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Les brouteurs, séduisent leurs victimes sur les réseaux sociaux pour leur soutirer de l'argent.

Michaël Mitz - BFMTV

"Ma belle-mère prend systématiquement le parti de son brouteur": le désarroi des proches de victimes d'arnaques aux sentiments

BROUTEURS: ARNAQUES ET SENTIMENTS (3/4) Les proches de victimes de brouteurs se retrouvent parfois démunis face à la manipulation et l'emprise de ces escrocs. Plusieurs d'entre eux racontent à BFMTV l'impuissance dans laquelle ils se sont retrouvés en étant parfois même accusés de vouloir eux-même tirer profit de leur proche.

"Ma belle-mère prend systématiquement le parti de son brouteur. Elle nous a dit qu'on était une famille toxique et qu'on ne voulait pas son bonheur. Ça fait mal." Depuis près d'un an, la belle-mère de Carole croit vivre une histoire d'amour à distance. Elle est en réalité victime d'une arnaque aux sentiments.

Le principe de cette escroquerie: la victime reçoit un jour un message - par mail, sur les réseaux sociaux ou un site de rencontre - de la part d'un inconnu et lui répond. Les échanges deviennent quotidiens et les messages des mots doux. Rapidement, il lui déclare sa flamme. S'en suivent des demandes d'argent, aux motifs divers selon le scénario choisi par l'escroc, argent qu'il promet de rembourser.

Tout se fait en ligne, c'est la particularité de cette escroquerie, jamais la victime ne rencontre son escroc. Des escrocs surnommés "brouteurs", terme qui vient du français de Côte d'Ivoire qui fait référence au mouton qui se nourrit sans effort. Ces derniers opèrent ainsi le plus souvent depuis ce pays d'Afrique de l'Ouest mais aussi du Bénin, du Cameroun, du Nigéria et du Ghana. La victime, elle, est amoureuse et n'a pas conscience d'être la cible d'une arnaque.

Dans le cas de la belle-mère de Carole, l'escroquerie aurait démarré en fin d'année dernière. "C'était Noël, je m'en souviens encore", témoigne Carole auprès de BFMTV, qui précise que sa sa belle-mère est toujours mariée avec son beau-père mais que leur couple bat de l'aile.

"Ce jour-là, elle nous a dit toute contente: 'j'ai un amoureux'."

"On ne la reconnaît pas"

Depuis cette rencontre sur Facebook, cette femme de 75 ans a demandé le divorce, fait estimer sa maison, vidé son compte courant et tenté de faire de même avec le compte joint. Carole et son mari ont retrouvé la trace de plusieurs virements - 3.000 et 11.000 euros - ainsi que de nombreux coupons de recharge PCS - des tickets d'une valeur de 20 à 250 euros achetés en bureau de tabac qui permettent de verser de l'argent sur une carte de paiement.

"Ses enfants, ça a toujours été tout pour elle. Là, il n'y en a que pour lui (son brouteur, NDLR), on ne la reconnaît pas", s'inquiète Carole.

Car la belle-mère de Carole est en train de prendre ses distances avec sa famille. "Elle ne nous écoute plus et si on lui parle de son brouteur, elle se met dans tous ses états."

"Elle nous dit que 'Nicolas' (le prénom par lequel se présente le brouteur, NDLR) n'est pas un brouteur. Et que les méchants, c'est nous."

Ses trois fils - dont le mari de Carole - ont entamé une procédure pour placer leur mère sous protection juridique. Mais d'ici à ce qu'elle aboutisse - si elle aboutit car ce genre de protection est très encadré, rappelle Service public - ils craignent que la septuagénaire ne dilapide le patrimoine de la famille et ne rompt définitivement avec eux.

"Le même effet qu'un gourou sur une secte"

"Le brouteur encourage souvent la rupture avec la famille", observe Thierry Baut, président de l'association Assistance aux victimes d'arnaqueurs sentimentaux. "Il leur dit: 'tes enfants ne pensent qu'à leur héritage', ou bien 'tes enfants veulent se mettre entre nous'. Son objectif, c'est évidemment d'isoler la victime."

"C'est le même effet qu'un gourou sur une secte."

Il arrive que la famille remarque un changement dans l'attitude de leur proche. Comme les heures qu'il passe sur son téléphone, l'importance que prend cet inconnu pourtant jamais rencontré physiquement et les multiples demandes d'argent. "Je reçois tous les jours des appels de la part de proches qui sont inquiets", assure Thierry Baut, qui traque les brouteurs depuis une douzaine d'années.

"Ils ne savent pas quoi faire mais voient bien que les choses tournent mal."

Quel conseil peut-il leur donner? "Semer le doute", recommande Thierry Baut. Et collecter le plus de preuves. "Accumulées les unes aux autres, ces preuves finiront peut-être par créer une forme de méfiance chez la victime et une prise de conscience."

"Il a dû lui retourner la tête"

Dès le début, Carole s'est interrogée sur la nature de la nouvelle relation à distance de sa belle-mère. Car le profil Facebook de "Nicolas" ne compte aucun autre ami et affiche seulement deux photos d'un très bel homme d'au moins vingt ans le cadet de sa belle-mère. Autre indice: sa promesse jamais tenue de venir la chercher et de partir vivre avec elle dans une maison qu'il possèderait en Italie. Mais à chaque fois qu'il est censé venir, un contretemps l'en empêche au dernier moment.

"Une fois, elle nous a dit que 'Nicolas' était en route pour venir la chercher. Elle l'attendait lorsqu'elle a reçu un message: sa voiture était tombée en panne, il fallait qu'elle lui envoie un ticket PCS. Elle a filé au bureau de tabac."

Les doutes s'accumulant, la famille de la septuagénaire parvient à géolocaliser l'escroc - en l'occurrence en Côte d'Ivoire alors qu'il prétend vivre en France - et à lui montrer lors d'un appel vidéo son vrai visage - qui ne correspond pas aux photos - à la faveur d'une défaillance de l'application qu'il utilise pour modifier son apparence.

"Ça n'a pas suffi", se désespère Carole. "Sur le coup, elle a été choquée, elle a dit qu'elle allait arrêter d'échanger avec lui." La septuagénaire reconnaît même qu'elle s'est faite avoir et que "Nicolas" l'a isolée de sa famille. "Mais elle a repris contact et c'était reparti. Il a dû lui retourner la tête. C'est plus fort qu'elle, elle continue à y croire."

"Elle est totalement dépendante affectivement de lui."

Ne pas s'opposer frontalement au brouteur

Une situation "assez courante", regrette Thierry Baut. "Même quand les proches fournissent des preuves de l'escroquerie, certaines victimes ne veulent pas l'admettre." D'autant qu'elles parlent de leurs doutes à leur brouteur qui trouve toujours réponse à tout. "Les brouteurs vont prétexter le vol de leurs photos de profil, un montage vidéo ou un voyage en urgence pour expliquer leur position à l'étranger ou le fait que leur visage ne corresponde pas aux photos."

"J'en ai piégé un, il m'a certifié pendant deux jours que ce n'était pas lui. Rien ne les arrête."

Certains cas semblent encore plus difficiles à dénouer. Car l'escroquerie peut se poursuivre alors même que le brouteur a été démasqué, mais cette fois sous l'identité de l'escroc. "C'est ce que j'appelle l'arnaque aux faux aveux", détaille Thierry Baut.

En clair: le brouteur finit par avouer à sa victime qu'il lui a menti, mais s'en défend et lui assure qu'il est vraiment tombé amoureux d'elle. C'est l'histoire de Marie-José, 82 ans, partie rejoindre son brouteur, qui s'était d'abord fait passer pour l'animateur de télévision Frédéric Lopez, en Côte d'Ivoire.

"Je dis toujours aux proches d'y aller doucement", insiste Thierry Baut. "Parce que s'ils s'opposent trop frontalement au brouteur, la victime risque de leur tourner le dos. Et là, c'est fini, on ne peut plus rien faire."

Avec le risque que la victime ne quitte la France. Thierry Baut craint d'ailleurs actuellement pour l'une des familles qu'il accompagne: leur proche, tombé dans les griffes d'un brouteur, est sur le point de prendre le départ.

En ce qui concerne la belle-mère de Carole, ses fils et belles-filles assistent, impuissants, à l'éloignement de la septuagénaire. Elle s'enferme dans la salle de bain pour converser avec son brouteur, dort avec son téléphone et le cache la journée quand ses enfants sont là. "Son brouteur lui a fait ouvrir un compte dans une autre banque, il lui a aussi fait prendre un nouveau téléphone avec une nouvelle ligne. On n'a plus aucun contrôle, on ne sait pas ce qui se passe", s'alarme Carole.

Sa sœur lui fait promettre de ne pas faire de "connerie"

Dans d'autres cas de figure, la famille ne remarque rien jusqu'à ce que la victime elle-même révèle l'escroquerie. "J'avais tellement honte que je n'osais pas en parler à mes parents", confie à BFMTV Ambre*, 44 ans. "Je pensais qu'ils allaient me dire que j'étais folle."

Il y a quatre ans, cette chargée de recrutement mère d'un enfant en bas âge comprend après une énième et invraisemblable demande d'argent qu'elle a été victime d'une arnaque aux sentiments. "Comment j'allais expliquer que j'avais donné 9.000 balles à un inconnu?" panique-t-elle. Elle perd du poids, n'en dort plus mais désespérée, elle se décide tout de même à en parler à son père. "Il m'a engueulée comme jamais, je me sentais encore plus mal."

Heureusement, la sœur d'Ambre intervient. Elle sait que les conséquences d'une escroquerie sentimentale peuvent être dramatiques - l'une de ses connaissances s'est suicidée après une arnaque aux sentiments. "Ma sœur lui a dit d'arrêter de m'enfoncer, que c'était grave, très grave et que j'avais besoin de soutien."

Ambre n'a pourtant rien dit de son état d'esprit à ses proches mais l'arnaque dont elle a été victime a fait beaucoup de dégâts, elle a des idées noires. Ce que devine sa sœur. "Elle m'a appelé tous les soirs pendant des semaines pour me faire promettre de ne pas faire de bêtise."

"Je l'entends encore me dire: 'tu me le promets, tu ne fais pas de connerie?'"

Sur les recommandations de sa sœur, Ambre porte plainte, change de numéro de téléphone et d'adresse mail, et ferme ses réseaux sociaux pour que son brouteur ne la retrouve pas. Aujourd'hui, la quadragénaire dit aller mieux mais s'en veut toujours terriblement. "Tout l'argent que je lui ai donné, c'était l'argent que j'avais mis de côté pour mon fils. J'ai tout perdu."

Pour la psychothérapeute Anne-Clotilde Ziégler, auteure de Qu'est-ce-que l'emprise? le soutien des proches est essentiel. "Il est très important de ne pas ajouter de la honte à la honte", souligne-t-elle . "Les victimes ne sont pas bêtes, ce genre d'escroquerie peut toucher n'importe quelle personne qui traverse une période difficile. Il suffit de répondre à un message."

3114: le numéro national de prévention du suicide
Le 3114 est le numéro à contacter si vous êtes en détresse psychique ou si vous avez des idées suicidaires. Vous pouvez également le contacter si un de vos proches est dans ce cas. Il propose une écoute avec des professionnels de santé spécialement formés, et est disponible sept jours sur sept, 24 heures sur 24.

*Le prénom a été modifié à la demande du témoin.

https://twitter.com/chussonnois Céline Hussonnois-Alaya Journaliste BFMTV