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Corée du Nord

Hurlements, rires sinistres... Comment la Corée du nord utilise des nuisances sonores contre le sud

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En riposte à la diffusion de k-pop et d'informations internationales par les haut-parleurs de l'armée sud-coréenne le long de la frontière, la Corée du Nord assourdit l'île de Ganghwa de bruits de coups de feu, de hurlements et de rires sinistres.

La guerre du son. Toutes les nuits, l'île sud-coréenne de Ganghwa est bombardée de bruits à glacer le sang par la Corée du Nord, distante de deux kilomètres, une étrange campagne de guerre psychologique qui met les habitants sur les nerfs.

La Corée du Nord a commencé à émettre ces sons en riposte à la reprise, en juillet dernier, de la diffusion par haut-parleurs de k-pop et d'informations internationales par l'armée sud-coréenne le long de la frontière. Séoul avait pris cette mesure en représailles à l'envoi par la Corée du Nord de milliers de ballons chargés d'immondices vers le Sud.

Des cris déchirants

Séparée de la Corée du Nord par l'estuaire du fleuve Han, au nord-ouest de Séoul, Ganghwa était jusqu'ici surtout réputée pour ses paysages de montagnes, de rizières et de petits villages.

"D'habitude, on profitait des sons paisibles de la nature, du chant des insectes et des oiseaux", raconte à l'AFP Kim Yun-suk, 59 ans. "Maintenant, tout ce qu'on entend, c'est ce bruit."

Ahn Hyo Chol, 66 ans, se souvient des émissions de propagande nord-coréenne d'antan, qui vilipendaient les dirigeants du Sud et encensaient le régime de Pyongyang. Alors qu'aujourd'hui, "ce sont des hurlements de loups, des bruits de fantômes", dit-il. "C'est désagréable. Ça me donne des frissons. C'est vraiment bizarre."

Les autorités exhortées d'agir contre une "torture"

Pour Park Heung-yeol, conseiller municipal de Ganghwa, "ce n'est pas de la simple propagande du régime. Cela vise vraiment à tourmenter les gens". Une équipe de l'AFP s'est rendue à Ganghwa durant la nuit et a entendu ces bruits effroyables diffusés à tue-tête.

L'inquiétant mélange de râles de mourants, de crépitements d'armes automatiques, d'explosions, de rires et hurlements obsédants et de musique sinistre commence à 23 heures.

La privation de sommeil et le bruit assourdissant sont des formes de torture bien connues. Selon les experts, une exposition à plus de 60 décibels la nuit augmente le risque de troubles du sommeil. À Ganghwa, l'AFP a mesuré des bruits nord-coréens montant jusqu'à 80 décibels.

"Je me retrouve à prendre des médicaments contre les maux de tête presque tout le temps", raconte à l'AFP An Mi-hee, 37 ans, qui se plaint également d'anxiété, de douleurs oculaires, de tremblements du visage et de somnolences. "Nos enfants ne peuvent pas dormir non plus.

Ils développent des aphtes et ils s'endorment à l'école." Désespérée, An Mi-hee est même allée s'agenouiller en larmes devant les députés de l'Assemblée nationale à Séoul en octobre dernier, pour les supplier de trouver une solution.

"Infliger des souffrances aux habitants du Sud"

"Je préférerais une inondation, un incendie ou même un tremblement de terre, car pour ces événements on sait toujours qu'on finira par s'en remettre", affirme An Mi-hee. "Là, on ne sait pas si ça va continuer jusqu'à ce que la personne qui donne les ordres en Corée du Nord meure, ou si cela peut s'arrêter à tout moment. On n'en sait tout simplement rien."

Les politiciens de Séoul "devraient venir ici et essayer de vivre avec ce bruit pendant juste dix jours. Je doute qu'ils puissent le supporter plus d'une seule journée", s'énerve Choi Hyoung-chan, 60 ans, un autre habitant de Ganghwa.

Selon des ingénieurs du son consultés par l'AFP, le bruit semble être un mélange rudimentaire de clips provenant d'une bibliothèque de sons, comme celles utilisées par les stations de radio et les chaînes de télévision. "On dirait que ça sort tout droit d'un film d'horreur sud-coréen des années 1970 et 1980", estime l'un de ces ingénieurs, Hwang Kwon-ik.

Certains émettent l'hypothèse qu'en diffusant ces bruits, la Corée du Nord cherche, en fait, à noyer la propagande sonore provenant du Sud, craignant qu'elle n'incite ses troupes à la défection.

En août, juste après la reprise de la propagande par Séoul, un soldat nord-coréen avait réussi à passer au Sud à pied. Certains experts ont suggéré que la musique et les messages du Sud l'avaient encouragé à tenter la dangereuse traversée de la zone démilitarisée, infestée de mines et d'autres pièges. Mais pour Lee Su-yong, professeur de production audio à l'Institut Dong-Ah pour les médias et les arts, cette hypothèse ne tient pas debout, les haut-parleurs nord-coréens étant tournés vers le sud.

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"Si on veut masquer un son dirigé vers le nord, alors le son utilisé pour le couvrir doit aussi être dirigé vers le nord", explique-t-il à l'AFP. "Compte tenu de la structure du son, il semble qu'il s'agisse moins de masquer un bruit que d'infliger des souffrances aux habitants du Sud."

C.D. avec AFP