La façade atlantique de la France pourrait être épargnée par le réchauffement climatique

Bordeaux sous la neige. - Etienne Gérard - flickr - CC
La complexité de la science climatique fait parfois à son corps défendant le jeu des sceptiques. Qu'importe. En pleine COP23 et alors que l'année 2017 est en passe d'être recensée comme la plus chaude par l'ONU, depuis que les relevés existent et hors phénomène El Niño, une hypothèse à contre-courant retient l'attention.
Si elle se vérifiait, elle aboutirait à ce résultat contre-intuitif que le réchauffement climatique global conduirait à un refroidissement du climat sur la côte atlantique française. Pas une ère glacière, mais un mouvement capable de contrer en partie le réchauffement par ailleurs observé.
Pour en avoir le cœur net, BFMTV.com a contacté un des auteurs de l'étude parue en février 2017. Didier Swingedouw, climatologue, chercheur au CNRS et à l'université de Bordeaux, nous explique que "pendant de nombreuses années, on a pensé qu'il était possible que la circulation du Gulf Stream s'arrête". "Cette hypothèse a connu son heure de gloire dans les années 90 et 2000 avec le film Le jour d'après", complète-t-il.
Un arrêt brutal du Gulf Stream, vraiment?
Tout le monde n'étant pas au faîte de la recherche, reprenons l'explication au début. Le Gulf Stream est ce courant océanique chaud qui naît au large de la Floride et des Bahamas pour aller plonger dans l'Atlantique Nord et perpétuer un cycle de vaste brassage des eaux, de températures et de salinité différentes. Ce qu'il faut retenir est que ce "gigantesque tapis roulant" fait office de grand régulateur du climat. Le Gulf Stream apporte la douceur sur l'Europe, alors que Madrid est paradoxalement situé à la même latitude que New York. Quoique l'influence du Gulf Stream est en réalité loin d'être l'unique explication, modère Didier Swingedouw (voir l'encadré ci-dessous).
"Un rapport du GIEC (groupe international d'experts pour le climat, NDLR) de 2013 a conclu que, contrairement à ce qui à pu se passer lors des variations de Heinrich (changements brutaux du climat dus à des débâcles massives d'icebergs dans l'Atlantique Nord au cours des glaciations quaternaires, NDLR), il ne semble pas qu'il puisse y avoir un arrêt brutal du Gulf Stream, mais une diminution progressive estimée à 30%."
Du coup, d'autres scénarios plus subtils sont privilégiés et parmi eux celui d'un refroidissement régional, localisé sur la façade atlantique de l'Europe.
Le scénario du refroidissement
Pour élaborer cette nouvelle hypothèse, les scientifiques ont, à partir des données du rapport du GIEC de 2013, analysé les quarante modèles climatologiques. Dans le lot, neuf d'entre eux aboutissaient à ce refroidissement.
"Au lieu de regarder à très grande échelle, on a réduit le champ au niveau régional. On s'est intéressés à la température des eaux de surface dans l'Atlantique Nord. Nous avons découvert (à partir des données du rapport de 2013) un refroidissement important de -3° Celsius au centre de l'océan. Ceci nous a conduits à envisager un arrêt progressif sur une dizaine d'années, de la convection qui a lieu dans la Mer du Labrador - entre le Groenland et le Canada, quand, en hiver, les eaux froides et salées plongent vers le fond, dans la Mer du Labrador, et réchauffent au passage les masses d'air en relâchant l'énergie accumulée."
Or, la "fonte des glaces du Groenland et la hausse des précipitations" réduisent la teneur en sel de ces eaux, ce qui diminue à son tour la force de ce phénomène d'entraînement. Dans ce cas, la façade atlantique connaîtrait non pas une augmentation de la température, mais une baisse d'un degré, ce qui serait exceptionnel dans le contexte de réchauffement global. "Une baisse qui serait vraisemblablement plus sensible en hiver, avec des températures qui se maintiendraient dans la fourchette actuelle et pourraient même baisser, alors que les étés continueraient à être plus chauds."
Un monde d'incertitudes
Cette modération qui toucherait donc une bonne partie de la France doit-elle être comprise comme une chance? Rien n'est moins sûr, tempère Didier Swingedouw. D'une part, l'hypothèse renvoie à des modèles qui, aussi perfectionnés soient-ils, n'ont pas valeur de prophétie, explique le chercheur. Et encore, tous les modèles ne donnent pas ce résultat (seuls 9 sur 40, NDLR), qui reste une hypothèse possible de travail, mais aucunement une vérité révélée. De même, notre interlocuteur renonce à nous donner une échelle de temps quant à la réalisation du refroidissement envisagé.
D'autre part, une vérification de ce refroidissement dans nos latitudes signifierait, de manière concomitante, de sérieux problèmes ailleurs et plus précisément "dans la région du Sahel".
"Dans un scénario idéalisé - qui ne se veut pas entièrement réaliste et donc directement applicable au monde réel mais utile pour comprendre les processus et risques possibles -, l'effet simulé par les modèles est celui d'une migration vers le sud des zones de précipitations. Cette diminution des pluies sur la région sahélienne constitueraient une catastrophe pour l'agriculture avec potentiellement des dizaines de millions de personnes affectées par le manque de nourriture induit à terme."
le gulf stream souffle-t-il le chaud à madrid et le froid à new york?
Si les deux villes se situent à peu de choses près sur la même latitude, le Gulf Stream n'explique pas à lui seul la différence de climat, tempéré plutôt chaud à Madrid et continental à New York et sur toute la côte nord-est des Etats-Unis.
En réalité, explique Didier Swingedouw, "les vents dominants venant de l'ouest qui se sont refroidis en traversant les Etats-Unis et avoir été détournés par les montagnes Rocheuses vers le nord et le Canada, expliquent" aussi pour une bonne part cette différence de température.
Le Gulf Stream exerce une influence majeure, mais qui est loin d'être exclusive.