"C’est le contraire d’internet": on a demandé à une spécialiste de Youtube son avis sur les podcasts de François Bayrou (et il y a du boulot)

"Tous les responsables politiques partent en vacances bien méritées." Tous, sauf un. Cet irréductible politique, c’est François Bayrou. Cet été, le Premier ministre a décidé d’entamer une reconversion pour devenir youtubeur.
Le 5 août dernier, l’homme politique a lancé sa propre chaîne Youtube, baptisée sobrement FB Direct. L’objectif? S’adresser directement aux Français, "sans mise en scène", pour leur donner sa vision du budget 2026 et surtout, les convaincre de la nécessité de mettre en place d'importantes économies largement critiquées.
"Dans les semaines qui viennent, j’aimerais échanger avec vous sur la nécessité qui est devant nous et que nous ne pouvons pas mettre de côté", lance-t-il avec gravité dans sa première vidéo.
Rythme monotone et ton professoral
"Le Premier ministre est dans un contexte d’opposition forte. Il doit faire passer des mesures difficiles à accepter", observe Stéphanie Laporte, fondatrice de l’agence social media Otta, auprès de Tech&Co. "Alors, il essaye de passer par un canal de communication plus populaire."
Le hic, c’est que ce nouveau format peine à convaincre les internautes. Les vues des vidéos de François Bayrou, suivi par quelques 8.000 abonnés, sont en chute libre. Si son premier podcast cumule plus de 126.000 vues, ses autres contenus ne dépassent pas la barre des 40.000 visionnages. Une de ses vidéos plafonne à 7.500 vues.
Il faut dire que les podcasts, qui durent généralement moins de cinq minutes semblent pourtant très longs à regarder.
"Le rythme est monotone", regrette Stéphanie Laporte. "Ça mériterait des changements de plan et des coupes plus dynamiques."
Mais surtout, le ton du politique laisse à désirer. "François Bayron adopte un ton très professoral, loin d’être adapté aux codes de Youtube", souligne Stéphanie Laporte. "On ne peut pas parler aux internautes avec des discours, comme si on était à l’Assemblée nationale."
L’arrière-plan, un élément essentiel de Youtube
La première production du Premier ministre donne ainsi une longue définition du surendettement, évoquant notre "responsabilité envers les générations futures", et pointant du doigt à plusieurs reprises les internautes à travers la caméra.
"Il pourrait ajouter du langage direct, des anecdotes, des phrases d'accroche… Il faut plus d’interaction", conseille Stéphanie Laporte.
Autre problématique, le cadrage et le décor. En effet, le locataire de Matignon a fait le choix de parler directement depuis son bureau. Un décor sobre. Peut-être un peu trop pour les utilisateurs de Youtube, habitués aux vidéos hyper montées dans des décors très colorés.
"Il a choisi un arrière-plan neutre, qui ne dit rien de lui. Pourtant, les arrières plan des streamers sont une partie essentielle de leurs vidéos. Ils parlent de leur personnalité", observe Stéphanie Laporte. Elle conseille plutôt à François Bayrou de sélectionner des livres, des photos ou même des plantes pour animer la vidéo.
"Quand le discours devient plat, l’arrière-plan l’est aussi. Alors les internautes décrochent vite."
De la même manière, certaines de ses vidéos face caméra sont mal cadrées. C’est par exemple le cas de la deuxième vidéo, "l’épisode le moins abouti en terme de réalisation", note Stéphanie Laporte. Le podcast présente en François Bayrou… en ultra gros plan. Globalement, "l’angle des vidéos est assez bas, ça tasse. L’éclairage est mauvais. On a l’impression que c’est une visioconférence pendant le Covid", poursuit l’experte.
Des vidéos trop promotionelles
Le changement de ligne éditoriale semble également avoir laissé dubitatif les internautes. "On voit qu’il tâtonne. Il essaye des choses", confirme Stéphanie Laporte. "Mais ça reste très institutionnel."
François Bayrou, qui s’est initialement lancé dans les vidéos face caméra, s’est finalement amusé à publier deux reportages. On le voit ainsi, dans la vidéo publiée le 7 août, aux côtés des pompiers luttant contre les incendies dans l’Aude puis, le lendemain, auprès d’élus et d’habitants de Charente-Maritime.
Une mise en scène loin du contenu authentique et sans filtre promis par le politiue, donc. Ces vidéos ressembleraient presque à des clips de campagnes. Et ces contenus promotionnels sont loin de plaire aux internautes. Les chiffres sont sans appel. Les reportages ne dépassent pas les 10.000 vues. C’est trois fois moins que certaines vidéos face caméra.
Pire, dans le cinquième épisode, François Bayrou a décidé, non pas de répondre aux Français, mais à Sophie Binet, secrétaire générale de la CGT. "Sophie Binet a écrit que le gouvernement choisissait de passer en force (sur le budget, NDLR). Ce n’est pas vrai", entame-t-il dans sa vidéo, avant d’expliquer son choix pendant quatre longues minutes.
"C’est le contraire d’internet"
Un choix qui semble avoir déplu aux utilisateurs. "Ce n’est pas sérieux. Vous ouvrez une chaîne Youtube pour 'échanger avec les Français', ils jouent le jeu, ils vous laissent des commentaires, mais vous n’y répondez jamais, et vous choisissez de répondre à… Sophie Binet qui, sauf erreur, n’a pas laissé de commentaire ici", s’exclame un utilisateur sous la vidéo.
La promesse de pouvoir "échanger" avec le chef du gouvernement n’est en effet pas tenue. François Bayrou s’exprime seul, choisit lui-même le sujet et n’est jamais confronté aux internautes. Pire, lors du lancement de sa chaîne, l’espace commentaire était tout simplement… fermé.
"C’est le contraire d’internet, qui valorise la communication horizontale", glisse Stéphanie Laporte.
Le Premier ministre exhortait pourtant à plusieurs reprises les Français de lui répondre. "Si quelqu’un pense que je me trompe, qu’il s’exprime. Pour l’instant, je n’ai entendu personne dire que ce danger n’existe pas", propose l’homme politique par deux fois dans sa première vidéo.
Depuis, François Bayrou semble avoir entendu les critiques et tente de redresser la barre. L’espace commentaire à été ouvert aux internautes. Dans son dernier format, le Premier ministre a présenté deux solutions pour aider les internautes à lui poser des questions ou à apporter des suggestions pour le plan d’action 2026.
Varier les formats et miser sur la spontanéité
Les Français peuvent donc participer en lui écrivant directement (sur fbdirect@premier-ministre.gouv.fr) ou via la nouvelle version de l'application gouvernementale Agora. "Ce sont des méthodes très formelles. Le mail, c’est du siècle passé, on ne fait pas vivre le contenu", déplore Stéphanie Laporte.
"Si François Bayrou veut réussir, il doit passer du pupitre aux pixels", insiste Stéphanie Laporte.
Pour cela, l’experte en réseaux sociaux lui conseille de davantage interagir avec son audience, d’ajouter de la spontanéité et de personnaliser son arrière-plan. L’apprenti créateur de contenus peut également travailler sur son calendrier de publication, pour le moment assez aléatoire, et sur la création de différents formats identifiables.
"La fidélité sur Youtube se construit sur un calendrier, pas un programme politique", ajoute Stéphanie Laporte. "Il peut par exemple faire des débriefs d’actualité, créer des formats 'le café avec Bayrou', le matin, éventuellement faire des lives voire, si ça commence à fonctionner, inviter des créateurs de contenus ou des économistes pour tenter de comprendre comment la France pourrait répondre aux problèmes de demain."
François Bayrou n’est pas le premier politique à se lancer sur les réseaux sociaux. Ainsi, Jean-Luc Mélenchon domine le Youtube politique français avec 1,18 million d’abonnés. Plusieurs de ses vidéos dépassent le million de vues. "Il a su adopter le ton ‘internet’ et varier les formats", estime Stéphanie Laporte." En plus des extraits de passages dans les médias ou de meetings, il propose des formats où il s’adresse directement à la caméra, en reprenant certains des codes de Youtube et en multipliant les punchlines "qui ont un fort potentiel de viralité", conclut l’experte.