Inscription de trois enfants nés de GPA à l'état civil: et après?
"La victoire du droit sur les tergiversations politiciennes". L'avocate de trois familles ne cachait pas sa satisfaction jeudi après la décision du tribunal de grande instance de Nantes d'ordonner la transcription sur les registres d'état-civil des actes de naissance de trois enfants nés d'une gestation pour autrui (GPA) à l'étranger. Une pratique interdite en France depuis une loi de 1994.
Avec ce jugement, la justice accorde donc la nationalité française à ces trois enfants nés en Ukraine, en Inde et aux Etats-Unis, contre l'avis du parquet de Nantes. La décision est d'autant plus forte que ce dernier est seul compétent au niveau national en matière d'état-civil.
"Les familles ont le sentiment que peut-être enfin elles vont avoir des transcriptions d'actes sans avoir à repasser devant le tribunal de Nantes", espère sur BFMTV Laurence Roques, avocate spécialisée dans le droit des familles.
Si la décision de la justice nantaise pourrait faire jurisprudence pour d'autres familles, le sujet de la GPA en France reste flou.
> Que dit la loi sur la GPA en France?
Depuis 1994 et une loi portant sur le respect du corps, la gestation pour autrui est formellement interdite en France. Au plan pénal, le contrevenant s'expose à une condamnation de trois ans d'emprisonnement et de 45.000 euros d'amende. La justice française considère que le recours à la GPA sur son sol porte atteinte à l'état-civil de l'enfant et est assimilé à une supposition d'enfant, une infraction qui condamne le fait de prêter à une femme un accouchement qui n'a pas eu lieu.
Concernant le recours à une GPA à l'étranger, la Cour de cassation, la plus haute juridiction française, a toujours refusé d'autoriser une reconnaissance de liens de filiation arguant à chaque fois différents motifs comme celui de la fraude à la loi.
> Comment le TGI de Nantes a motivé sa décision?
La France est menacée de sanctions depuis le 26 juin 2014 et sa condamnation par la Cour Européenne des Droits de l'Homme (CEDH) pour son refus de retranscrire les actes de naissance étrangers aux registres d'état-civil des enfants nés de GPA. La Cour soulignait que Paris ne peut pas porter atteinte à l'identité de l'enfant en refusant de le reconnaître. Et pour ce faire, ils doivent avoir un état-civil fiable. Leur nationalité française, acquise de droit quand l'un des deux parents est français, devait donc être officialisée.
"C'était attendu et c'est logique puisque la Cour Européenne avait de toute façon condamné la France sur des refus de transcription. Le TGI de Nantes n'avait pas d'autre choix que de respecter la justice européenne, laquelle a quand même une valeur supérieure à nos législations internes", explique Me Laurence Roques.
Reste que les opposants à la GPA peuvent encore faire appel de la décision du tribunal de Nantes et aller jusqu'à la Cour de cassation pour faire entendre leurs arguments.
> Qu'implique la décision du TGI de Nantes dans la vie quotidienne de ces familles?
Concrètement, jusqu'alors, les enfants nés d'une GPA à l'étranger ne pouvaient pas obtenir de papiers d'identité français. "Ce n'est pas qu'ils n'existaient pas, c'est que l'administration française leur faisait des difficultés puisqu'ils n'avaient que des actes de naissance étrangers", détaille l'avocate. Désormais, les actes de naissance étrangers figureront aux registres français, "ce qui va permettre à ces enfants d'être comme les autres", insiste Me Roques. Ainsi, les familles pourront faire des demandes de cartes d'identité, d'immatriculation à la Sécurité sociale ou même d'allocations.
> Cette avancée peut-elle obliger le gouvernement à légiférer?
Au lendemain du jugement du tribunal de Nantes, le sujet est sensible du côté de la majorité. Si Claude Bartolone se dit opposé à la GPA qu'il qualifie de "marchandisation du corps", le président de l'Assemblée nationale estime jeudi sur France Inter qu'"il ne faut pas que ces enfants soient les fantômes de la République". Un discours plus nuancé que celui que tenait Manuel Valls au lendemain de la condamnation de la France par l'Europe.
Pour le Premier ministre, il est inenvisageable d'automatiser la retranscription des actes de naissance étrangers aux registres d'état-civil français, qui "équivaudrait à accepter et normaliser la GPA".
Sauf qu'en ayant refusé d'appliquer les arrêts de la Cour européenne, avec cette décision de justice, le gouvernement se trouve désormais dans une situation intenable entre la loi nationale et cette décision de justice basée sur la législation européenne. "Le gouvernement aurait dû depuis longtemps appliquer ces arrêts, la balle est désormais dans son camp", conclut Me Laurence Roques.