TOUT COMPRENDRE. Manifestants tués, arrestations massives... Le Venezuela dans la crise après la réélection contestée de Maduro

Un pays qui plonge peu à peu dans le chaos. Des milliers de partisans de l'opposition sont descendus dans les rues mardi 30 juillet au Venezuela pour revendiquer la victoire à la présidentielle de leur candidat, qui a interpellé l'armée et le pouvoir de Nicolas Maduro après la mort d'une douzaine de personnes et des arrestations massives.
Outre la contestation liée au scrutin présidentiel, les manifestants ont également laissé éclater leur colère concernant la situation économique du pays, extrêmement précaire et qui empire au fil des mois.
• Un scrutin entâché de fraudes?
Lundi, Nicolás Maduro, 61 ans, au pouvoir depuis avril 2013 et la mort de son prédecesseur Hugo Chavez, a été officiellement proclamé président après l'annonce de résultats par le Conseil national électoral (CNE). Sans fournir le détail des résultats, le CNE a affirmé que ce dernier a obtenu 5,15 millions de voix (51,2%) devant Edmundo Gonzalez Urrutia, 4,5 millions de voix (44,2%).
Mais l'opposante Maria Corina Machado assure que l'opposition dispose des "preuves de la victoire" grâce à la compilation de procès-verbaux. Selon elle, Edmundo Gonzalez Urrutia a obtenu environ 70% des voix.

De fait, depuis le scrutin de dimanche, un bras de fer est engagé entre le pouvoir socialiste et autoritaire, aux commandes depuis 25 ans, et l'opposition. Elle dénonce une "fraude massive" et exige un dépouillement transparent des votes, réclamé avec de plus en plus d'insistance par la communauté internationale.
Aux cris de "Liberté, liberté!", des sympathisants se sont rassemblés à Caracas et dans d'autres villes du pays pour contester la réélection annoncée. Le candidat Edmundo Gonzalez Urrutia, un diplomate discret de 74 ans qui a remplacé comme candidat Maria Corina Machado déclarée inéligible, a interpellé directement les forces armées.
"Il n'y a aucune raison de réprimer le peuple du Venezuela", a-t-il lancé devant ses sympathisants dans la capitale.
• Une répression sanglante
Cette nouvelle flambée survient alors que le Venezuela, longtemps un des pays les plus riches d'Amérique latine, est déjà exsangue, empêtré dans une crise sans précédent: effondrement de la production pétrolière, PIB réduit de 80% en dix ans, pauvreté et systèmes de santé et éducatif totalement délabrés. Sept millions de Vénézuéliens ont fui le pays.
Depuis lundi, le bilan des manifestations est d'au moins 11 civils tués, dont deux mineurs, selon quatre ONG de défense des droits humains. Alfredo Romero, responsable de l'ONG Forum pénal, s'est inquiété de "l'usage d'armes à feu". Le procureur général Tarek William Saab a fait état d'une 12e victime, un militaire tué par balle.
L'Enquête nationale sur les hôpitaux, une ONG, a dénombré 84 blessés civils, tandis que le ministère de la Défense a enregistré 23 militaires blessés.
Le parquet a fait savoir que "749 délinquants" avaient été arrêtés dans le cadre des manifestations, certains pour "terrorisme". En réponse, Nicolas Maduro a accusé l'opposition d'être "responsable de la violence criminelle", lors d'une réunion regroupant les plus hautes instances dirigeantes.
"La justice passera contre les diables et les démons", a-t-il averti devant plusieurs centaines de personnes qui ont marché jusqu'au palais présidentiel pour lui apporter leur soutien. Il a tonné contre "le fascisme" et ciblé son rival, le traitant de "Monsieur le lâche".
• Crise continentale
En Amérique latine, le scrutin vénézuélien et ces derniers jours de violences ont créé une onde de choc. L'Organisation des États américains (OEA) a dénoncé "une manipulation aberrante" lors du scrutin.
Le Brésil et la Colombie, deux pays présidés par la gauche, ont demandé une vérification du dépouillement alors que les États-Unis ont affirmé "craindre que le résultat annoncé ne reflète pas la volonté ou le vote du peuple vénézuélien".
Neuf pays d'Amérique latine (Argentine, Costa Rica, Equateur, Guatemala, Panama, Paraguay, Pérou, République dominicaine, Uruguay) ont appelé dans une déclaration commune à un "réexamen complet avec la présence d'observateurs électoraux indépendants".
Caracas a réagi en retirant son personnel diplomatique de sept pays latino-américains. Le Pérou a reconnu le candidat d'opposition comme président légitime, et le Costa Rica lui a offert l'asile politique, comme à l'opposante en chef.
Pour sa part, le président mexicain de gauche Andrés Manuel Lopez Obrador, de son côté, a demandé de "ne pas se mêler" des affaires du Venezuela, tout en plaidant pour la transparence sur les résultats.
• Quelles réaction à l'international?
Lors d'un entretien téléphonique, le président brésilien Luiz Inacio Lula da Silva et son homologue américain Joe Biden sont convenus de l'importance d'une publication des résultats détaillés complets du scrutin. A leurs yeux, cette élection représente "un moment essentiel pour la démocratie dans l'hémisphère".
Mercredi, chef de la diplomatie de l'Union européenne, Josep Borrell, a également réclamé la publication des résultats détaillés de la présidentielle.
"Nous demandons un accès immédiat aux procès-verbaux des bureaux de vote", a déclaré aux journalistes le représentant, au cours d'une visite au Vietnam. "Tant que les registres ne sont pas rendus publics et vérifiés, les résultats de l'élection qui ont été déclarés ne peuvent pas être reconnus", a-t-il insisté.
Le Haut-commissaire des Nations unies aux droits de l'homme, Volker Türk, s'est dit "extrêmement inquiet" de la situation actuelle dans ce pays "à la croisée des chemins."
En revanche, Nicolas Maduro peut se féliciter du soutien de la Chine et de la Russie, qui a appelé l'opposition à "accepter sa défaite", ainsi que de ses alliés traditionnels (Cuba, Nicaragua, Honduras et Bolivie).