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Expulsion de Leonarda: ce qu'il faut retenir

La jeune Leonarda, "éloignée" de France à MItrovica au Kosovo, montre ses certificats d'aptitude à parler le français, le 16 octobre.

La jeune Leonarda, "éloignée" de France à MItrovica au Kosovo, montre ses certificats d'aptitude à parler le français, le 16 octobre. - -

Les circonstances particulières de son expulsion, le fait qu'il s'agisse d'une mineure, qu'elle soit d'origine kosovare et Rom, tout tendait à faire du cas Leonarda un dossier explosif pour le gouvernement. Ce qui n'a pas manqué mercredi.

L'expulsion de Leonarda, jeune Kosovare arrêtée lors d'une sortie scolaire, a secoué mercredi la classe politique française et particulièrement à gauche. Alors que la question connexe du démantèlement des camps de Roms agite régulièrement l'actualité, retour sur une affaire qui suscite un tollé à gauche et fragilise le ministre de l'Intérieur, Manuel Valls.

Qui est Leonarda et comment a-t-elle été expulsée?

Leonarda Dibrani est une collégienne de 15 ans d'origine kosovare et Rom. Elle fait parte d'une famille de six frères et sœurs. Avant l'expulsion, sa famille était assignée à résidence à Levier, dans le Doubs. La famille était en France depuis de nombreuses années.

Tout bascule au matin du 9 octobre. Alors que la jeune fille participe à une sortie scolaire avec sa classe de troisième du collège André Malraux, Leonarda reçoit un appel du maire de Levier qui lui demande de lui passer un enseignant. Anne Giacoma, une professeure d'histoire qui encadre le groupe d'une quarantaine de collégiens, prend l'appel. L'enseignante racontera plus tard sur le blog du Réseau Education sans frontières (RESF) n'avoir pas saisi immédiatement ni la raison, ni la portée du geste qui lui est demandé: stopper l'autocar sur-le-champ et faire sortir Leonarda. Une voiture l'emmène alors à l'aéroport et la jeune fille embarque pour Pristina, au Kosovo, où elle rejoint son père, expulsé la veille.

Qui a décidé de son expulsion et pourquoi pose-t-elle problème?

Pour la préfecture du Doubs, qui a émis dès mardi un communiqué, le cas Leonarda est la conséquence logique de l'épuisement de tous les recours possibles par cette famille. La date du 9 octobre aurait été choisie en fonction des places disponibles pour le vol retour vers le Kosovo. L'embarquement se serait déroulé sans difficulté.

Mais le rôle de la mère de Leonarda, madame Dibrani, est totalement différent selon les versions données, d'un côté par la préfecture et de l'autre, par RESF. Pour la première, cette expulsion était non seulement conforme au droit, mais aussi aux demandes "des membres d'associations soutenant la famille ont expressément demandé de veiller à ce que celle-ci soit regroupée". Faux rétorque RESF qui argue du fait que la mère voulait rester en France. De surcroît, la famille était, d'après le collectif, sur le point d'être régularisée. "Ils étaient en France depuis presque 5 ans (4 ans et 10 mois), autrement dit, dans deux mois, ils entraient de plein droit dans le cadre de la circulaire Valls (NDR: du 28 novembre 2012, sur la régularisation des sans-papiers) et pouvaient être régularisés", souligne RESF.

Une autre interrogation porte sur le rôle du préfet. Selon Eric Alauzet, député EELV de la deuxième circonscription du Doubs, où résidait la famille de Leonarda, le préfet du Doubs n'était pas au courant de la situation. La droite s'est d'ailleurs emparée de cette question exprimant sa crainte de voir celui-ci servir de "victime expiatoire", selon l'expression de l'UMP Xavier Bertrand.

> Pourquoi cette expulsion provoque un tollé à gauche ?

Révélé par le blog de RESF hébergé par Mediapart, cette expulsion a rapidement créé une vive polémique à gauche et particulièrement au sein du Parti socialiste. Mardi soir, l'affaire est évoquée lors du bureau national du PS. Manuel Valls est immédiatement mis en cause. Mercredi, Claude Bartolone, président de l'Assemblée nationale a été l'un des premiers à s'indigner. "Il y a la loi. Mais il y a aussi des valeurs avec lesquelles la gauche ne saurait transiger. Sous peine de perdre son âme", a-t-il lancé sur Twitter.

Il y a la loi. Mais il y a aussi des valeurs avec lesquelles la Gauche ne saurait transiger. Sous peine de perdre son âme. #Léonarda
— Claude Bartolone (@claudebartolone) October 16, 2013

Vincent Peillon lui emboîte ensuite le pas, parlant de la nécessité de "sanctuariser l'école". Pierre Laurent, secrétaire général du PCF, parle même de "honte pour la République".

Une pétition lancée par le syndicat lycéen FIDL a été adressée à Manuel Valls. De nombreux élus d'EELV, du Parti socialiste, du PCF et du Front de Gauche ont apposé leurs signatures. Ainsi parmi les premiers signataires: Eva Joly, Barbara Pompili, Denis Baupin, Eric Cocquerel, Julien Dray...

Le ministre de l'Intérieur au cœur des critiques a ouvert une enquête administrative afin d'éclaircir les conditions d'"éloignement" de Leonarda. Dans le même temps, le Défenseur des droits Dominique Baudis a ouvert une enquête au nom "de la défense des enfants".

> Que va-t-il advenir de la jeune fille et sa famille?

Alors que François Hollande reste dans un prudent silence et attend d'y "voir plus clair avant de commenter", le Premier ministre Jean-Marc Ayrault s'est engagé devant l'Assemblée nationale à "prendre ses responsabilités". "S'il y a eu faute, l'arrêté de reconduite à la frontière sera annulé. Cette famille reviendra pour que sa situation soit réexaminée en fonction de notre droit, de nos pratiques et de nos valeurs", a promis le Premier ministre.

Quant à Leonarda, la jeune fille de retour au Kosovo a fait part de son désarroi à BFMTV. "Ici, j'ai peur, je ne parle pas la langue et je ne veux même pas sortir de la maison. Là-bas j'avais la liberté, je ne veux pas rester ici", explique-t-elle. "Tous mes amis et mon professeur pleuraient. Ça m'a fait mal au cœur. Lorsqu'ils ont vu la police, certains m'ont demandé si j'avais tué quelqu'un ou volé quelque chose", a-t-elle commenté.

> Quelle est la règle en matière d'expulsion des mineurs?

L'expulsion s'est-elle déroulée conformément au droit? Manuel Valls et la préfecture du Doubs l'assurent. L'expulsion des mineurs répond à des règles particulières, différentes de celles des adultes. Les mineurs ne sont ainsi pas tenus de posséder un titre de séjour. Mais à l'inverse, le mineur scolarisé n'évite pas à sa famille les mesures d'éloignement qui peuvent être prises à son encontre. Il revient au mineur de suivre ou non sa famille, même si, dans les faits, la plupart le font.

David Namias