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"Il y avait des risques énormes": la journaliste dissidente Marina Ovsiannikova raconte son évasion de Russie

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Marina Ovsiannikova risquait dix ans de prison après avoir brandi une pancarte contre la guerre en Ukraine à la télévision russe. L'ONG RSF l'a aidée à fuir le pays, une opération équivalente à "des grandes traversées du mur de Berlin".

Mi-mars, après le déclenchement de l'offensive en Ukraine, Marina Ovsiannikova avait interrompu le journal du soir de la grande chaîne d'État russe Pervy Kanal, où elle travaillait depuis près de 20 ans. Elle avait agité une pancarte appelant à la fin des combats et exhortant les Russes à "ne pas croire la propagande".

La journaliste encourait dix ans de prison, après avoir été inculpée en août pour "diffusion de fausses informations" sur l'armée, mais s'est échappée début octobre de Russie, grâce à l'ONG Reporters sans frontières (RSF).

"Il devait y avoir une audience au tribunal mais mon avocat a commencé à me dire officieusement que je devrais partir avant mon audience, parce que je n'avais aucune chance de gagner mon procès", raconte-t-elle sur BFMTV ce vendredi.

Avec son avocat, en septembre, elle contacte RSF. Elle "nous a dit: 'j'envisage de quitter Moscou, est-ce que RSF peut m'aider?'. On a réfléchi et on lui a dit: 'oui on est en mesure de vous aider'", explique sur notre antenne le secrétaire général de RSF, Christophe Deloire. "On a fait en sorte que l'ensemble de l'opération puisse bien se passer. Cela a été évidemment une grande affaire."

"Nous avons changé plusieurs fois de véhicules"

Plusieurs problématiques se posaient pour réussir l'opération: "Marina a été assignée à résidence, elle avait un bracelet électronique" et "il y avait autour de chez elle des proches poutinistes qui pouvaient la dénoncer s'ils voyaient qu'elle partait", explique Christophe Deloire.

La journaliste est donc "partie un vendredi soir parce que, même si [la Russie] est un appareil policier très intense, il y a beaucoup de fragilités et le vendredi soir les policiers vont boire et surveillent moins les caméras, moins les alarmes des bracelets électroniques..." raconte le secrétaire général de RSF.

Cette situation a "permis de s'engouffrer dans cette petite faille dans le dispositif et de partir".

Marina Ovsyannikova emporte également avec elle une pince pour pouvoir couper son bracelet électronique au bout d'un moment.

Sur la route, "nous avons changé plusieurs fois de véhicules, des gens nous ont transporté. Je ne peux pas dire exactement par quels trajets je suis passée", souligne-t-elle. Pour des raisons de sécurité, et pour protéger les personnes qui l'ont aidée, elle ne dit pas quelle frontière elle a franchi, ni quel a été son périple avant d'arriver en France, qui lui a offert l'asile.

"L'équivalent des grandes traversées du mur de Berlin"

Mais sur le trajet, il y a "eu des problèmes, nous nous sommes perdus", se souvient-elle, j'étais en larmes, j'étais prête à revenir, me rendre et aller en prison".

Un des véhicules empruntés s'est en effet embourbé et "il y a eu des patrouilles de police des frontières, donc j'ai dû traverser un champ, une forêt, des eaux marécageuses pour pouvoir traverser la frontière ou quelqu'un m'attendait" explique-t-elle, "finalement cela a été un succès".

Christophe Deloire souligne à plusieurs reprises la dangerosité de ce voyage, "il y avait des risques énormes, à beaucoup de moments". Selon lui, "ces derniers mois ce qu'elle a réussi c'est l'équivalent des grandes traversées du mur de Berlin, des plus grandes fuites, cela a été une histoire extraordinaire".

Marina assure ne pas regretter son geste ce jour de mars à la télévision russe, et déclare qu'elle ne pourra "jamais assez remercier reporters sans frontière pour m'avoir aidée."

Mais elle ajoute avoir "tout perdu pour pouvoir dire la vérité: j'ai perdu une partie de ma famille, mon fils et ma mère ne me parlent plus, j’ai perdu ma maison, mon travail", et aujourd'hui "il faut que je recommence tout à zéro".
Salomé Vincendon
Salomé Vincendon Journaliste BFMTV