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Éducation: des climatosceptiques consultés pour adapter les programmes au changement climatique

Des manuels scolaires (illustration).

Des manuels scolaires (illustration). - PATRICK KOVARIK / AFP

Le Canard Enchaîné révélait la semaine dernière que parmi les experts entendus pour revoir les programmes scolaires se trouvait un physicien connu pour ses prises de position climatosceptiques. Une autre personnalité adepte de thèses comparables a également été entendue.

En mars dernier, Le Monde s'alarmait dans un article: "Le dérèglement climatique est trop peu enseigné, de l'école à l'université". Dont acte? Le 20 juin suivant, le ministre de l'Éducation nationale Jean-Michel Blanquer adressait une lettre de saisine à la présidente du Conseil supérieur des programmes (CSP), Souâd Ayada.

Dans sa missive, le ministre soutenait alors qu'il fallait "proposer des enseignements plus explicites, plus précis et plus complets sur ces questions" et qu'il fallait pour cela "mener une analyse précise des programmes des cycles 2, 3, et 4 (qui englobent les classes du CP à la 3e, NDLR) afin d'y proposer des contenus d'enseignement complémentaires sur les enjeux du changement climatique, du développement durable et de la biodiversité".

Une réflexion, afin de "garantir la qualité scientifique" des propositions du CSP, à mener en sollicitant notamment "les meilleurs experts sur ces questions qui exigent objectivité, rigueur et précision scientifiques".

L'urgence climatique, "un leurre" pour François Gervais

Comme l'a fait remarquer Le Canard Enchaîné, c'est là que le bât semble blesser. Dans son édition du 16 octobre, l'hebdomadaire relève la présence d'un physicien dénommé François Gervais, connu pour ses prises de position climatosceptiques.

François Gervais, écrit le palmipède, "va partout répétant depuis des années que l'alerte au réchauffement est pure mystification". Il est notamment auteur d'un ouvrage publié en octobre 2018, intitulé L'Urgence climatique est un leurre ou encore de L'Innocence du carbone - L'Effet de serre remis en question, paru en 2013.

François Gervais défend la thèse selon laquelle le changement climatique serait en fait "une oscillation qui correspond à un cycle d'une soixantaine d'années", entre réchauffement et refroidissement, comme il le déclarait en décembre dernier au cours d'une conférence dans les locaux du parti Solidarité et Progrès, fondé et présidé par Jacques Cheminade. Conférence en introduction de laquelle il s'était dit "porteur d'un message plutôt rassurant", quant au changement climatique.

Entre les lignes: le changement climatique serait donc d'après lui un phénomène naturel, et non imputable à l'Homme. Une théorie rejetée par la communauté scientifique qui semble malheureusement avoir la peau dure: à l'heure où nous écrivons ces lignes, la conférence en question a été visionnée plus de 550.000 fois sur YouTube.

Le Giec, (Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat) avertissait en septembre que des pans entiers de l'Humanité étaient menacés par les émissions carbone, et qu'il n'existait qu'une option pour protéger cette dernière et la sauver d'elle-même, écrivait l'AFP: réduire les émissions de CO², à l'origine des bouleversements climatiques.

Vingt-trois experts entendus par le CSP

Deux jours après la parution de l'article du Canard Enchaîné, le 18 octobre, le CSP annonce via le site internet de son ministère de tutelle que ses propositions seront remises à Jean-Michel Blanquer à la fin du mois de novembre. Et publie par là-même la liste des vingt-trois experts auditionnés à ces fins. Surprise: parmi ces personnalités, François Gervais ne serait pas le seul à défendre des thèses controversées.

"Ces auditions (...) ne sauraient préjuger des orientations des propositions du CSP qui seront élaborées dans les semaines à venir", semble déminer le CSP dans son texte accompagnant la publication de la liste.

Sur Twitter, la journaliste indépendante Juliette Nouel, spécialiste du climat, remarque d'emblée dans la liste des experts le nom du géophysicien Vincent Courtillot, par ailleurs membre de l'Académie des sciences. 

Ce dernier a fait partie des signataires en septembre d'une pétition adressée aux Nations unies proclamant qu"'il n'y a pas d'urgence climatique" ni de "crise", répliquant au Giec et à son rapport spécial sur le changement climatique, comme le racontait le HuffPost.

Il fut aussi un proche de l'ancien ministre de Lionel Jospin Claude Allègre, qui, s'il admettait des variations de températures, soutenait que "l'activité humaine n'y (était) pas pour grand chose", écrivait M le Magazine du Monde en 2018, épinglé parmi d'autres comme étant un "ennemi de la science", par le journaliste du Monde Stéphane Foucart dans son ouvrage Le Populisme climatique paru en 2010 aux éditions Denoël.

Vincent Courtillot figure également au comité scientifique de l'association des "Climato-Réalistes", une structure présidée par le mathématicien Benoît Rittaud, auteur du livre Le Mythe climatique, paru en 2010, "dans lequel il prône et justifie son climato-sceptiscieme", résume France Culture.

Le CSP défend ses choix de personnalités

"Ils s'arrogent le droit de parler de tout", déplore Juliette Nouel auprès de BFMTV.com à propos de François Gervais et Vincent Courtillot. "Ils s'appuient sur un langage et des postures scientifiques car ce sont des scientifiques, qui peuvent être reconnus, mais dans d'autres domaines que le climat", souligne-t-elle.

Auprès du Canard Enchaîné, la présidente du Conseil Souâd Ayada avait fait valoir que la liste de personnalités entendues avait "été établie collégialement" et que la décision d'auditionner François Gervais tenait au fait que le CSP "se doit d'écouter tous les représentants de ce débat", ajoutant que "ce que conteste François Gervais, c'est l'urgence climatique, mais pas le réchauffement lui-même". 

Au sein de la communauté scientifique, cette histoire a provoqué des remous. Notamment au regard de la justification apportée par Souâd Ayada auprès du Canard Enchaîné.

"La présidente du CSP argumentait sur le fait qu'il fallait écouter tout le monde", réagit le paléoclimatologue Gilles Ramstein auprès de BFMTV.com. Alors que "ce n'est pas une question d'égalité mais de sciences. (...) Ce sont des arguments d'un relativisme absolu. C'est comme si on ne savait rien, c'est ça qui a beaucoup choqué, alors qu'on sait beaucoup de choses!" 

Donner des repères aux élèves

Contacté par BFMTV.com lundi, le CSP s'est borné à répondre qu'il communiquerait "sur ces propositions une fois celles-ci élaborées et validées collégialement", et n'a pas donné suite à nos sollicitations sur la qualité des experts auditionnés pour mener ces travaux.

"Je pense qu'il faut donner aux collégiens et lycéens des repères et une éducation qui leur donne les moyen d'affronter un monde où climat et environnement se modifient très rapidement et où ils devront prendre des décisions", conclut Gilles Ramstein, qui euphémise: "Je préférerais qu'au CSP il y ait des gens plus armés que ça (que Vincent Courtillot et François Gervais, NDLR)" pour adapter les programmes scolaires.
Clarisse Martin