Un référent harcèlement dans chaque école: quel bilan un an après le lancement du dispositif?

Des lycéens dans une salle de classe à Lyon, le 1er septembre 2022 (photo d'illustration) - Jeff PACHOUD - AFP
"Cette année, nous avons dû intervenir sur dix situations sévères; l'une a débouché sur une exclusion définitive", dénombre pour BFMTV.com Florent Martin, proviseur de lycée à Argelès-sur-Mer (Pyrénées-Orientales) et secrétaire académique du Syndicat national des personnels de direction de l'Éducation nationale (SNPDEN). L'année dernière, c'était moitié moins.
"Mais ce n'est pas parce que le harcèlement scolaire aurait augmenté, c'est parce qu'il est mieux détecté."
En juin 2023, Pap Ndiaye, qui était alors ministre de l'Éducation nationale, s'engage à muscler la lutte contre le harcèlement scolaire, annoncée comme la priorité de la rentrée suivante. Et promet la mise en place d'un référent harcèlement dans chaque établissement, nouveauté qui s'inscrit dans le programme pHARe.
Le programme pHARe, pour plan de prévention du harcèlement à destination des établissements scolaires, prévoit la formation des personnels ou encore l'accès à une plateforme dédiée, et était obligatoire dans les écoles élémentaires et les collèges. Pap Ndiaye avait alors annoncé son extension aux lycées.
Interrogé par BFMTV.com en juillet 2024, le ministère de l'Éducation nationale évoque un total de 53.189 personnes formées. "Les personnels engagés dans le dispositif pHARe sont présents dans les établissements et couvrent actuellement 98% des écoles, 95% des collèges, et 89% des lycées", nous précise-t-on.
"On a clairement vu une évolution favorable"
Pour certains chefs d'établissement, la mise en place du référent harcèlement a rapidement fait ses preuves. "On a très vite vu les effets d'avoir un interlocuteur avec une expertise sur le sujet", souligne le proviseur Florent Martin. Son établissement, qui compte 1300 élèves pour 57 classes, s'est inscrit cette année pour la première fois dans le programme pHARe. C'est ainsi la conseillère principale d'éducation qui est devenue la référente harcèlement.
"Elle a bénéficié de six demi-journées de formation, ce qui est conséquent", détaille Florent Martin. Mais surtout, la lutte contre le harcèlement s'est imposée comme une dynamique globale au sein de son établissement. Des séquences pédagogiques ont ainsi été construites par l'équipe enseignante. Et toutes les classes en ont bénéficié durant l'année.
"À chaque opération de sensibilisation, des situations nous ont été remontées, même si toutes ne relevaient finalement pas de harcèlement scolaire."
Un groupe d'une quinzaine d'élèves volontaires a également été constitué afin de participer au prix "Non au harcèlement", un concours lancé il y a une dizaine d'années à destination des élèves du CP à la terminale. Son principe: produire une affiche ou une vidéo visant à dénoncer le harcèlement scolaire.
"Ce qui compte, c'est d'ouvrir le dialogue et de travailler à la prise de conscience collective", explique Florent Martin, du SNPDEN. "Et on a clairement vu cette année une évolution favorable avec le travail de fond qu'on a mené sur le sujet."
"Un vrai suivi"
Un bilan positif que partage Laurent Le Drezen, proviseur de lycée à Hyères (Var) et commissaire paritaire national pour la CFDT éducation. Il salue lui aussi un "fort investissement" des académies sur le sujet. Car après de premières inquiétudes lors de la rentrée de septembre face à l'absence d'informations sur le référent harcèlement, ce chef d'établissement remarque que les formations sont arrivées "très vite" et ont "tout de suite été mises en application sur le terrain".
"Ce qui prouve que quand il y a un vrai pilotage par les académies et qu'on forme vraiment les personnels, on a des résultats", applaudit-il pour BFMTV.com.
Le lycée de Laurent Le Drezen compte dorénavant deux référents harcèlement et douze personnels membres de l'équipe pHARe qui se réunissent régulièrement. Depuis la rentrée de septembre, une vingtaine de situations de harcèlement ont ainsi été identifiées et prises en charge dans son lycée. Contre cinq l'année dernière.
"Avant, on traitait les situations au fil de l'eau. Mais là, elles sont peut-être mieux identifiées et on a un vrai suivi."
Le ministère de l'Éducation nationale détaille de son côté "près de 6800 coordinateurs en collège et lycée (un nombre minoré, car tous les chefs d'établissement n'ont pas encore fait remonter le nom des personnes nommées, explique le ministère, NDLR) et 126 responsables académiques et départementaux dédiés à la lutte contre le harcèlement répartis sur le tout territoire national (Outre-mer compris)."
Le rôle des coordinateurs, mis en place depuis la rentrée scolaire 2023, est "d'appuyer le chef d'établissement dans le traitement et le suivi des situations, d'accompagner la mise en œuvre du plan de prévention du harcèlement, valoriser les actions menées par les établissements et suivre les partenariats de l'établissement avec les forces de sécurité intérieures, associations".
"On avait déjà un peu d'avance"
Michaël Vidaud, principal de collège à Tournon-sur-Rhône (Ardèche) et secrétaire national à la vie syndicale du SNPDEN, avait déjà "un peu d'avance" sur le sujet. Il participe depuis sept ans à un autre programme de lutte contre le harcèlement scolaire, intitulé Sentinelles et référents, qui forme personnels et élèves. La personne en charge de ce programme est donc naturellement devenue la référente harcèlement du collège.
"Même si on est entré dans le programme pHARe, on cumule ces deux dispositifs", pointe pour BFMTV.com Michaël Vidaud.
À l'initiative du collège, neuf réunions associant enseignants membres du programme pHARe, assistants d'éducation, agents de la collectivité et élèves ambassadeurs se sont tenues durant l'année. Durant ces réunions, des cas concrets étaient évoqués (34 l'année dernière), souvent repérés par les élèves.
"Le référent harcèlement et le programme pHARe ont simplement acté ce qu'on avait déjà mis en place."
"Pas une solution magique"
Mais certains chefs d'établissement sont plus réservés. C'est notamment le cas de Yann Massina, proviseur de lycée à Chartres (Eure-et-Loir) et représentant du Sgen-CFDT, qui se montre plus nuancé. Car faute de volontaires -les quatre personnes intéressées par le dispositif ont renoncé après la première formation- ce chef d'établissement n'a donc pas pu constituer d'équipe pHARe.
"On avait beaucoup de choses mises en place les années précédentes pour lutter contre le harcèlement, comme le programme des élèves ambassadeurs", observe-t-il pour BFMTV.com. Concrètement: il s'agit d'élèves formés qui participent à la prévention et à la lutte contre le harcèlement, un dispositif prévu dans le programme pHARe dans le second degré. Ceux de Yann Massina réalisaient notamment un court-métrage.
"Mais l'obligation de mettre en place des équipes pHARe a fait disparaître notre programme des ambassadeurs du fait de l'absence de personnel volontaire pour constituer cette équipe et former ces élèves", regrette Yann Massina. "Tout a été stoppé." Autre problème, estime ce proviseur: l'absence de moyens financiers supplémentaires.
Pour la proviseure Sylvie Perron, secrétaire nationale de la CFDT éducation, un référent harcèlement par établissement ne peut suffire en lui-même. "Attention à ne pas le considérer comme une solution magique", met-elle en garde. Elle appelle notamment à déployer plus largement les enquêtes nationales de climat scolaire et de victimation qui interrogent périodiquement élèves et personnels.
Entre 2011 et 2023, neufs enquêtes de ce genre ont été menées par la direction de l'évaluation, de la prospective et de la performance auprès d'élèves de CM1-CM2, collégiens ou lycéens dans des échantillons dits "représentatifs". "Ces enquêtes permettent de dépister efficacement les signaux faibles qui parfois nous échappent", assure Sylvie Perron. "Le référent harcèlement ne peut être la seule solution."
"Je n'ai pas de référent dans mon école"
Sans compter que certains établissements sont restés, alors que l'année précédente s'est terminée, sans référent harcèlement. Notamment dans le premier degré. C'est ce qu'indique Florence Comte, directrice d'une école élémentaire à Puget-Ville (Var) et secrétaire du syndicat des directeurs et directrices d'école (S2DÉ).
"Depuis la rentrée de septembre, nous n'avons rien eu. Aucune information, si ce n'est pour nous dire que le harcèlement était la priorité nationale", déplore-t-elle.
Cette directrice d'école propose depuis deux ans un plan de prévention du harcèlement, comme le prévoit le programme pHARe, a accès à la plateforme dédiée, propose à toutes ses classes dix heures annuelles consacrées à la lutte contre le harcèlement et expérimente les cours d'empathie. Mais elle l'assure: "Je n'ai pas de référent harcèlement dans mon école." Florence Comte s'étonne ainsi de n'avoir reçu aucune instruction sur le sujet.
"Ce n'est pas que nous n'avions pas de volontaire, mais personne ne nous a demandé d'avoir un référent harcèlement. Nous n'avons reçu aucune consigne."
Et aucune formation particulière non plus. Cette directrice explique ainsi "essayer" de former elle-même ses collègues. "Mais moi-même, je n'ai eu que deux fois deux heures de formation l'année dernière, si on peut appeler 'formation' une réunion."
Un dispositif "encore balbutiant"
Christophe Gruson, secrétaire national du Snalc en charge du premier degré, salue la prise de conscience sur le harcèlement et l'intérêt d'un tel référent. Mais il évoque un dispositif "encore balbutiant" et un déploiement sur le territoire "très disparate". Il affirme ainsi que toutes les écoles ne disposent pas d'un référent harcèlement.
"C'est variable, mais dans les faits, le travail revient souvent au directeur."
Les personnels du premier degré seraient d'ailleurs encore nombreux à ne pas avoir bénéficié de formation et à ne pas savoir où trouver des contenus sur le sujet. "Il y a encore des écoles qui n'ont pas mis en place le programme pHARe. Certains enseignants en ont entendu parler, d'autres ne savent même pas ce que c'est."
Et selon Christophe Gruson, faute de personnels supplémentaires, de mise à disposition de créneaux horaires et de formation, "le dispositif ne dépassera pas l'intention".