Martin, Charlemagne, Lelièvre... Quelle est l'origine et la signification de nos noms de famille?

Martin, Bernard, Thomas, Petit, Robert, Richard, Durand, Dubois, Moreau et Laurent sont les noms de famille les plus portés en France. - PIERRE-OSCAR BRUNET / BFMTV
Tous ceux qui s'appellent Robert ne sont pas cousins et les César ne descendent pas de Jules, le général romain de l'Antiquité. La France compte environ 1,5 million de noms de famille dont l'histoire, l'origine et l'étymologie sont parfois méconnues. Si vous vous appelez Martin, Bernard, Thomas, Petit, Robert, Richard, Durand, Dubois, Moreau ou Laurent, vous figurez dans le top dix (dans l'ordre) des noms les plus courants.
Mais attention, "deux personnes qui portent le même nom ne sont pas forcément de la même famille et n'ont pas forcément les mêmes origines", insiste Yann Guillerm, rédacteur pour Filae, site spécialisé dans la généalogie.
Dans les années 1990, "on comptait environ 300.000 personnes qui s'appelaient Martin", recense pour BFMTV.com la généalogiste Marie-Odile Mergnac, auteure de Que veut dire mon nom de famille? Histoire, localisation, psychogénéalogie. "Certains ont même cru, un temps, qu'on finirait tous par s'appeler Martin. Mais c'est un raccourci. Car si 300.000 personnes s'appellent Martin, elles sont tout autant nombreuses à être les seules en France à porter leur nom de famille."
Cela peut sembler paradoxal, mais les noms de famille considérés comme rares sont en réalité très courants: un patronyme sur deux est porté par moins de dix personnes, selon les données de l'Insee. Et à l'inverse, un nombre très réduit de patronymes représente une grande partie des naissances en France. "Seulement 1,6% des noms de famille, soit 19.000 patronymes, ont plus de 500 porteurs. Mais à eux seuls, ils représentent les deux tiers de la population française", ajoute la généalogiste.
"Un tiers des noms de famille sont des prénoms"
Pour comprendre pourquoi les Bernard s'appellent Bernard et les Petit ont hérité du patronyme Petit, il faut remonter au 10e siècle. "C'est une période de croissance de la population", décrit Marie-Odile Mergnac. Quand un même village compte ainsi plusieurs Pierre, Paul ou Jacques, comment les distinguer?
Le prénom est alors complété d'un surnom, "mais ce n'est pas la personne qui se choisit son prénom, ce sont les autres qui le désignent ainsi". Un sobriquet lié à la personne, qu'il s'agisse d'un trait de caractère (Sauvage, Lesage, Courtois) ou d'un lien de parenté (Neveu), d'une caractéristique physique (Petit, Legros, Brun) ou de ses origines (Lebreton, Bourguignon, Langlois).
"Vers le 12e/13e siècle, sans intention du législateur, le surnom va se figer et devenir héréditaire", détaille la généalogiste. Et au 17e siècle, les noms de famille sont définitivement fixés et inscrits sur tous les actes, "d'abord religieux puis d'état civil", retrace l'Institut national de la statistique et des études économiques.
Parmi ces surnoms, il arrive aussi que le prénom du père soit ajouté au prénom de l'enfant. "Un tiers des noms de famille sont des prénoms", pointe ainsi Marie-Odile Mergnac. Les Martin, les Bernard et les Thomas ont donc eu pour ancêtre un Martin, un Bernard ou un Thomas qui leur a transmis leur prénom pour patronyme.
Par ailleurs, trois noms de famille sur dix rappellent une localisation. Ce sont les Dubois, les Duchêne, les Dupont ou les Rivière, c'est-à-dire la personne qui habitait à côté du bois, du chêne, du pont ou de la rivière.
Mais certains sont trompeurs. Comme les Besançon, nom qui désigne à la fois une ville et un prénom répandu au Moyen Âge. Pour les Dallemagne: rien à voir avec nos voisins d'outre-Rhin; plusieurs hameaux français portent ce nom. Ou encore Paris, qui n'a pas forcément pour origine la capitale - c'est une forme ancienne du prénom Patrice.
Les Conard ne sont pas ce qu'on croit
Vous vous appelez Marchand ou Lemaire? Votre patronyme rappelle donc le métier de votre ancêtre initial -c'est le cas de deux noms de famille sur dix. Ce sont les Berger, Cordier ou encore Bouvier (qui signifie vacher). Mais aussi les Lefebvre, Legoff, Schmitt, Faure ou Fabre qui désignent respectivement dans le nord, en Bretagne, dans l'est, le sud-ouest et le sud-est le forgeron.
"C'est le métier qui a donné le plus grand nombre de noms dans de nombreuses langues locales", observe Marie-Odile Mergnac. C'est-à-dire plus de 600.
Quelqu'un qui s'appelle Boulanger a donc forcément eu un boulanger pour ancêtre autour de l'an 1200. Certains peuvent également se targuer d'avoir un nom de famille plutôt valorisant. Ce sont les Gaillard, Hardy, Joly - rien à voir avec la beauté, ce dernier signifiait joyeux au Moyen Âge - ou Baron - ne pas y voir de lien aristocratique, cela voulait dire courageux.
D'autres semblent moins flatteurs, comme Piot. "On l'a oublié mais ça veut dire ivrogne", révèle Marie-Odile Mergnac, également auteure de La Généalogie en s'amusant. Même sens caché pour Boisleau, un nom qui n'a pas de lien de parenté avec le poète du 17e: c'était le surnom ironique de celui qui ne buvait pas que de l'eau. Des significations oubliées qui en disent un peu sur ce lointain aïeul: les Grondin ont un grognon pour ancêtre, les Lelièvre un peureux et les Lecoq un vaniteux.
En revanche, certains noms sont trompeurs. Comme les Mouton qui n'ont rien à voir avec le métier de berger: c'était le surnom donné à celui qui est doux. Les Chauvin ne peuvent pas non plus se targuer d'avoir un ancêtre patriote: cette acception n'existait pas encore. Un chauvin était un homme précocement chauve, ou bien qui vivait sur une terre dénuée de végétation. Quant aux Leroy, peine perdue que de s'inventer une ascendance royale: ce mot désignait le gagnant d'un concours de tir.
De la même manière, des patronymes qu'on pourrait aujourd'hui juger péjoratifs ne le sont historiquement et étymologiquement pas. "Un peu moins de 1000 personnes s'appellent Conard ou Connard. Mais ça n'a pas du tout le sens actuel. C'était un prénom d'origine germanique et à l'époque ils étaient très à la mode", s'en amuse Marie-Odile Mergnac. "Conard signifiait brave et hardi."
Alger, Archimède et Mercure
Autre faux-ami: Cornichon. Rien à voir avec le légume, l'insulte ou le mari trompé: c'était un joueur de cornichet, un instrument de musique. Ou encore Lacrotte: "C'était celui qui habitait dans une grotte, une maison troglodyte", démystifie la passionnée d'onomastique (l'étude des noms propres). "Sans compter qu'avant la création du livret de famille (institué en 1877, NDLR), les noms n'avaient pas d'orthographe", nuance Yann Guillerm, du site de généalogie en ligne Filae.
Et les Charlemagne alors, peuvent-ils se targuer de descendre du roi des Francs? "À l'époque de Charlemagne, les noms de famille n'existaient pas", balaie Marie-Odile Mergnac. D'autant qu'au Moyen Âge, la population - en grande partie analphabète - n'a aucune idée de l'Histoire de France et de cet empereur qui a existé plusieurs siècles avant elle. "Les Capet ne descendent pas d'Hugues Capet", abonde Yann Guillerm.
Autre spécificité dans le registre des patronymes: ceux des Outre-mer. Avec l'abolition de l'esclavage en 1848, "il a fallu trouver des noms de famille à 230.000 personnes affranchies", relate la généalogiste. "Souvent, la personne prenait le prénom d'un parent pour nom de famille." Mais il est arrivé que l'administration tranche arbitrairement.
"Certains officiers d'état civil se sont inspirés de capitales, de lieux ou de personnages historiques, de l'Antiquité, de la littérature classique, de la mythologie, des métaux et même des arbres."
C'est ainsi que l'on trouve des Alger, Verdun, Charlemagne, Archimède, Antigone, Jupiter ou encore Mercure et Coco en Guadeloupe, en Guyane, à la Martinique et à La Réunion. "Il est aussi arrivé qu'un anagramme soit fait à partir du nom de l'ancien maître", ajoute Marie-Odile Mergnac. Comme Torvic pour Victor.
Les Cretin et les Lanusse
L'autre aspect à prendre en compte pour comprendre le sens de son nom de famille, c'est l'origine géographique de son ancêtre. En particulier du patois de la région. "Le nom Cretin, l'un des noms de famille les plus changés, n'a pourtant pas la portée qu'on lui attribue." C'est une forme franc-comtoise du prénom Christian. Quand à Lanusse, c'est un mot gascon qui signifie la terre aride.
"Un nom se comprend au regard de l'Histoire et de la géographie", met en garde Marie-Odile Mergnac.
Prenons encore l'exemple des Bach. A priori, aucun lien avec le compositeur allemand du XVIIIe siècle. En Alsace, Bach signifie ruisseau. Mais en Gascogne, c'est la vallée.
"C'est l'aspect touchant de l'onomastique. Notre nom nous dit un petit quelque chose de notre histoire. Ou du moins, de ce très vieil ancêtre qui nous a transmis son nom."