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Société

Charlie Hebdo ou la provocation pour fonds de commerce

Stéphane Charbonnier, dit Charb, le directeur de la publication de Charlie Hebdo.

Stéphane Charbonnier, dit Charb, le directeur de la publication de Charlie Hebdo. - -

Charlie Hebdo, qui a causé un tollé en publiant mercredi des caricatures du prophète Mahomet, a fait de la provocation son fonds de commerce tout au long de son existence. Retour sur l'histoire de l'hebdomadaire satirique.

L'hebdomadaire satirique Charlie Hebdo, qui a causé un tollé en publiant mercredi des caricatures du prophète Mahomet, a fait de la provocation son fonds de commerce tout au long de son histoire mouvementée, particulièrement contre les religions.
Les dernières caricatures représentent Mahomet dans des positions dénudées et humiliantes.
La publication de ces dessins a conduit le gouvernement à fermer ses ambassades et écoles dans une vingtaine de pays musulmans pour la journée de vendredi, jour de la grande prière, par crainte de manifestations hostiles, dans un contexte extrêmement tendu par la diffusion sur internet d'un film anti-islam.
Les représentants de tous les cultes ont condamné cette publication et le ministre des Affaires étrangères, Laurent Fabius, a estimé qu'il n'était pas « intelligent [de] mettre de l'huile sur le feu ».
Charlie Hebdo est pourtant coutumier du fait et toutes les grandes religions ont déjà été la cible des textes et des dessins de cet hebdomadaire férocement antimilitariste et anticlérical.
« C'est un journal satirique, dans lequel travaillent des gens de gauche et la gauche, pour nous, ça va des anarchistes en passant par les communistes, les Verts, les socialistes, etc. Surtout, c'est un journal laïc et athée », a dit à Reuters son directeur de la publication, Stéphane Charbonnier, dit Charb.

Bal tragique à Colombey

Charlie Hebdo descend tout droit de son ancêtre Hara-Kiri, un mensuel lancé en 1960 par Georges Bernier, alias Professeur Choron, et par François Cavanna, au tout début de la Ve République du général de Gaulle, un régime alors jugé confit dans son conservatisme moral, social et politique.
Le "journal bête et méchant", comme il se qualifiait lui-même en couverture, est un mélange potache de textes au vitriol et de photos dont l'unique but est de faire rire en choquant, avec une utilisation très crue de la nudité.
Dans la France prude du général de Gaulle, ces provocations passent mal et Hara-Kiri est par deux fois interdit, en 1961 et 1966, avant de donner naissance en 1969, aux côtés du mensuel, à Hara-Kiri Hebdo avec les mêmes journalistes-caricaturistes.
Les Cabu, Reiser, Wolinski et autres, qui ont fait ou font toujours les beaux jours d'autres publications, testent chaque semaine les limites de la liberté d'expression dans une atmosphère de carabins alcoolisés qui ne reculent devant rien.
Mais en 1970, Hara-Kiri Hebdo est interdit après avoir rendu compte à sa manière de la mort du général de Gaulle : « Bal tragique à Colombey [lieu de la résidence de campagne du général,NDLR]. Un mort », titre-t-il sous forme de faire-part, une allusion à un incendie dans une discothèque française qui avait fait 146 morts quelques jours plus tôt.

La provocation pour étendard

La publication devient Charlie Hebdo pour reparaître, et rencontre le succès en multipliant les Unes toujours plus provocantes, les articles conciliants avec les violences de l'ultra-gauche mais aussi sur l'écologie naissante. Charlie Hebdo cesse sa parution en 1981 faute de lecteurs, pour renaître en 1992 sans abandonner ce qui a fait son succès.
Mais la rédaction est désormais partagée, et le caricaturiste Siné voit sa collaboration interrompue en 2008 après la publication d'un dessin jugé antisémite: il moque le mariage de Jean Sarkozy, le fils de l'ancien président, avec l'héritière juive du groupe d'électroménager Darty.
L'anticléricalisme de Charlie Hebdo reste virulent, comme le démontre déjà la publication en 2006 de caricatures de Mahomet, d'abord imprimées dans un journal danois, et qui venaient de provoquer une vague de protestations dans le monde musulman.

Une particularité française

En 2007, Philippe Val, alors directeur de Charlie Hebdo, poursuivi pour "injures raciales", est relaxé en première instance, ce que confirme un jugement en appel en 2008.
En novembre 2011, après la victoire des islamistes en Tunisie, Charlie Hebdo est rebaptisé "Charia Hebdo" le temps d'un numéro, montrant en Une un prophète Mahomet hilare, bombardé rédacteur en chef. En représailles, un incendie criminel ravage les locaux de Charlie Hebdo et le site internet de l'hebdomadaire est piraté.
Ce mercredi, Charb dit avoir fait réimprimer 70 000 exemplaires du dernier numéro, en plus des 70 000 déjà vendus. Il revendique sa liberté de ton, facilitée selon lui par l'absence de publicité, et dit ne pas comprendre les réactions du gouvernement : « Ça me surprend que le gouvernement donne autant d'importance et autant de crédit à des manifestations intégristes et radicales très minoritaires dans le monde et ultra-minoritaires en France ».
Toutes les religions sont visées, assure-t-il en rappelant la couverture "Bienvenue au pape de merde", lorsque Jean-Paul II avait effectué une visite officielle en France.

La Rédaction avec Reuters