"Timbuktu", prix du Meilleur film, triomphe avec sept César

"Timbuktu" a réalisé un véritable triomphe aux César 2015, avec sept récompenses, dont celui de la meilleure réalisation et du meilleur film. - Bertrand Guay - AFP
C'est un palmarès impressionnant: nommé à huit reprises pour la 40e édition des César, Timbuktu n'est passé pas loin du carton plein, ce vendredi soir: le film du réalisateur mauritanien Abderrahmane Sissako a raflé pas moins de sept prix, dont celui du Meilleur film et de la Meilleure réalisation.
Première fois, dans l'histoire des César, que cette haute récompense est attribuée à un réalisateur africain. Retour sur le film événement qui a marqué cette grande soirée du 7e art.
Un éclairage lumineux et d'actualité sur l'extrémisme
Chronique de la vie quotidienne dans le nord du Mali sous la coupe des jihadistes, Timbuktu a reçu ce vendredi l'une des plus belles récompenses décernées par le monde du cinéma française, le César du meilleur film. Ce film porte un éclairage lumineux sur l'extrémisme, qui trouve une résonance particulière dans l'actualité, avec l'émergence du groupe Etat islamique en Irak et en Syrie ces derniers mois.
Une résonance qui touche aussi particulièrement la France, qui a encore des milliers d'hommes mobilisés dans le Sahel pour lutter contre le jihadisme, et qui pleure régulièrement la perte d'enfants partis faire le jihad.
Un hommage à la France
Un pays qu'Abderrahmane Sissako n'a pas oublié de saluer, lors de ses nombreuses montées sur la scène vendredi soir. "La France est un pays magnifique, parce qu'elle est capable de se dresser contre l'horreur, contre la violence, l'obscurantisme", a déclaré le réalisateur, qui est donc également devenu le premier Africain à décrocher le César du meilleur réalisateur.
"La France est un pays magnifique, parce qu'elle est capable de se dresser contre l'horreur, contre la violence, l'obscurantisme", a dit vendredi soir le réalisateur.
Un film tourné en Mauritanie
Le film, qui devait initialement être tourné au Mali, l'a finalement été sous protection militaire à Oualata, dans le sud de la Mauritanie, le pays d'Abderrahmane Sissako, à l'exception de quelques plans filmés presque clandestinement à Tombouctou même.
Le scénario est inspiré de faits réels: Tombouctou a bien été occupé pendant près d'un an en 2012 par Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi) et Ansar Dine (Défenseurs de l'islam) qui ont laissé de profondes cicatrices - amputations, coups de fouet aux couples "illégitimes", aux fumeurs, brimades et humiliations - avant d'en être délogés par les forces françaises début 2013 via l'opération Serval.
Tombouctou est dans le film une ville morte. Dans les rues de la ville ocre, des jihadistes armés d'AK 47 font régner la terreur: cigarettes et musique interdites, plus de football, gants et voile obligatoires pour les femmes, mariages forcés avec des "combattants"..
Des situations incongrues
Le réalisateur réussit à introduire de l'humour dans les situations les plus incongrues, lorsque les jihadistes tentent d'imposer des gants de laine à la marchande de poisson, ou lors d'une scène de football d'anthologie, où les gamins jouent sans ballon avec un sérieux époustouflant, mimant passes et buts!
Les jihadistes -dont certains parlent parfaitement français, y compris avec l'accent des banlieues - nagent en pleine contradiction: deux d'entre eux, après avoir débattu avec passion de Zidane et Messi, condamnent quelques heures plus tard un jeune homme à 20 coups de fouets pour avoir joué au ballon.
Un film lumineux
Pour les offenses les plus graves, c'est la mort. "Où est le pardon, la clémence? Où est Dieu dans tout ça?" interpelle en vain l'imam local.
A l'écart de cette folie, sous leur tente en plein désert Kidane, sa femme Satima et leur fille Toya vivent heureux en compagnie d'Issan, le petit garçon qui garde leur bétail.
Une querelle avec un voisin, qui tue la meilleure vache du troupeau, va conduire Kidane à commettre l'irréparable et à tomber entre les mains des jihadistes... La caméra capte la beauté lumineuse de la vie du désert, caresse les traits des femmes, dans des scènes tour à tour lyriques, tendres, brutales ou désespérées.
Un fait divers survenu au Mali a décidé Abderrahmane Sissako à écrire "Timbuktu": "l'élément déclencheur a été la lapidation d'un couple non marié dans un village au nord du Mali" en juillet 2012, explique-t-il.
"Leur mise à mort fut diffusée sur internet et cette atrocité innommable s'est produite dans l'indifférence totale des médias et du monde". Depuis, on ne compte plus les vidéos d'exécutions diffusées par les jihadistes sur internet.
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