La BD de la semaine: Singeon et Agnès Maupré commentent Tristan et Yseult

LA BD DE LA SEMAINE - Le duo Singeon et Agnès Maupré propose une relecture surprenante du célèbre mythe.

Romans, tableaux, opéras, films et maintenant bande dessinée. Le mythe de Tristan et Yseult ne cesse d’inspirer les créateurs. La scénariste Agnès Maupré et le dessinateur Singeon ont cosigné aux éditions Gallimard une surprenante relecture du célèbre mythe. Une adaptation moderne avec un choix de couleurs très osé. Ils racontent les coulisses de leur création.

- © Copyright Gallimard 2017

La genèse d’un projet … à l’univers très coloré

Agnès Maupré: "Tristan et Yseult est une histoire que j'ai lue ado, une de mes premières lectures de grande. Le récit est parsemé d'images fortes et de sortes de blagues narratives. Au fil des ans, je l'ai raconté à plein de gens qui ne l'avaient pas lu, comme je m'en souvenais. Et puis, au master de création littéraire du Havre, que j'ai suivi pendant deux ans, il y a eu un cours merveilleux de littérature médiévale qui a réactivé mon désir de mythe. L'enseignante, Laurence Mathey, postface d'ailleurs le livre." Singeon: "La lecture du roman m'avait marqué adolescent mais ce sont les dix premières pages scénarisées par Agnès qui m'ont fait embarquer. J'ai tout de suite vu le plaisir que j'aurai à mettre en scène sa vision enflammée. J'ai une approche très subjective de la couleur, j'essaie de retranscrire une certaine idée d'une scène plutôt qu'essayer d'approcher un réalisme chromatique. J'ai essayé de m'imposer une palette limitée mais très vite j'ai voulu explorer des variations de tons, quitte à faire changer les couleurs d'une nuit à l'autre, en fonction de la charge émotionnelle de la scène. Un corps la nuit peut donc être rose, vert, bleu ou jaune, c'est l'émotion de la scène qui dicte la gamme." Agnès Maupré: "Les couleurs... Singeon a une palette particulière, inventive et pop et je ne l'ai pas poussé à la modération. Ce n'est pas un récit réaliste et je milite pour le droit au rose pour les dragons. Pas de raison que ce soit réservé aux licornes."

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Avant Tristan et Yseult, des poissons amoureux

Singeon: "Toutes les créatures marines sont irrésistiblement attirées par les pieds d'Yseult, c'est une image qui annonce le pouvoir du philtre, elle fonctionne un peu comme une mise en garde, que Bringien [la servante d’Yseult, NDLR] répète ensuite dans son échange avec Yseult." Agnès Maupré: "Yseult dilapide son philtre d'amour en en versant des gouttelettes dans la mer. Elle est donc suivie par un banc de poissons amoureux. C'est ça, l'amour. Une gouttelette dans la mer, mais quelle gouttelette!"

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Des scènes muettes

Agnès Maupré: "Les personnages ont tous une copieuse quantité de dialogues. Le plus taiseux est peut-être Tristan, mais quand-même. Les séquence muettes reposent un peu et les interactions se font à un autre niveau: un geste, un regard. Comme là, l'électricité qui traverse les héros quand ils se touchent." Singeon: "Dès lors que les dialogues ne sont pas nécessaires, Agnès n'a pas peur de laisser les dessins raconter l'histoire. Elle sait être délicieuse dans son écriture et navigue à merveille entre lyrisme et prosaïsme, mais quand l'action suffit, elle fait confiance à la scène, aux postures des personnages et à l'ambiance pour en raconter tout autant. C'est aussi un signe de confiance envers moi, car sans dialogue, il faut être encore davantage lisible dans le dessin. Agnès m'a laissé faire tout le découpage du livre d'après un scénario qui n'était pas divisé en planches. C'est un plaisir de choisir le rythme des pages et de ménager des pauses au milieu d'un dialogue pour s'appesantir sur ce qui vient d'être dit. Je savais que je pouvais compter sur ses retours pour me pointer des passages plus faibles et même me proposer un découpage pour un passage qui lui tenait à cœur." Agnès Maupré: "Singeon aime bien montrer et avoir pleins de retours (alors que moi, je suis un ours). Il était libre de faire ce qu'il voulait au découpage et il nous montrait son crayonné, à moi et à Gallimard. Et selon les remarques, il rebossait (y compris ses auto-remarques, il est assez perfectionniste). Il y a des scènes qui sont sorties d'un coup, et d'autres qui sont le fruit de strates de réflexion. Moi, j'ai bien aimé lancer du texte et voir revenir de merveilleux dessins. Scénariste, c'est pas mal. Et travailler avec un ami très cher, c'est bien aussi. On s'est retrouvés à la fin de livre pour tripatouiller ensemble les couleurs. On s'est disputés, on a rigolé, j'ai collé un peu de rose fluo partout, on a cumulé son sens des couleurs qui piquent et le mien. J'espère qu'on refera ça un de ces jours…"

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Une histoire d’amour se déroulant l’été, puis l’amour

Singeon: "C'est une question de contraste. A ce moment là de l'histoire, nos héros exilés tentent de survivre à l'hostilité de la saison froide. Il fallait donc les avoir d'abord suivi dans le confort d'un printemps floral et d'un été joueur pour mieux ressentir leur détresse physique au sein de cet hiver rigoureux." Agnès Maupré: "Quand on tombe amoureux il fait toujours beau. Les amoureux bannis vivent assez bien dans les bois jusqu'à ce que l'hiver vienne, menant à leur séparation. Je ne suis pas sûre d'avoir donné beaucoup d'indications climatiques. C'est un peu du climat émotionnel. Il y a de la brume quand ils sont tristes, une tempête quand Tristan se meurt..."

Tristan et Yseult, Singeon (dessin) et Agnès Maupré (scénario), Gallimard, 152 pages, 22, 50 euros.

Jérôme Lachassse