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«Le jour de l’anniversaire des jumelles »

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Maître Nathalie Boudjerada,l'avocate du couple, revient sur l'heureuse décision de justice chez Jean-Jacques Bourdin...

J-J B : C’est un sujet différent que nous abordons ce matin, une décision de justice exceptionnelle dont nous allons parlé avec Maître Nathalie Boudjerada. Nous attendons Sylvie. Cette dernière est mariée depuis douze ans avec Dominique. En 1998, ils apprennent qu’ils ne peuvent pas avoir d’enfant c’est ça ?
N B : Tout à fait, ils apprennent que Sylvie est atteinte du syndrome MRKH qui atteint une femme sur 5 000 en France et qu’elle n’avait pas d’utérus qui lui permette de porter un enfant.

J-J B : Elle s’est alors demandée comment elle pourrait avoir des enfants donc elle décide d’aller en Californie et essayer de contacter une mère porteuse, même si la loi interdit en France cette pratique. Elle part donc et rencontre Marie.
N B : On ne peut pas dire qu’elle ait bravé la loi puisque c’est la loi française qui ne permet pas cette pratique mais elle est complètement licite au Etats Unis, et elle est encadrée juridiquement. Il n’y a donc aucune difficulté. Quand on va aux Etats Unis, on ne commet pas d’infraction et c’est la raison pour laquelle mes clients ont été poursuivit mais ont ensuite bénéficié d’un non lieu en 2004.

J-J B : Donc ils partent en Californie et ils rencontrent Marie ?
N B : Absolument.

J-J B : Ils la rencontrent comment ?
N B : Par l’intermédiaire d’une agence pour éviter justement toutes les déviations liées à cette pratique de lutte contre l’infertilité, qui est une pratique très particulière, qui repose en fait sur la bonne volonté de celle qui accepte de porter des enfants pour d’autres, qui sont obligatoirement des mères de famille. Marie a quatre enfants, elle est mariée, son conjoint a d’ailleurs participé à l’accouchement ; il a vu naître les enfants de mes clients et tout s’est passé normalement.

J-J B : Marie a été inséminé avec les spermatozoïdes de Dominique, grossesse tout à fait normale, on apprend que ce sont des jumelles qui vont naître, au grand bonheur de Dominique et Sylvie ?
N B : Tout à fait, et un bonheur qui est toujours actuel puisque ces enfants ont aujourd’hui 7 ans, et que d’ailleurs c’est le 25 octobre dernier qu’a été rendu cette décision magnifique et qui correspond précisément à l’anniversaire de ces enfants.

J-J B : C’est le jour où la filiation a été officiellement reconnue…
N B : Absolument et c’est une première en France puisque traditionnellement les décisions de justice rendue dans des espèces comparables rompaient les liens de filiation entre parfois même les parents biologiques et les enfants puisque parfois il arrivait que celle qui portait l’enfant n’avait aucun lien biologique avec l’enfant, et la décision de justice parvenait à une rupture des liens avec les véritables parents biologiques.

J-J B : Marie, la mère porteuse a été payée ?
N B : Il n’y a pas de paiement ; c’est une pratique rigoureusement interdite. Ils prennent en charge les frais médicaux puisque la grossesse implique toute une série d’examens qui sont coûteux, et qui doivent être pris en charge mais il n’y a pas de paiement de salaires.

J-J B : Pas un centime n’a été versé à Marie ?
N B : Il y a ce qu’on appelle un défraiement qui est une somme tout à fait modique, ce qui coûte ce sont les examens médicaux.

J-J B : Et pour Sylvie et Dominique les défraiements sont montés à combien ?
N B : Ce sont les fécondations in vitro qui ont généré les frais parce qu’il y a eu plusieurs tentatives qui ont fait qu’à la fin ils ont fait appel à Marie mais il n’y a pas de paiement.

J-J B : Mais les défraiements sont montés à combien ?
N B : Ça je l’ignore.

J-J B : Marie a fait ça pour quoi ?
N B : Parce qu’elle même a été une enfant adoptée et que la motivation qui pousse ces femmes qui portent des enfants sont des motivations, le plus souvent, d’ordre humain, des personnes qui ont été confronté dans leur famille à l’infertilité. Marie a elle-même compris que ses parents n’avaient pas pu avoir d’enfant et qu’elle avait été adoptée pour remédier à l’infertilité. Elle est maman de quatre enfants et quand elle accepte de porter leurs enfants à naître c’est pour faire le bien. Les motivations financières n’apparaissent donc absolument pas dans ce choix et d’ailleurs mes clients n’auraient pas accepté de faire appel à quelqu’un qui n’aurait pas eu la conviction de faire une chose favorable.

J-J B : J’imagine que pendant la grossesse Sylvie et Dominique se sont rendus plusieurs fois en Californie ?
N B : Absolument ils ont toujours été très présents.

J-J B : Comment ont-ils suivis cette grossesse, au-delà des voyages effectués ?
N B : Par Internet, par téléphone tous les jours pendant que Marie attendait leurs enfants. Aujourd’hui les liens ne sont pas rompus, c’est quelqu’un qui fait partie de la famille, mes clients et leurs enfants se rendent régulièrement encore aux Etats Unis et Marie est devenue l’équivalent d’une marraine pour les jumelles. Ça fait donc une grande famille avec les quatre enfants de Marie et les deux filles de mes clients.

J-J B : Donc la cour d’appel de Paris a jugé conforme les papiers américains désignant Dominique et Sylvie comme les parents des jumelles. La cour assure que « la non transcription des actes de naissance aurait des conséquences contraires à l’intérêt supérieur des enfants ». Pour la première fois en France, on reconnaît la gestation pour autrui ?
N B : De manière indirecte on va dire. La gestation pour autrui, c’est le terme qu’il convient d’utiliser parce que ça rend compte d’une réalité qui est une technique contre l’infertilité de certaines femmes qui ne peuvent pas porter d’enfant. Cet outil, qui est mit à disposition de ces femmes qui, comme ma cliente, sont privées d’utérus ou dont l’utérus ne permet de porter un enfant parce que certaines femmes ont subi des thérapies qui les empêchent de porter des enfants, remédie à cette infertilité, ce type d’infertilité qui ne concerne que les femmes.

J-J B : La cour a aussi pensé à l’intérêt supérieur des enfants, parce que les jumelles étaient américaines jusque là ? Elles avaient quoi comme passeport ?
N B : Elles étaient américaines pour pouvoir voyager mais elles étaient également françaises puisqu’il y a évidemment une filiation entre elles-mêmes et leurs parents. La dessus il n’y avait pas de difficultés, ce qui posaient une difficulté c’était la transcription de ces actes de naissance, c’est à dire l’intégration de ces actes de naissance dans l’ordre juridique francais. C’est à dire que ces actes ont aujourd’hui une pleine et entière efficacité parce que la cour d’appel a considéré qu’il valait mieux préférer l’intérêt des enfants, conformément d’ailleurs aux grands textes internationaux sur la question, à cette notion tout à fait abstraite et évolutive qu’est l’ordre public qui nous était opposé d’office.

J-J B : Dans le concret, dans le quotidien, en quoi c’était gênant pour les jumelles ?
N B : Ce n’était absolument pas gênant, les jumelles étaient les filles de leurs parents et il n’y avait pas de difficultés. Par contre, ce qui était une difficulté, c’est que le lien de filiation, ce lien essentiel qui unit des parents à leurs enfants, était sans arrêt remis en question par la justice française.

J-J B : Ça pose le débat de la légalisation du recours aux mères porteuses, qu’en pensez-vous ? Est ce qu’il faut légalisé ce recours aux mères porteuses ?
N B : Je pense qu’il faut répondre par l’affirmative.

J-J B : D’autres pays l’ont déjà fait…
N B : Absolument, et pas des moindres, dans notre entourage européen, des pays qui ont autorisé, légalisé cette pratique, on pense à la Grande Bretagne où les choses sont parfaitement réglementées, mais aussi la Grèce, au Canada, aux Etats Unis, toute une série de pays permettant ce recours sans que ça pose aucun problème d’ordre moral, puisque les choses sont faites conformément à l’éthique et à la morale.

J-J B : Et ça permettrait d’éviter certains abus…
N B : Exactement, ces pratiques déviantes que l’on dénonce et qui permettent de faire n’importe quoi y compris sur le territoire francais.

J-J B : C’est à dire ? Il y a des mères porteuses en France ?
N B : Evidemment, ce n’est pas un scoop, qui sont payés et qui commettent des infractions. De plus, ce sont des situations qui sont risquées pour chacun des intervenants c’est à dire pour le couple qui fait appel à la mère porteuse et aussi à cette dernière. Donc oui, je pense qu’il faut légaliser cette pratique et la loi française le permet c’est une loi ouverte, qui remédie à l’infertilité ; la gestation pour autrui c’est une quatrième technique de lutte contre l’infertilité des seules femmes qui ne peuvent pas porter d’enfant.

J-J B : Donc on légalise le recours aux gestations ?
N B : Absolument, il nous faudrait trouver de vaillants parlementaires pour soutenir ce projet mais je pense qu’il le faut.

J-J B : Il n’y en a pas aujourd’hui ?
N B : Pas à ma connaissance, je ne veux pas me mettre en difficulté avec ces parlementaires mais je compte sur eux en tout cas pour cette initiative qui à mon avis est fondamentale et nécessaire surtout quand on voit ce qu’il se passe avec l’actualité du moment.

J-J B : D’ailleurs le télescopage de l’actualité est extraordinaire, quand on regarde ce qu’il se passe avec l’Arche de Zoé et de l’autre côté des couples qui cherchent absolument à adopter des enfants et qui sont prêts à payer. Et parallèlement la loi française qui interdit le recours à la gestation pour autrui.
N B : Absolument, donc un paradoxe qui est tout à fait éclairé par cette actualité et d’ailleurs c’est incroyable que cette décision coïncide avec la survenance de ces faits dont je n’ai pas à porter de jugements.

La rédaction-Bourdin & Co