadi el-Abdallah.
Pourquoi Vladimir Poutine risque-t-il d’être arrêté en Mongolie?
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2:05

Mais selon le porte-parole de la présidence russe Dmitri Peskov, "il n'y a pas d'inquiétude" à ce sujet du côté du Kremlin. "Nous avons un excellent dialogue avec nos amis mongols", a-t-il déclaré. "Bien entendu, tous les aspects de la visite ont été soigneusement préparés", a-t-il assuré, sans donner plus de détails.

L'indépendance des juges mongols en question

La CPI n'étant dotée d'aucune force de police, c'est bien aux autorités du pays qui reçoit la personne recherchée par la CPI de l'arrêter. À en croire le Kremlin, les autorités mongoles ont donc assuré à leur hôte qu'il ne courrait aucun risque, en violation des règles de la CPI.

"Ce n'est pas le président qui arrête, ce sont les juges", précise à BFMTV.com Mathilde Philip-Gay, enseignante à l'université Lyon 3 et spécialiste du droit pénal international. "Mais la justice doit avoir pour cela l'appui de l'autorité administrative", précise-t-elle. Des conditions qui ne semblent pas réunies en Mongolie, où le système judiciaire tente petit à petit de gagner son indépendance.

Sauf retournement de situation, Vladimir Poutine ne devrait donc pas se voir passer les menottes mardi à Oulan-Bator, alors que la capitale mongole se pare de drapeaux russes pour accueillir son hôte.

Un pied-de-nez à la CPI?

La visite de Vladimir Poutine en Mongolie démontre-t-elle la faiblesse de la CPI? Oui et non, répond sur X (ex-Twitter) l'avocat spécialiste du droit international Johann Soufi. "L’effectivité de la Cour dépend largement de la coopération des États. Si les États ne coopèrent pas avec elle, alors, elle n’a qu’un pouvoir théorique (...) Au contraire, si les 125 États parties coopèrent, ou s’ils sont prêts à sanctionner ceux qui ne le font pas, alors la Cour devient extrêmement puissante", explique-t-il.

"Depuis toujours, les États sont confrontés à un dilemme: respecter le droit international et le renforcer - y compris lorsque ça n’arrange pas leurs intérêts stratégiques, ou privilégier la realpolitik et contribuer à son érosion", souligne l'expert.

Pour Mathilde Philip-Gay, la CPI garde une certaine autorité. "Poutine a voulu faire un pied-de-nez à la Cour en montrant qu'il n'a pas peur d'elle. Mais en réalité il en a bien peur, comme le montre son renoncement à se rendre en Afrique du Sud".

À force de jouer avec le feu, le président russe pourrait même finir par se brûler, poursuit la juriste, qui participe actuellement à la création d'un tribunal spécial pour juger le crime d’agression russe contre l’Ukraine. "Plus il entreprend des voyages comme celui-ci, plus il prend des risques. Par le passé, on a vu plusieurs dirigeants se faire arrêter à l'étranger alors qu'ils se sentaient en confiance", explique-t-elle, citant les exemples du dictateur chilien Pinochet à Londres ou de l'ancien président tchadien Hissène Habré au Sénégal.

Pourquoi Vladimir Poutine risque-t-il d’être arrêté en Mongolie?
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Un risque "politique" pour la Mongolie

En ce qui concerne la Mongolie, le pays d'Asie centrale serait seulement le deuxième État dans l'histoire de la CPI à refuser d'exécuter un mandat d'arrêt. Le premier avait été l'Afrique du Sud, qui avait refusé en 2017 d'arrêter sur son sol l'ancien président soudanais Omar el-Béchir, poursuivi pour génocide.

Comme Pretoria à l'époque, Oulan-Bator ne risque guère plus que des remontrances verbales. "La CPI n'a encore jamais prononcé aucune sanction contre ses membres. On peut imaginer que la conférence des États parties se réunissent pour réfléchir à des sanctions mais pour l'instant, ils n'ont pas réussi à se mettre d'accord sur leur nature", explique Mathilde Philip-Gay.

"Le risque que prend la Mongolie est surtout politique", conclut la spécialiste. En refusant d'appliquer un texte qu'elle a ratifié, le pays "se décrédibilise sur la scène internationale". Au profit de meilleurs rapports avec Moscou.

François Blanchard