Extrême droite: pourquoi la dissolution de Génération identitaire n'aura qu'une efficacité limitée

Manifestation contre la dissolution de Génération Identitaire le 20 février 2021 à Paris - BERTRAND GUAY / AFP
Le groupe d'extrême droite Génération Identitaire a été dissous ce mercredi en Conseil des ministres. Il est notamment accusé d'inciter "à la discrimination, à la haine et à la violence envers des individus en raison de leur origine, de leur race et de leur religion". "Par sa forme et son organisation militaires", il "peut être regardé comme présentant le caractère d'une milice privée", détaille le décret.
"Sur la question de dissolution de Génération identitaire, je suis circonspect, je ne crois pas que ce genre de mesures soient très intéressantes, dans la mesure où ce qui est dangereux ce sont les individus pas les groupes", réagit toutefois mercredi sur BFMTV Christophe Bourseiller, écrivain et spécialiste de l'extrême droite.
"Je m'interroge sur l'efficacité d'une telle mesure"
Dissoudre une association, c'est interdire à ses membres de se réunir ou encore d'avoir un local ensemble en son nom. Ainsi, il n'y a officiellement plus de groupe nommé "Génération identitaire" aujourd'hui, mais il paraît difficile d'empêcher ses militants de continuer à propager leur idéologie. "Dans une démocratie, on ne dissout pas les idées, on ne dissout pas les hommes, et bien évidemment les militants de Génération Identitaire pour beaucoup vont continuer à militer", explique ce mercredi sur BFMTV Nicolas Lebourg, historien spécialiste de l’extrême droite.
"Il faut bien comprendre que chaque fois qu'un groupe d'extrême droite a été dissous en France, il s'est reconstitué dans les semaines ou les mois qui ont suivi et donc je m'interroge sur l'efficacité d'une telle mesure", continue Christophe Bourseiller.
"Si on ne peut plus utiliser le nom, au pire, ça changera nos t-shirts et nos drapeaux", déclarait au quotidien L'Alsace en 2019, un porte-parole de Bastion Social, groupe dissous par la suite.
Des groupes démantelés ont ainsi déjà été condamnés parce qu'ils s'étaient reformés. En 2018, Le Figaro relatait l'exemple de l'Œuvre française et des Jeunesses nationalistes, qui auraient maintenu des activités après leur dissolution. Clément Martin, (ex) porte-parole de Génération identitaire, a toutefois assuré au Parisien qu'en cas de dissolution du groupe, qu’il n’y aurait "pas de Génération identitaire bis".
"On observe que cette dissolution ne touche que Génération Identitaire, toutes les petites associations qui travaillent avec Génération Identitaire, qui ont été fondées par des membres de Génération Identitaire, ne sont pas touchées par le décret", explique Nicolas Lebourg "donc ces gens vont continuer à exister".
"Ils seront beaucoup plus difficiles à localiser"
Christophe Bourseiller ajoute que dissoudre un groupe, c'est prendre le risque de disséminer ses membres, de perdre leur trace: "Dans ces groupes, en général, il y a un ou deux individus qui peuvent passer à l'acte, et l'intérêt de savoir où ils sont, c'est que cela permet de les localiser. Quand ils étaient dans Génération identitaire, on pouvait les repérer, maintenant que cela va disparaître, ils seront beaucoup plus difficiles à localiser", fait valoir Christophe Bourseiller.
Un argument déjà mis en avant lors de la dissolution de Bastion Social en 2019, par la docteure en science politique Bénédicte Laumond, interrogée alors par BFMTV.com. Elle soulignait que la dissolution entraînait l'invisibilisation de certains militants pour les services de renseignements.
"Il y a des dissolution comme celle d’Ordre nouveau en 1972, où on voit beaucoup plus de violences après la dissolution", déclare même Nicolas Lebourg, "les militants se disent que puisque l’action légale on ne peut pas la faire, je ne peux pas exprimer mes idées dans le cadre démocratique, et bien je passe à l’action violente. C’est un vrai problème dans les dissolutions qui sont vues comme une manière de faire de l’ordre public et qui souvent troublent l’ordre public".
"Cette dissolution ne règle pas en soi le problème de la haine raciste dont ce groupe est porteur"
"Cette dissolution, que nous avons demandée à plusieurs reprises, ne règle pas en soi le problème de la haine raciste dont ce groupe est porteur", déclare dans un communiqué ce mercredi Dominique Sopo, président de SOS Racisme. "Mais elle rappelle le droit et le refus de notre pays de laisser se déployer des réseaux dédiés à la stigmatisation de l'Autre".
La dissolution, si elle ébranle fortement le mouvement et peut entraîner le désengagement de plusieurs militants, reste donc limitée dans ses effets, car les personnes peuvent en soi continuer à agir sous un autre nom. Pour que cette activité s'arrête réellement, les poursuites doivent aller plus loin que la simple dissolution, expliquait Bénédicte Laumond, dans un article de la revue Mouvements.
Selon son analyse, en France "les dissolutions répondent davantage à des considérations immédiates liées à une conjoncture politique donnée qu’à une stratégie pénale construite dans la durée par la coordination d’acteurs et actrices issu·es de l’exécutif mais aussi de la justice, de la police et du renseignement".
