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Indochine française: l'exposition sans rancune du Musée des Invalides

Le costume du maréchal Nguyen Tri Phuong qui résista à l'assaut des forces françaises à Hanoï, en 1873.

Le costume du maréchal Nguyen Tri Phuong qui résista à l'assaut des forces françaises à Hanoï, en 1873. - -

Pour poursuivre dans la lignée des expositions sur le passé colonial des forces armées françaises, et pour succéder à l'exposition sur l'Algérie coloniale il y a deux ans, voici "Indochine, des territoires et des hommes" 1856-1956.

Un grand raout diplomatique, et étonnant: pour montrer ce passé colonial aux épisodes sanglants, voici les ambassadeurs des trois États issus de la décolonisation (Vietnam, Laos et Cambodge), venus honorer de leur présence l'inauguration de l'exposition "Indochine, des territoires et des hommes" 1856-1956 au musée de l'Armée, aux côtés du Ministre de la Défense Jean-Yves Le Drian! Quelque chose va décidément bien, sur le plan diplomatique, entre eux et nous.

L'expo: 350 pièces, toutes françaises, qui illustrent 180 ans de contacts entre l'Indochine — concept géographique devenu politique — et la France. (Pour obtenir des pièces vietnamiennes, il aurait fallu attendre deux ou trois ans de plus pour tout acheminer du Vietnam à Paris, estime le commissaire de l'exposition, le Lieutenant-Colonel Christophe Bertrand.)

Toujours est-il que c'est Louis XVI qui, le premier, eut des rapports diplomatiques avec la Cour de Cochinchine (le Vietnam était saucissonné en trois, Cochinchine, Annam, Tonkin) sachant que l'Indochine était composée d'États parfaitement avancés, avec des administrations, des Cours et une armée. Atomisés cependant, avec le royaume de Siam (aujourd'hui appelé Thaïlande) poussant à l'ouest, et l'Empire de Chine exerçant une espèce de protectorat sur les deux-tiers du Vietnam et y maintenant des garnisons.

La Révolution française fit voler en éclats ce Traité d'assistance, entre le roi de Cochinchine, ce tiers méridional du Vietnam, (dont la lignée allait devenir Empereurs d'Annam) et le roi de France Louis XVI. Ironie onomastique: ce document mort-né s'appelait le Traité de Versailles. En 1919, les conférenciers ont signé le deuxième Traité de Versailles, et l'on peut douter qu'il y en ait jamais un troisième vu l'insuccès des deux premiers!

La conquête

Les successeurs sur le trône devinrent anti-français, et anti-catholiques et ordonnèrent massacres et supplices. Grand émoi en France, et les troupes coloniales françaises débarquèrent en 1858, non sans soutien dans la Cochinchine catholique et chez bon nombre de Mandarins et aussi des minorités ethniques. Le poids de la Chine impériale était également un motif d'approuver la conquête française. La conquête se fit par tranches, sur 30 ans.

Admirons le costume du maréchal Nguyen Tri Phuong qui résista à l'assaut des forces françaises à Hanoï, en 1873, mais dont l'ennemi Francis Garnier trouva peu après la mort lui aussi aux mains des irréguliers chinois, les terribles Pavillons noirs.

Ou à l'autre bout de l'époque coloniale, l'uniforme du dernier grand commandant en chef des forces françaises Jean de Lattre de Tassigny lors de la guerre et mort deux ans avant la grande défaite française, la bataille de Dien Bien Phu.

Que manque-t-il à cette collection sinon l'uniforme du vainqueur de cette même bataille de 1954, Vo Nguyen Giap, celui-ci qui est d'ailleurs décédé le 4 octobre 2013?

Giap, le discret symbole de la relation conflictuelle

Mais son nom est prononcé: Jean-Yves Le Drian en a fait mention sur le mode de l'historien (le ministre est agrégé d'histoire), plus neutre que le ton de Laurent Fabius, ministre des Affaires étrangères, qui salua son décès par un communiqué décrivant l'importance de cette homme qui a lutté pour la liberté de son peuple (ce qui n'a pas plu à tous les militaires, ton trop léger car Giap emprisonna et laissa maltraiter les rescapés français de la grande bataille).

Au détour d'une rencontre à l'inauguration, un ancien ambassadeur français au Vietnam, Monsieur Claude Blanchemaison, me montra son livre qui vient de paraître, "La Marseillaise du Général Giap", éditions Michel de Maule 2013. Dans l'ouvrage, il raconte cette savoureuse histoire: Giap, qui boycottait toute institution française, avait secrètement décidé de renouer avec nous. En 1989, il profita du bicentenaire de la Révolution française pour venir saluer cette révolution, en bon révolutionnaire qu'il était vraiment, à l'ambassade de France, et chanta même la Marseillaise! Pas rancunier, Giap.

Toujours est-il que les choses vont bien entre les gouvernements français, vietnamien, laotien, cambodgien.

L'ambassadeur du Vietnam, Dong Chi Dung, eut ce commentaire pour BFMTV.com: "Cela fait partie de l'histoire des deux pays, et fait partie de l'année France-Vietnam [2013-2014], des 40 ans des relations diplomatiques, et de notre partenariat stratégique". Entre historiens l'on peut donc se comprendre! Surtout lorsqu'on a signé il y a à peine un mois un partenariat stratégique bilatéral."

La bonne vieille peur de la Chine

Cette stratégie dissimule-t-elle une volonté de réfréner les ardeurs hégémoniques chinoises en Indochine? Sur ce point, il n'y a qu'à se référer à l'exposition, qui montre bien que la pénétration des forces militaires chinoises au 19e siècle au Vietnam produisit plusieurs grandes batailles contre les troupes françaises. Les troupes de la coloniale contre les Pavillons noirs, chinois. La guerre, c'est quand même un peu le domaine du Musée de l'Armée aux Invalides.

Sinon, le cycle indochinois s'accompagne d'une impressionnante exposition au Musée Guimet à Paris, "Angkor : Naissance d'un mythe - Louis Delaporte et le Cambodge", sur l'art khmer qu'un Français exhuma de l'oubli au 19e siècle; et enfin le Musée des Années Trente de la Ville de Boulogne-Billancourt, "Indochine 1920-1950 Voyages d'artistes".

Harold Hyman