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Attentats: pourquoi la théorie du complot séduit-elle autant les jeunes?

De nombreuses thèses complotistes circulent sur Internet depuis les attentats qui ont frappé Paris la semaine dernière. (photo d'illustration)

De nombreuses thèses complotistes circulent sur Internet depuis les attentats qui ont frappé Paris la semaine dernière. (photo d'illustration) - Alain Jocard - AFP

De nombreuses thèses conspirationnistes circulent sur Internet, particulièrement sur les réseaux sociaux, après les attentats qui ont endeuillé la France. Cette théorie du complot s'est propagée rapidement dans les cours d'école.

"Un jeune sur cinq aujourd'hui adhère aux théories du complot". Le chiffre a été prononcé par la ministre de l'Education nationale, Najat Vallaud-Belkacem, ce jeudi matin, alors que les attentats qui ont frappé la France la semaine dernière ont soulevé de nombreuses questions parmi les élèves, dans les collèges et lycées, face auxquels leurs professeurs, et parfois leurs camarades, se sont retrouvés désarmés.

Parallèlement aux perturbations pendant la minute de silence en hommage aux victimes de Charlie Hebdo, le 8 janvier, des discours conspirationnistes se sont propagés dans les cours de récréation, remettant en doute la véracité ou l'origine des attentats. Pourquoi la théorie du complot fait-elle particulièrement recette dans les cours d'école? Face à ce phénomène croissant, l'école a-t-elle un rôle à jouer? Eléments de réponse.

> Qu'est-ce que la théorie du complot?

Il s'agit de la réfutation des explications officielles d'un événement, considérées comme une conspiration politique ou médiatique. "Les personnes qui adhèrent à la théorie du complot se méfient de la parole officielle, des médias, des politiques, des institutions, des professeurs, et pensent qu'on nous cache tout", résume sur BFMTV le journaliste et écrivain Eric Giacometti, auteur de plusieurs ouvrages sur le sujet.

Ainsi, de l'assassinat du président américain John Kennedy, en 1963, au 11-Septembre, de nombreux événements historiques ont été entourés de thèses conspirationnistes.

Les attentats qui ont frappé Paris la semaine dernière n'ont pas été épargnés. Couleurs des rétroviseurs de la voiture des frères Kouachi, oubli de la carte d'identité dans la voiture par l'un des tueurs: plusieurs détails de l'enquête ont été commentés sur les réseaux sociaux, alimentant les rumeurs les plus folles. "Une partie de la population pense que c'est un 'coup monté' pour faire plonger les musulmans, organisé par les services secrets, par les juifs", explique Eric Giacometti, qui rappelle que déjà en 2012, au lendemain de l'affaire Merah, "beaucoup de jeunes de banlieue étaient persuadés de l'existence d'un complot 'sioniste'".

> Pourquoi les jeunes sont-ils si nombreux à y adhérer?

L'âge et l'environnement social font que les jeunes représentent un terreau particulièrement fertile pour l'adhésion à ces théories, et leur propagation. "Quand on est jeune, on a tendance à ne pas croire ce que disent les parents, les adultes, ou les gens sérieux à la télévision", souligne François-Bernard Huyghe, chercheur à l'IRIS, spécialiste de cyberstratégie, contacté par BFMTV.com. "Mais évidemment, il y a aussi le fait qu'ils fréquentent les réseaux sociaux. Les jeunes se sont éloignés du téléviseur familial, du JT de 20 heures, et se détachent d'une façon générale des médias 'classiques'. Ils passent énormément de temps sur les réseaux sociaux, où nous sommes tous informateurs, tous journalistes, et où la rumeur circule très vite".

A cette propagation ultra-rapide d'informations parfois erronées, souvent non-vérifiées, et pour certaines teintées de racisme ou d'antisémitisme, vient s'ajouter une méfiance croissante vis-à-vis des médias. "On est dans une logique où certains individus s'éloignent des vecteurs d'information traditionnels, et deviennent de plus en plus crédules envers leurs égaux, les gens qui leur ressemblent, leurs amis, sans se rendre compte que ce qui circule sur Internet peut être complètement bidon", analyse François-Bernard Huyghe.

> Comment faire pour éviter la propagation de ces théories auprès des jeunes?

"Ce que nous avons peut-être raté jusqu'à présent à l'école, c'est de réussir à faire le pont entre ce que le jeune découvre sur Internet, et qu'il ne sait pas trier, puisqu'il ne sait pas faire la part entre l'information et la rumeur", a reconnu Najat Vallaud-Belkacem, précisant que des annonces seraient faites la semaine prochaine sur ce dossier.

De leur côté, les organisations lycéennes SGL, UNL et FIDL ont annoncé le lancement prochain d'un site internet destiné à lutter contre la théorie du complot et l'endoctrinement des jeunes. "L'objectif est de sensibiliser et de donner des arguments aux lycéens, qui voudraient répondre à leurs camarades qui peuvent parfois 'propager' des thèses complotistes autour des attentats, ce qui est leur droit. Il s'agit de donner aux lycéens les moyens d'y répondre et de discuter de ce que veut dire la liberté d'expression", explique à BFMTV.com Corentin Durand, président de l'Union nationale lycéenne (UNL). Ce site, qui devrait être mis en ligne d'ici deux semaines, ne s'occupera pas de déconstruire les thèses circulant sur Internet, mais "permettra aux lycéens de contribuer, par des dessins, des caricatures, des photomontages, à les tourner en dérision", précise Corentin Durand.

> Quelle peut être l'efficacité de ce genre de mesures?

Mais pour François-Bernard Huyghe, ces méthodes, qui passent par un discours officiel, vertueux et moralisateur, pourraient s'avérer insuffisantes, voire totalement inefficaces, tout comme la méthode répressive. "Surveiller davantage, imposer des condamnations, ne fera qu'entretenir le sentiment de persécution, et l'interpellation de Dieudonné (le polémiste a été placé en garde à vue mercredi matin, dans le cadre d'une enquête pour "apologie du terrorisme", NDLR) vient d'ailleurs nourrir cette thèse du 'deux poids-deux mesures'. Pour les jeunes qui utilisent Internet et adhèrent à certaines théories, cette contradiction est évidente", estime le spécialiste, selon qui le problème est "inhérent" aux réseaux sociaux.

"Il est facile de signaler des contenus à retirer à Facebook et Twitter, en particulier les discours de haine. Le problème, c'est que la suppression des comptes est perçue comme une censure par les concernés. Donc ces comptes réapparaissent, encore plus nombreux, quelques instants plus tard", souligne François-Bernard Huyghe, pour qui des méthodes plus radicales, comme par exemple le hacking informatique des individus alimentant les thèses complotistes sur les réseaux, serait plus efficace, mais "totalement immoral et illégal".

"Il ne faut pas traiter tout cela avec mépris", estime pour sa part Eric Giacometti. "Il faut faire tout un travail de pédagogie, et être crédible. Un ministre venant faire la leçon dans une classe ne sera pas crédible. Il faut des gens qui puissent parler à ces jeunes". Et le journaliste de conclure: "Ce serait peut être une bonne idée que la communauté musulmane s'investisse dans ce dialogue".