Démission du président Bouteflika: pour les Algériens, son départ ne suffit pas

Leur victoire a été célébrée sans euphorie. Seuls quelques coups de klaxons ont suivi lundi l'annonce de la démission du président Bouteflika, âgé de 82 ans. Face à une contestation massive depuis le 22 février, date à laquelle il avait indiqué vouloir briguer un cinquième mandat, Abdelaziz Bouteflika va démissionner avant l'expiration de son mandat, a annoncé lundi la présidence de la République.
Avant sa démission, qui interviendra "avant le 28 avril 2019", le chef de l'Etat, au pouvoir depuis 20 ans, prendra des "mesures pour assurer la continuité du fonctionnement des institutions de l'Etat durant la période de transition", a par ailleurs précisé la présidence dans un communiqué.
Un "non-événement"
Cette démission annoncée n'a suscité aucune joie particulière à Alger. Salim, 39 ans, technicien de la santé, compare cette annonce à "un poisson d'avril". Pour Kenza, étudiante de 22 ans, "c'est un non-événement". "Boutef démissionne, et après?", note simplement Sofiane, médecin de 25 ans. Pour les Algérois interrogés par l'AFP un seul leitmotiv: le départ annoncé de Bouteflika ne suffit pas, "il faut que tout le système dégage".
Cependant, l'annonce du président n'empêche pas quelques Algériens de nourrir de l'espoir. "Les prochaines élections, j'irai voter", confie ainsi sur BFMTV un jeune Algérois qui n'avait jusque-là jamais voulu prendre sa carte d'électeur. "C'est la réelle victoire que l'on a eue pour le moment".
Mais la méfiance reste de mise. Dimanche soir, quelques centaines de personnes avaient ainsi manifesté dans la nuit à Alger après l'annonce du nouveau gouvernement jugé assez terne et loin du rajeunissement annoncé, et dont les nouvelles têtes sont essentiellement des hauts fonctionnaires. Et qui reste composé pour plus du quart (8 sur 28) de ministres de la précédente équipe, dont les deux poids lourds: le Premier ministre Noureddine Bedoui et le général Ahmed Gaïd Salah, numéro 2 dans l'ordre protocolaire.
Des enquêtes ouvertes
Outre la démission d'Abdelaziz Bouteflika, le sentiment de désagrégation du régime s'est renforcé lundi avec l'annonce par le Parquet de l'ouverture d'enquêtes pour "corruption" et "transferts illicites de capitaux", assorties d'interdictions de sortie du territoire pour les suspects. Si aucun nom n'a été cité, sont visés, selon des médias privés algériens, une dizaine de personnes, parfois membres d'une même famille, figurant parmi les hommes d'affaires les plus puissants d'Algérie et entretenant souvent des liens étroits avec les cercles rapprochés du pouvoir.
L'un des plus riches et influents patrons d'Algérie, Ali Haddad, a lui été arrêté ce week-end à un poste-frontière avec la Tunisie, pour des raisons non dévoilées. Ce PDG du principal groupe privé de BTP du pays, largement dépendant des marchés publics, est un proche du chef de l'Etat et surtout de son frère et conseiller Saïd Bouteflika.
Président démissionnaire de la principale organisation patronale d'Algérie, le Forum des chefs d'entreprises (FCE) devenu un instrument politique au service du pouvoir, il est l'incarnation aux yeux de nombreux Algériens des liens ambigus entre le pouvoir et certains milieux économiques.
Dimanche, l'autorité de l'aviation civile a également interdit tout mouvement d'avions privés appartenant à des ressortissants algériens sur les aéroports du pays. Une mesure prise, selon certains médias, pour empêcher des personnalités susceptibles de faire l'objet d'enquêtes, de fuir l'Algérie.