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"Des observations perdues pour toujours": l'inquiétude de scientifiques américains mis à la porte par l'administration Trump

Le directeur de recherche émérite Francis Rondelez tient une pancarte lors d'une manifestation "Stand Up For Science" en soutien aux scientifiques américains à Paris le 3 avril 2025. Photo d'illustration

Le directeur de recherche émérite Francis Rondelez tient une pancarte lors d'une manifestation "Stand Up For Science" en soutien aux scientifiques américains à Paris le 3 avril 2025. Photo d'illustration - Alain JOCARD / AFP

Des chercheurs américains commencent à être accueillis cette semaine par l'université d'Aix-en-Provence dans le cadre d'un programme "d'asile scientifique". Un accueil qui intervient dans un contexte d'une féroce offensive trumpiste contre la science, avec le renvoi de scientifiques par l'administration américaine. Certains confient auprès de BFMTV.com leur inquiétude des conséquences de cette politique, sur leurs propres recherches et sur la planète.

Ils ont choisi la France comme terre d'asile scientifique. L'université d'Aix-Marseille, qui avait lancé un appel aux chercheurs américains, a accueilli ce jeudi 26 juin plusieurs scientifiques, appelés à rester dans le sud de la France pour trois ans.

Un accueil conséquence directe de la politique anti-science menée par Donald Trump et son administration depuis son retour à la Maison Blanche le 20 janvier dernier. Licenciement de milliers de chercheurs fédéraux, coupes drastiques dans les financements ou encore bannissement de mots en lien avec le changement climatique... La science est la cible d'une purge sans précédent. Et le grand bleu ne fait pas exception.

"L'administration Trump essaye de faire de nous les ennemis"

Au début du mois, tandis qu'Emmanuel Macron appelait à la "mobilisation" pour sauver des océans "en ébullition" depuis le sommet des océans à Nice, de l'autre côté de l'Atlantique, des coupes drastiques sont prévues au sein de l'agence fédérale chargée de les étudier, la National Oceanic and Atmospheric Administration (NOAA).

Le projet de loi budgétaire 2026 de Donald Trump envisage une réduction du financement global de cette agence, pilier de la recherche mondiale sur le climat, la météo et les ressources marines, de plus de 1,5 milliard de dollars. "Le budget met fin à une série de programmes de recherche, de données et de subventions axés sur le climat", assure l'administration Trump.

Depuis janvier, environ 2.200 employés de la NOAA ont été licenciés selon la chaîne américaine CBS News. Parmi eux, Tom Di Liberto, un climatologue devenu porte-parole de l'agence fédérale en 2023, contacté par BFMTV.com. Il a été mis à la porte le 27 février dernier, une dizaine de jours avant la fin de sa période d'essai fixée en mars 2025, en recevant un simple mail indiquant que ses "compétences et aptitudes ne correspondaient plus aux besoins de l'agence".

Le scientifique américain Tom di Liberto annonce sur LinkedIn avoir été licencié de la NOAA.
Le scientifique américain Tom di Liberto annonce sur LinkedIn avoir été licencié de la NOAA. © Tom di Liberto, LinkedIn

Si le chercheur, qui a participé à plusieurs COP, se doutait qu'il était "dans la ligne de mire" les jours précédents la réception de cet email - et même "avant l'élection" - il a été "difficile d'accepter" la nouvelle. "J'étais triste et en colère, pour moi et pour toutes les autres personnes licenciées. Notre seul tort est d'avoir été embauché dans les deux ans précédents et de travailler sur des sujets liés aux océans, à la météo et au changement climatique", déplore-t-il.

"L'administration Trump a assez clairement fait savoir qu'elle n'accepte pas la réalité scientifique du changement climatique mais elle veut aussi faire en sorte que personne ne puisse étudier le climat", constate Tom Di Liberto qui établissait des prévisions météorologiques et climatiques pour la NOAA depuis 2010. Un "rêve" de son enfance.

"Il semble que nous soyons punis pour avoir simplement suivi ce que les données et les preuves suggèrent", conclut-il. "L'administration Trump essaye de faire de nous les ennemis, alors que tout ce que nous essayons de faire, c'est d'aider les autres". Malgré ses 15 ans de services, moins d'une 1h15 lui a été laissée pour prendre la porte.

Une perte de connaissance

La communauté scientifique s'inquiète des répercussions des "attaques" du milliardaire républicain au-delà des frontières américaines car de nombreux projets de recherches sont internationalisés. En France, l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer (Ifremer) est directement touché par les coups de rabot au sein de la NOAA.

20% de ses publications "sont cosignées avec un partenaire américain, et en premier lieu avec la NOAA", avancent nos confrères du Monde qui rappellent les restrictions d'échanges imposées mi-février aux scientifiques de l'agence avec des partenaires étrangers. "Tout cela retarde notre travail et la mise en commun des connaissances", a expliqué au quotidien Fabrice Pernet, chercheur en biologie marine à l'Ifremer.

"Les projets de recherche visant à mieux comprendre l'impact du changement climatique à l'échelle régionale et mondiale seront interrompus par les experts américains. Ce qui aura inévitablement pour effet de réduire la quantité de connaissances que les scientifiques du monde entier sont en mesure d'acquérir", nous affirme Tom di Liberto.

Aidan Mahoney, météorologue spécialisé dans les analyses tropicales au National Oceanic and Atmospheric Administration (NOAA) à Miami, Floride, le 30 mai 2025.
Aidan Mahoney, météorologue spécialisé dans les analyses tropicales au National Oceanic and Atmospheric Administration (NOAA) à Miami, Floride, le 30 mai 2025. © CHANDAN KHANNA / AFP

Il rappelle que la NOAA, avec ses "satellites géostationnaires qui couvrent environ la moitié de la planète" et ses "réseaux de bouées qui surveillent les océans", est "l'un des plus grands réservoirs de données climatiques au monde".

Sa crainte? Que l'agence "ne puisse plus collecter autant de données qu'auparavant". Or, "si une observation n'est pas faite à l'instant T, elle est perdue pour toujours", met en garde le scientifique qui redoute que cette fuite de données empêche d'anticiper et de se préparer à la multiplication des phénomènes climatiques extrêmes.

De quoi également inquiéter James (*le prénom a été modifié), un ancien scientifique fédéral oeuvrant à l'échelle locale avant d'être licencié, interrogé par BFMTV.com.

"La science que nous faisons actuellement ne sait pas à quel point elle sera utile dans 50 ou 100 ans", abonde le limnologue.

"Surtout aujourd'hui, avec le changement climatique et la rapidité avec laquelle les choses évoluent, il est plus important que jamais d'investir et de développer la science plutôt que d'essayer de la réduire", constate-t-il.

Un départ vers l'Europe?

Le spécialiste des écosystèmes qui a requis l'anonymat a été mis à la porte le 14 février dernier, trois mois après sa nouvelle prise de poste au sein d'une agence fédérale. "J'ai reçu un message de mon supérieur me disant de venir le voir dans son bureau, et j'ai été licencié", nous raconte le chercheur à l'origine embauché pour un contrat de quatre ans. "Mon supérieur m'a aidé à ranger toutes mes affaires, et je suis parti, tout de suite après la réunion dans son bureau", relate-t-il. "C'était dévastateur".

"Je savais que l'administration Trump arrivait, mais je ne pensais pas que cela allait être aussi intense aussi rapidement. Je pense que beaucoup de gens ne s'attendaient pas à ce que tout cela se produise", estime James qui avait expressement déménagé pour ce nouveau job.

Six autres de ses collègues, également en période d'essai, ont été mis sur le carreau. Grâce à une décision de justice, il leur a été proposé de reprendre leur poste. Ce que le scientifique a refusé. "J'ai décidé de ne pas accepter cette offre, car je pense que la situation va devenir encore plus chaotique avant de redevenir stable", justifie-t-il.

Fort de ses plus de dix ans d'expérience en sciences aquatiques, James a depuis retrouvé un poste, hors du département fédéral. S'il confie avoir envisagé de venir travailler en Europe - où les chercheurs américains sont accueillis à bras ouverts - il ne passera pas le pas.

"Toute ma famille est ici, ce type de décision est difficile à prendre. Puis, je pense qu'il existe encore une architecture scientifique, ici, aux États-Unis. J'ai de l'espoir, en moi et mes collègues", déclare le biologiste.

"Un problème global qui ne peut être résolu que par la communauté mondiale"

Un espoir partagé par Tom di Liberto, pour qui le futur scientifique américain ne repose plus sur le gouvernement mais sur les "organisations à but non lucratif, le secteur privé, le monde universitaire".

Toujours en recherche d'emplois dans son pays, l'ancien porte-parole climatique au sein de la NOAA ne compte pas lui-même baisser les bras. "La raison pour laquelle je me suis lancé dans ce domaine, outre l'amour de l'atmosphère et des nuages que j'entretiens depuis mes huit ans, c'est que je n'aime pas que les gens soient blessés", nous explique-t-il.

"Or, si je ne communique plus sur les risques auxquels nous sommes confrontés, des millions et des millions de personnes seront touchées", déplore-t-il.

Venir en Europe avec sa femme et ses deux enfants n'est pas non plus à l'ordre du jour. "Ma femme et moi en avons parlé mais elle ne peut pas quitter son emploi ici. Si ce n'était pas le cas, je serais ravi d'aller là où se poursuit la recherche", assure le climatologue. "Le changement climatique est un problème global qui ne peut être résolu que par la communauté mondiale".

Juliette Brossault