"Leur audience faible est une force": pourquoi les marques s'intéressent aux micro-influenceurs

"J'adore vous partager des bons plans et là, je vous propose une pépite." Sourire aux lèvres Charlotte, alias Chaa_pr sur Tiktok, présente fièrement la nouvelle offre Disney+. "Jusqu'au 21 janvier, profitez de l'offre Disney+ standard avec pub pour seulement 1,99 euro par mois pendant 12 mois."
"Oui, vous avez bien entendu. Et en plus, c'est sans engagement annuel. C'est fou non?", s'exclame-t-elle. Ce discours, plus de 98,3 millions d'internautes l'ont entendu sur l'application de vidéos courtes.
Moins de 100.000 abonnés au compteur
Ce n'est pourtant pas la première fois que Charlotte réalise une collaboration avec une marque. Elle a déjà travaillé avec People Convention, Popcorn Nation ou encore l'application de blind test Bandle. Car depuis plusieurs années, les annonceurs sont de plus en plus nombreux à s'intéresser aux micro-influenceurs.
Avec moins de 100.000 abonnés au compteur, les vidéastes comme Charlotte sont considérés comme des micro-influenceurs. D'après une étude de Dentsu Insights, la France en compte entre 150.00 et 20.000. "Certes, leur visibilité n'atteint pas celle des stars de l'influence. Mais cette audience relativement faible est une force aux yeux des annonceurs", observe Rien Nathaël Duboc, directeur général de l'agence Dentsu Creative. auprès de Tech&Co.
"Les micro-influenceurs sont très proches de leurs abonnés. Résultat, leurs communautés de niche sont généralement plus engagées et, donc, à l'écoute des recommandations."
Charlotte s'est lancée sur Tiktok en février dernier en proposant à sa communauté des playlists de "bangers oubliés", ces tubes qui ont cartonné il y a quelques années, mais dont personne ne se rappelle. "J'étais super contente d'avoir trouvé une communauté qui partage les mêmes contenus", sourit-elle. Depuis, la jeune femme de 24 ans s'est diversifiée. Elle s'amuse à faire des storytimes (raconter en vidéo une anecdote), propose des playlists thématiques ou distille des anecdotes de pop culture à ses 100.000 abonnés sur Tiktok.
"On a une vie similaire"
"On a une vie similaire sur plein d'aspects avec mes abonnés. On a vu les films, écouté les mêmes musiques... On a beaucoup de centres d'intérêt en commun", note la créatrice de contenus.
"Et puis, je suis proche de ma communauté. Je fais beaucoup de lives pour leur parler, je réponds aux commentaires et on discute beaucoup autour de films", poursuit-elle. "Ça prend du temps", ajoute Trips with Eva pour Tech&Co, "mais c'est essentiel de discuter avec les abonnés pour créer du lien."
De son côté, la jeune femme de 26 ans s'est lancée sur Instagram il y a six ans, mais ce n'est que depuis un an et demi qu'elle "s'y met à fond" pour monétiser son contenu. Également présente sur Tiktok, la vidéaste partage ses conseils voyage à sa communauté de 47.000 abonnés. "Je donne des idées de week-end à faire, des conseils ou encore les erreurs à éviter dans certains pays", liste Eva. "Ça crée toujours beaucoup de discussions dans les commentaires. Certaines de mes abonnées sont mêmes parties ensemble en voyage."
Ce lien ne s'évapore pas instantanément quand l’influenceur franchit le cap du millier d’abonnés. "Mais mathématiquement, les créateurs de contenu ne peuvent pas avoir une relation directe avec tous leurs abonnés", complète auprès de Tech&Co Claire Mariat, directrice adjointe RP & Influence de l'agence Ogilvy Paris.
La fin des influenceurs-sandwichs?
L'autre atout des micro-influenceurs, c'est l'authenticité. "Je ne scripte jamais mes vidéos. Des fois, je peux dire des termes comme 'meuf' ou 'genre', mais c'est ce côté 'naturel' que mes abonnés aiment", estime Charlotte. "Je suis toujours honnête", assure Eva. "Quand je suis déçue, je le dis. Ça peut m'apporter les foudres du pays ou de l'établissement dont je parle, mais au moins, mes abonnés savent que quand je recommande un lieu, c'est sincère."
Alors que les internautes ont de moins en moins confiance dans les influenceurs, accusés de faire des partenariats à outrance - sans forcément donner leur avis honnête, les micro-influenceurs, eux, sortent du lot.
"Les grosses têtes d'affiche passent parfois pour des hommes ou des femmes-sandwichs et passent d'une marque à l'autre. Leur relation avec l'enseigne peut être assez opportuniste et n'a pas toujours de sens", analyse Nathaël Duboc.
Or, "les consommateurs sont à la recherche d'authenticité. Ils veulent des avis honnêtes et transparents, qu'ils retrouvent plus facilement chez un micro-influenceur."
Les partenariats avec ces influenceurs peuvent prendre différentes formes. Certaines marques envoient gratuitement des produits en échange d'une vidéo, comme du maquillage. Un système qui permet au créateur de contenus de tester le produit pour sa communauté, et aux marques d'avoir un retour client gratuitement puisque les influenceurs n'obtiennent pas de contrepartie financière.
D'autres annonceurs rémunèrent les vidéastes contre une publication, les fameux "partenariats rémunérés", ou proposent un système de liens affiliés, via lesquels les créateurs vont gagner un pourcentage sur les ventes.
Des clics, des likes et des ventes
Mais quel que soit le type de partenariat choisi, les marques tentent de cibler des communautés constituées autour de centres d'intérêt spécifique. "Il y a beaucoup de collaborations dans la food, la mode, le lifestyle et le gaming. En général, les marques ciblent des influenceurs spécialisés dans ces domaines. Non seulement, ils ont une expertise particulière, mais leurs audiences correspondent aux cibles des marques", décrypte Claire Mariat.
C'est comme ça que Chef Citron, spécialisé dans la cuisine, a collaboré avec HelloFresh ou que Tefal a misé sur Claude et Josette, des influenceurs seniors adeptes des recettes de grand-mère.
" La plupart des marques ne se contentent pas d'un nombre de vues. Elles veulent de l'engagement", insiste Claire Mariat. Soit des clics, des likes et des commentaires. "Le taux d'engagement est beaucoup plus fort chez les influenceurs entre 30.000 et 100.000 abonnés, que chez des plus gros influenceurs."
Un constat qui s'observe sous les vidéos de Charlotte. "Même quand ma vidéo ne fait que 10.000 vues, j'ai au moins 1.000 likes. C'est énorme comme ratio. Une de mes vidéos sur les coques de téléphone a même dépassé le million de vues", rapporte-t-elle.
Et engagement rime souvent avec vente à la clé. Selon le Digital market Institute, 49% des consommateurs écoutent les recommandations des influenceurs. "Un jour, j'ai parlé de Bandel, une application de blind test à ma communauté. Ça cartonnait, je faisais 300.000 vues par vidéo", se souvient Charlotte. À tel point que la vidéaste a été contactée par le PDG de l'application qui, fasse à la hausse du nombre de téléchargements suscité par Charlotte, lui a proposé un partenariat. "Ma communauté est très à l'écoute", confirme-t-elle.
"Tu ne sais pas ce que tu vaux"
Mais malgré l'intérêt des marques, la plupart des micro-influenceurs ne vivent pas de leurs activités de création de contenus. "Ce n'est pas une solution pérenne", tranche Charlotte. "Il faudrait que je fasse beaucoup plus de partenariats pour en vivre. Surtout que l'argent arrive parfois 60 jours après la diffusion des vidéos." Un avis partagé par Trips with Eva. "C'est surtout une passion", précise l'influenceuse qui est également en CDI. "Je ne peux pas en vivre, mais c'est un très bon complément de revenus."
Le problème, c'est "qu'en tant que créatrice de contenus, tu ne sais pas ce que tu vaux, surtout quand tu n'es pas dans une agence", déplore-t-elle. En moyenne, une vidéo sur Tiktok peut être rémunérée entre "150 et 600 euros, mais ça dépend de beaucoup de facteurs", chiffre Trips with Eva. Elle estime avoir gagné 5.000 euros "après les cotisations" en 2024 grâce aux vues et aux partenariats.
"C'est une économie de moyens non négligeable", concède Nathaël Duboc. La rémunération est presque "multipliée par dix" entre un micro-influenceur et un macro-influenceur. "Mais c'est aussi une façon de créer une relation de long-terme avec des créateurs." Surtout quand ces derniers ont le potentiel de grandir vite et de devenir des top influenceurs, ces vidéastes au-dessus de 400.000 abonnés.