Un chalet et sa clé pour les sans-abri à Strasbourg

Brigitte, 49 ans et son mari Roland, 38 ans, découvrent leur nouveau chalet dans un centre de stabilisation ouvert à Strasbourg pour des sans-abri. Quatre millions d'euros ont été investis dans l'opération par l'Adoma, l'Etat, le conseil général du Bas-Rh - -
par Thomas Calinon et Gilbert Reilhac
STRASBOURG (Reuters) - Johnny, un grand blond de 53 ans aux traits fatigués qui vit depuis six ans dans la rue, est un peu surpris de se retrouver dans son chalet en bois flambant neuf avec - enfin - du temps pour retrouver du travail.
Comme tous les habitants de ce "centre de stabilisation" de 16 chalets qui s'est ouvert à la mi-juillet à Strasbourg pour conduire les sans-abri vers l'autonomie, il fait partie de ces personnes qui ont connu la drogue, la maladie ou la prison.
"On est ici pour être tranquille. Des fois, j'allais dans des centres d'hébergement, mais tous les soirs on se faisait agresser, menacer de mort", explique Johnny.
Cet ancien chef de chantier vivait auparavant dans un parking avec son rottweiler qu'il voudrait avoir près de lui.
Pas sûr que la présence d'un chien de deuxième catégorie, potentiellement dangereux, soit acceptée au village, même si la possibilité d'y vivre avec son animal de compagnie fait précisément la différence avec les accueils d'urgence.
"Ce sont des personnes qui cumulent souvent une série de problèmes de santé, d'addiction, d'isolement et de gestion de la vie quotidienne", dit Christian Arnaudo, directeur régional de l'Adoma (ex-Sonacotra), société d'économie mixte contrôlée par l'Etat qui gère les lieux avec un effectif de sept personnes.
Les arrivants sont pour la plupart étonnés de se voir remettre une clé, celle du chalet en bois qu'ils pourront occuper pendant deux à trois ans.
Les 16 petits bâtiments posés sur une base de béton offrent une chambre avec kitchenette et un cabinet de toilettes, soit une vingtaine de mètres carrés pour une personne seule.
"DANS LA RUE, C'EST PAS ÉVIDENT"
Trois chalets sont réservés aux couples, six peuvent être partagés par deux personnes isolées. S'y ajoute un "hébergement de stabilisation" collectif pour cinq personnes.
Implanté sur un hectare au sud du centre ville, le village, entouré d'un grillage, possède potager et terrain de basket.
Le projet est né en 2008 d'une revendication des "Enfants de Don Quichotte", qui ont été associés à sa conception avant d'en être écartés après un conflit avec la municipalité.
Quatre millions d'euros ont investis dans l'opération par l'Adoma, l'Etat, le conseil général du Bas-Rhin et la ville de Strasbourg, qui a mis le terrain à disposition.
En ce début d'après-midi, quelques villageois discutent à l'ombre et boivent de l'eau fraîche, sur la place centrale.
"On se retrouve ici avec cette grande lumière qui nous éblouit le coeur", dit Roland, 38 ans, qui semble convaincu de pouvoir retrouver bientôt son emploi de serveur.
Lui et sa femme Brigitte expliquent avoir souffert du viol de leur intimité et du tutoiement imposé d'emblée dans le centre où ils furent hébergés après avoir occupé une cabane de jardin.
Ces abonnés au "115", le numéro d'appel d'urgence sociale, ont été orientés vers le village par des travailleurs sociaux et accueillis après un entretien destiné à tester leur motivation et leur capacité à s'insérer dans le cadre collectif.
Pour Mylène et sa copine Joëlle, qui partagent un chalet, c'est la case prison, un séjour de quelques mois pour trafic de drogue, qui les y a menées.
Le 15 septembre, Mylène, 23 ans, débutera une formation d'auxiliaire de vie. "J'ai déjà fait des formations mais, dans la rue, ce n'est pas évident", convient-elle.
PAS UN HÔTEL DE LUXE
Chacun paye, au moins symboliquement, un loyer, soit 45 euros par mois pour ceux qui touchent le Revenu de solidarité activé (RSA).
"Il y a des règles de savoir vivre ensemble dont on va parler", précise Patrick Kientz, l'un des travailleurs sociaux.
Ces règles se veulent les plus proches possibles de celles qui s'imposent à tout citoyen : respect du prochain, pas de consommation d'alcool ni de substances interdites sur l'espace public, liberté d'aller et venir. Les visites sont toutefois interdites entre 22 heures et 6 heures du matin.
Pas question en revanche de surveiller en permanence ce que chacun fait dans son chalet ou d'y pénétrer sans s'annoncer, précise l'équipe d'encadrement.
Le budget de fonctionnement à l'année se monte à 650.000 euros, soit un prix de journée de 59 euros par personne qui ne fait pas de la structure un hôtel de luxe.
Le village de Strasbourg, "chaînon manquant" dans l'offre de logements, selon Christian Arnaudo, est le quatrième de ce type géré, depuis 2007, par l'Adoma en France.
Edité par Yves Clarisse