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"Des anticorps extraordinaires": un Américain mordu près de 200 fois par des serpents à l'origine d'un antivenin "sans précédent"

Un cobra égyptien (Photo d'illustration)

Un cobra égyptien (Photo d'illustration) - -

Cette découverte pourrait constituer un tournant en matière de santé, alors que 140.000 personnes meurent chaque année à cause de serpents. Sans compter, les nombreux amputés et invalides à la suite de morsures.

Un passe-temps comme un autre. Depuis 18 ans, Tim Friede s'injecte délibérément du venin de serpent, à raison de 200 morsures et plus de 700 piqûres réalisées à partir du poison de mambas ou encore de cobras. À tel point qu'il est à l'origine d'un antivenin "sans précédent", rapporte la BBC samedi 3 mai, citant plusieurs scientifiques.

Selon les tests menés sur des animaux, les anticorps retrouvés dans le sang de ce citoyen américain protègent contre des doses mortelles d'une majorité d'espèces.

Cette découverte pourrait constituer une étape importante dans la recherche d'un antivenin universel. Sachant que ces reptiles tuent jusqu'à 140.000 personnes par an et en laissent trois fois plus avec des amputations ou des invalidités permanentes.

"Un mode de vie"

Au départ, Tim Friede voulait renforcer son immunité pour se protéger lorsqu'il manipulait des serpents, en documentant ses exploits sur YouTube. Mais cet ancien mécanicien a avoué s'être "complètement planté" au début, lorsque deux morsures de cobra l'ont plongé dans le coma.

Dès lors, sa motivation a été de développer de meilleures thérapies pour le reste du monde: "C'est devenu un mode de vie et j'ai continué à pousser, pousser et pousser aussi fort que possible, pour les gens qui meurent de morsures de serpent à 8.000 kilomètres de chez moi."

"Je ne voulais pas mourir. Je ne voulais pas perdre un doigt. Je ne voulais pas manquer le travail", a-t-il déclaré à la BBC.

Jusqu'ici, les antivenins -fabriqués en injectant de petites doses de poison à des animaux comme des chevaux, afin que leur système immunitaire produise des anticorps ensuite récoltés- doivent étroitement correspondre à l'espèce de serpent concernée.

Concrètement, un même antivenin ne fonctionne pas de la même manière, qu'il s'agisse d'une morsure de taïpan ou de crotale en raison des toxines variant d'une espèce à l'autre. Il existe d'ailleurs une grande diversité au sein d'une même espèce: l'antivenin fabriqué à partir de serpents en Inde est moins efficace contre la même espèce au Sri Lanka, indique la BBC.

Des souris ont résisté aux morsures de 13 espèces sur 19

Une équipe de chercheurs a justement entamé des recherches pour un anticorps ciblant les parties communes à une majorité de toxines. C'est alors que le Dr Jacob Glanville, directeur général de la société de biotechnologie Centivax, a rencontré Tim Friede.

"Immédiatement, je me suis dit que si quelqu'un au monde avait développé ces anticorps à large neutralisation, c'était lui, et je l'ai contacté, a-t-il déclaré. Lors du premier appel, j'ai dit: 'Cela risque d'être gênant, mais j'aimerais beaucoup mettre la main sur un peu de votre sang'".

Le cobaye a accepté et la recherche s'est concentrée sur les élapidés, l'une des deux familles de serpents venimeux, qui utilisent des neurotoxines pour paralyser leur victime et bloquer les muscles nécessaires à la respiration. Les scientifiques ont donc cherché dans le sang de Tim Friede des défenses adaptées.

Leurs travaux, présentés en détail dans la revue Cell, ont permis d'identifier deux anticorps largement neutralisants pouvant cibler deux classes de neurotoxines. Ils y ont ajouté un médicament ciblant une troisième classe pour constituer leur cocktail.

Celui-ci a permis à des souris de survivre à des doses mortelles de 13 des 19 espèces lors des expériences. Les rongeurs ont bénéficié d'une protection partielle contre les six restants. Il s'agit d'une protection d'une ampleur "inégalée", selon le Dr Glanville, qui a expliqué qu'elle "couvrait probablement toute une série d'élapidés pour lesquels il n'existe pas d'antivenin à l'heure actuelle".

L'antidote encore loin d'être testé sur l'homme

"Je pense que dans les 10 ou 15 prochaines années, nous aurons quelque chose d'efficace contre chacune de ces classes de toxines", a déclaré le professeur Peter Kwong, l'un des chercheurs de l'université de Columbia, alors que les vipères (l'autre catégorie de serpents) s'appuient sur des toxines agissant sur le sang.

"Les anticorps de Tim sont vraiment extraordinaires. Il a appris à son système immunitaire à obtenir une reconnaissance très large", a ajouté le professeur Kwong auprès du média britannique.

"Il ne fait aucun doute que ce travail fait avancer le domaine dans une direction passionnante", a commenté le professeur Nick Casewell, qui dirige le centre de recherche et d'intervention sur les morsures de serpent à l'école de médecine tropicale de Liverpool. Selon lui, il reste néanmoins "beaucoup de travail à faire". L'antivenin doit encore faire l'objet de tests approfondis avant de pouvoir être utilisé chez l'homme.

"Je fais quelque chose de bien pour l'humanité et c'était très important pour moi. J'en suis fier. C'est vraiment cool", se réjouit tout de même Tim Friede.

Gabriel Joly