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Voyages, publicités... Comment certains influenceurs essaient de limiter leur impact écologique

Mateo Bales/Charlotte Lemay/ Paye ton influence sur Instagram le 19 mai, le 13 octobre et le 4 octobre 2024

Mateo Bales/Charlotte Lemay/ Paye ton influence sur Instagram le 19 mai, le 13 octobre et le 4 octobre 2024 - Mateo_bales/chamellow/payetoninfluence/ Instagram

Certains influenceurs tentent de concilier leur activité avec les enjeux écologiques. Ils refusent de nombreuses collaborations commerciales, essaient de faire évoluer les marques avec lesquelles ils travaillent, même si ces choix signifient renoncer à certaines sommes d'argent.

Il y a quelques semaines, Charlotte Lemay a refusé un contrat de plusieurs dizaines de milliers d'euros proposé par une compagnie aérienne. "Je n'ai pas hésité, parce que sinon, ma carrière n'aurait aucun sens", explique cette instagrameuse engagée sur les problématiques environnementales, connue sous le pseudo chamellow. Comme elle, de plus en plus d'influenceurs et d'influenceuses essaient d'exercer leur métier de manière responsable, dans un monde marqué par les conséquences du réchauffement climatique.

Alors qu'il est "quasiment certain que 2024 sera l'année la plus chaude jamais mesurée" dans le monde, devant le record de 2023, selon l'observatoire européen Copernicus, les influenceurs sont de plus en plus scrutés sur ce qu'ils choisissent de mettre en avant.

En septembre, la youtubeuse Gaelle Garcia Diaz a ainsi reçu de nombreuses critiques pour avoir organisé un voyage avec d'autres influenceuses au Japon afin de promouvoir sa gamme de produits pour les cheveux. "J’avoue que j’ai du mal actuellement avec la multiplication des voyages lointains de certaines influenceuses… Prendre autant de fois l’avion sur une année, c’est abusé", a-t-elle par exemple reçu en commentaire sous une de ses vidéos. De fait, pour limiter le réchauffement climatique à 2°C en 2100, le Giec estime que la quantité de CO2 émise par personne chaque année devrait se situer entre 1,6 et 2,8 tonnes. Un simple aller-retour entre Paris et Tokyo représente déjà l'équivalent de 2,9 tonnes, selon l'Ademe, un établissement public.

Choisir ses collaborations avec attention

Face à cette exigence de leur communauté, mais aussi à l'issue d'un cheminement personnel, certains influenceurs essaient d'intégrer les problématiques environnementales dans leur manière d'exercer leur activité. Le collectif Paye ton Influence, qui a pour but de sensibiliser les influenceurs aux enjeux climatiques, leur recommande pour cela de s'interroger sur les collaborations commerciales qu'ils effectuent, qui leur permettent de percevoir une rémunération.

"Il faut se demander, quels partenariats je fais, avec quelles marques je travaille: des entités engagées, éthiques, ou qui vont porter des discours consuméristes (technologie, mode, cosmétiques…). Ou alors des entités pas directement portées sur la consommation: des musées, des collectivités territoriales", préconise Amélie Deloche, co-fondatrice de Paye ton Influence.

Quelques-uns racontent ces choix dans un livre paru le 25 septembre, Le monde de l'influence face à l'urgence écologique, aux éditions La Plage. Charlotte Lemay et Mateo Bales en font partie. "Je refuse des contrats toutes les semaines, voire tous les jours, même à des niveaux avancés de négociation si je me rends compte qu'il y a du greenwashing", affirme Charlotte Lemay.

Fast-fashion, cosmétiques à la composition ayant un impact négatif sur la santé et l'environnement, modes de transports polluants… Les exemples sont nombreux. "J'ai refusé un voyage aux Caraïbes tous frais payés… Pour aller dans une cabane éco-responsable une semaine", sourit cette mannequin devant l'absurdité de la démarche.

De son côté, Mateo Bales fait attention au sens que revêtent ces publicités. "Je les intègre à mon projet du moment et il faut qu'ils y correspondent. Par exemple, mon dernier projet, c'était de parler de sport, de course et d'aventure: les partenariats s'intègrent à ça avec du don de matériel, par exemple de l'équipement outdoor", déclare-t-il à BFMTV.com.

Des pubs pour des musées, des collectivités territoriales

Ces partenariats peuvent aussi prendre la forme de voyages presse, des déplacements organisés par les marques pour promouvoir de nouveaux produits lors desquels ils invitent plusieurs influenceurs, comme celui organisé par Gaelle Garcia Diaz en septembre. "Je refuse les déplacements en avion, et parfois je refuse des activités, par exemple, j'ai déjà dit non à un tour en hélicoptère ou à une balade en yacht", assure Charlotte Lemay. Elle arrive parfois même à changer les choses: "Quand j'ai dit non, ils se sont arrangés pour prendre un voilier plutôt qu'un yacht".

Une fois qu'une collaboration commerciale a été acceptée, il faut aussi réfléchir à la manière dont on peut en parler. Amélie Deloche, du collectif Paye ton influence, invite les créateurs de contenus à "éviter les codes promo extrêmement alléchants ou qui ont une durée de vie extrêmement courte, de 24 ou 48 heures, qui appellent à des achats irréfléchis". Charlotte Lemay explique aussi qu'elle refuse "presque systématiquement" les marques qui font des soldes et ne met pas en avant le black friday pour éviter de pousser à une consommation sans réelle utilité. Paye ton influence déplore également la présence d'immenses jeux concours qui véhiculent un imaginaire consumériste.

Adapter sa ligne éditoriale

Au-delà de la question des partenariats, Paye ton influence incite les créateurs à réfléchir aux contenus qu'ils produisent à travers le prisme de la nécessaire transition écologique. "Qu'est-ce que je normalise comme mode de vie auprès de mon audience, est-ce que je ne peux pas éviter de faire des hauls, de montrer que je prends l'avion?", suggère Amélie Deloche.

Elle cite aussi le cas du GP explorer, la course de Formule 4 organisée par Squeezie en 2022 et 2023. Cet événement très suivi a pu selon elle participer à une mise en avant de l'industrie automobile, alors que le transport est l’activité qui contribue le plus aux émissions de gaz à effet de serre de la France et que les voitures particulières sont à l’origine de plus de la moitié des émissions de ce secteur des transports, selon le Commissariat général au développement durable, un organisme du ministère de la Transition écologique.

Des agences pas assez formées?

Mais adopter cette façon de faire nécessite d'être bien informé. Souvent, cette démarche incombe aux influenceurs, soit parce qu'ils ne sont pas accompagnés -la plupart des créateurs de contenus ne vivent pas de cette activité- soit parce que leurs agents ne sont pas sensibilisés aux enjeux écologiques.

Charlotte Lemay fait elle-même ses recherches lorsqu'on lui propose un partenariat: "Mes agents n'ont pas forcément les connaissances sur ce qui est écoresponsable, les ordres de grandeur". Un phénomène répandu dans le milieu, selon Amélie Deloche: "Les agences ne sont pas assez formées sur les questions éthiques et écologiques, la compréhension de ce qu'est le greenwashing…", estime-t-elle.

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Certains acteurs essaient donc de se démarquer, comme l'agence dont fait partie Mateo Bales, Perrineam agency. "Elles sont très renseignées sur ce qu'il se passe chez les marques. Souvent avant d'accepter un partenariat, j'en parle avec elles", explique Mateo Bales. "C'est important d'être entouré, parce que moi, ce n'est pas mon métier de base, je ne suis pas journaliste."

Renoncer à de l'argent

Refuser autant de propositions signifie nécessairement renoncer à certaines sommes d'argent. Ce choix n'est pas toujours évident. "Quand j'ai décidé de remettre tout ça en question, ça a été très difficile, à tous les niveaux, j'ai refusé des contrats alors que dire non, c'est plutôt mal vu, et je ne savais pas trop si j'aurais d'autres opportunités derrière. Maintenant, je suis tellement sûre de ce que je fais que je ne me pose plus la question", témoigne Charlotte Lemay.

Pour pouvoir se permettre de n'accepter que des collaborations en accord avec ses valeurs, Mateo Bales a dû réduire sa consommation globale. "Et ce n'est pas un drame dans ma vie", souligne-t-il.

"Il y a des moments où ça a été difficile et inquiétant de ne pas gagner beaucoup d'argent, mais aujourd'hui ça va, je gagne ce qu'il faut pour vivre et je suis vraiment heureux de m'en être tenu à ça parce que cet argent ne m'aurait rien apporté de concret", analyse le créateur de contenus.

"Ma volonté d'être irréprochable sur mes valeurs et sur la manière dont je communique sur les réseaux a plus d'importance pour moi que le fait de gagner beaucoup d'argent", assure-t-il encore.

Une influence qui "amène des responsabilités"

Cet aspect financier peut en partie expliquer pourquoi les influenceurs qui abordent ouvertement les problématiques climatiques sont peu nombreux aujourd'hui, au grand regret de Mateo Bales. "Le mot influenceur n'est pas négatif en soi, c'est cool de se rendre compte que notre statut amène des responsabilités", juge-t-il. "L'influence, ce n'est pas que des gens qui vendent des crèmes sur Instagram, c'est aussi des gens qui partagent des modes de vie sobres, résilients", poursuit-il.

Charlotte Lemay voudrait aussi que plus d'influenceurs et d'influenceuses prennent conscience du rôle qu'ils jouent dans la mise en avant de modes de vie incompatibles avec la lutte contre le réchauffement climatique. C'est pourquoi elle a fondé une association, Aware Collective, qui organise des voyages -financés par une fondation pour le climat- réunissant des influenceurs, avec une thématique prise sous l'angle de l'éco-responsabilité (la mode, l'alimentation ou le vin par exemple). Ils partent en France, en train, avec six influenceurs et des intervenants spécialistes de la thématique.

"On n'a pas d'école d'influenceurs et on a encore moins une école de l'influence éthique et responsable", explique Charlotte Lemay, qui souhaite aider ses collègues à "mieux faire".

Mais même en faisant de son mieux, des questionnements peuvent subsister. "Ça fait plus de deux ans que je suis à temps plein en tant qu'influenceur, j'adore ce métier et c'est une liberté de ouf, mais le modèle économique d'un influenceur ne me ressemble pas beaucoup", remarque Mateo Bales.

Pour éviter de se rémunérer uniquement en faisant de la publicité, il se tourne de plus en plus vers des médias engagés sur les thématiques environnementales, comme Vert. Il met à profit ses compétences d'influenceur en faisant des vidéos pour eux. "J'essaie de respecter mes valeurs mais même si je fais les choses bien et que je fais attention (en tant qu'influenceur, NDLR), à la fin mettre des produits à consommer sur Internet ça va à l'encontre de ce que je veux."

Sophie Cazaux