Aung San Suu Kyi, du sacrifice aux marches du pouvoir

L'opposante et prix Nobel de la paix birmane Aung San Suu Kyi, le 24 octobre 2015 à Rangoun. - AFP
L'opposante et prix Nobel de la paix birmane Aung San Suu Kyi, qui a fait le sacrifice de sa vie privée en devenant une dissidente politique, est enfin parvenue à 70 ans après des décennies de lutte aux marches du pouvoir. Lors des dernières élections libres en Birmanie, Aung San Suu Kyi était en résidence surveillée. Un quart de siècle plus tard, la fille du héros de l'indépendance vient de réussir son pari et de remporter la majorité absolue au Parlement, cinq ans jour pour jour après sa libération de résidence surveillée.
Des régions reculées du nord à Rangoun, pendant toute la campagne électorale, la députée a attiré les foules de Birmans de tout âge. Cinq jours après ce vote historique, elle est sur le point de réaliser son rêve de voir la Birmanie définitivement tourner la page d'un régime militaire qui a laissé le pays en ruine, opprimé la population pendant des décennies et l'a confinée pendant 15 ans.
"Une chance qui n'arrive qu'une fois dans l'Histoire"
En cas de victoire, "je dirigerai le gouvernement" et "je serai au-dessus du président" élu par les parlementaires, avait lancé Suu Kyi jeudi devant la presse internationale, défiant les lois imposées par la junte. Elle ne peut en effet prétendre devenir présidente à cause d'un article de la Constitution qui bloque l'accès à la fonction suprême pour les personnes ayant des enfants de nationalité étrangère. Or ses deux enfants sont britanniques.
"Cette élection est une grande chance de changement pour notre pays. Le genre de chance qui n'arrive qu'une fois ou deux dans l'Histoire", avait confié quelques jours plus tôt la lauréate du prix Nobel de la paix lors d'un grand meeting à Rangoun.
Un destin démocratique "à portée de main"?
Depuis dimanche, elle est des plus discrètes, dans l'attente de négociations avec le pouvoir sortant. Pour des Birmans soumis à la dureté de la vie sous une junte ayant coupé le pays du monde, Suu Kyi incarne tous les espoirs.
Le pays a connu de grands changements depuis l'ouverture du pays en 2011 mais "deux grands facteurs n'ont pas changé: l'aura charismatique de Suu Kyi et l'emprise durable de l'élite militaire", explique le politologue Nicholas Farrelly.
"Pour de nombreux électeurs de Birmanie, elle est la figure de la lutte contre l'autoritarisme dans leur pays. Ils imaginent que le destin démocratique interrompu dans les années 1990 est maintenant à portée de main", ajoute le politologue.
Fille du héros de l'indépendance
Sa récente mue en femme politique - elle est entrée au Parlement en 2012 à l'occasion d'élections partielles - a pourtant terni sa réputation d'icône des droits de l'Homme, notamment à l'étranger. Pragmatique, elle évite de s'avancer sur le sort des Rohingyas, minorité musulmane persécutée en Birmanie. Au sein de son parti, certains lui reprochent aussi son autoritarisme et le peu de place laissée aux jeunes.
L'entrée en politique de Suu Kyi n'avait rien de programmé. Après la mort de son père, le général Aung San, héros de l'indépendance assassiné en 1947 quand elle avait deux ans, la première partie de sa vie s'est déroulée en exil, d'abord en Inde puis en Grande-Bretagne. Elle y mène la vie d'une femme au foyer modèle, femme d'un universitaire spécialiste du Tibet à Oxford et mère de deux petits garçons.
Naissance d'une icône
Mais en 1988, se rendant en Birmanie au chevet de sa mère, elle arrive en plein soulèvement contre la junte, réprimé dans le sang et décide de s'impliquer dans le destin de son pays. "Je ne pouvais pas, en tant que fille de mon père, rester indifférente à tout ce qui se passait", dit-elle lors de son premier discours, à la pagode Shwedagon, en 1988, resté comme le moment où l'icône Suu Kyi est née.
Elle est autorisée à former la LND mais est rapidement placée en résidence surveillée. Elle assiste ainsi, à distance, à la victoire de son parti aux élections de 1990, dont la junte refuse de reconnaître les résultats. Les années de résidence surveillée passent, dans sa maison au bord d'un lac en plein Rangoun, où de rares émissaires et son médecin sont autorisés à lui rendre visite, ainsi que parfois ses deux garçons, restés vivre en Angleterre avec leur père. Celui-ci mourra d'un cancer sans que sa femme n'aille lui dire adieu, de crainte de ne plus être autorisée à rentrer en Birmanie. En 2010, elle est libérée après 15 ans de résidence surveillée, dont sept consécutifs, affichant toujours une détermination sans faille.