TOUT COMPRENDRE - Coqueluche, rougeole... Comment expliquer le retour de ces maladies "oubliées"?

Un vaccin contre la rougeole dans un hôpital de Podgorica, capitale du Monténégro, le 16 février 2020. (photo d'illustration) - SAVO PRELEVIC / AFP
On les croyait reléguées au passé, pourtant elles refont surface: rougeole, coqueluche, syphilis, tuberculose... Les maladies du passé font leur retour.
En fait, elle n'ont jamais vraiment disparu. Comme le note l'OMS, à ce jour, la variole est la seule maladie humaine jamais éradiquée. "C'est le génie épidémique: il y a des cycles de quelques années, parfois quelques décennies où les maladies se font oublier, mutent un peu, puis réapparaissent sans prévenir", explique Mikael Askil Guedj, docteur en sciences médicales et chirurgien, auteur d'un ouvrage sur les maladies du siècle.
Ces maladies "ont toujours été latentes", note aussi Philippe Sansonetti, professeur émérite à l'Institut Pasteur et au Collège de France.
La coqueluche
• C'est quoi?
La coqueluche, infection respiratoire causée par une bactérie, se transmet très facilement par voie aérienne, au contact d'une personne malade présentant une toux, principalement dans la famille ou en collectivités.
Elle peut être sévère à tout âge et peut même s'avérer mortelle pour les jeunes nourrissons non vaccinés (ou partiellement), et les personnes à risque comme les femmes enceintes et les personnes âgées.
Dans les régions où les enfants n'ont pas été vaccinés, la transmission se fait surtout parmi les enfants. En revanche, dans les régions comme la France où les enfants sont vaccinés depuis des décennies, la transmission se fait maintenant essentiellement des adultes ou adolescents vers les nourrissons.
• Le nombre de cas augmente
La coqueluche fait son grand retour dans l'Hexagone. Depuis le début de l'année, elle a tué 14 enfants, des nouveaux-nés dans leur grande majorité. Santé publique France parle d'une "circulation de la bactérie très importante" qui s'intensifie en ce moment. Entre janvier et mai 2024, plus de 5.800 cas ont été recensés – soit cinq fois plus qu'en 2023.
Comme l'explique le microbiologiste Philippe Sansonetti, "on vit avec des poussées irrégulières".
• Pourquoi?
L'insuffisante couverture vaccinale est en cause. Il faudrait "revacciner à l'âge adulte, en particulier les femmes enceintes" pour protéger les futurs bébés, car "le vaccin actuel ne protège pas à vie contre l'infection", souligne Philippe Sansonetti.
La primo-vaccination chez les enfants est faite à l'âge de 2 mois, 4 mois et 11 mois. Puis un rappel à 6 ans et un autre entre 11 et 13 ans. Chez les adultes, un rappel est recommandé à l’âge de 25 ans (rattrapage recommandé jusqu’à 40 ans).
Depuis 2022, la vaccination durant la grossesse (entre 20 et 36 semaines d'aménorrhée) est préconisée pour protéger le nouveau-né avant sa propre vaccination. En l'absence de vaccination au cours de la grossesse, celle-ci est recommandée pour les parents en post-partum et pour toute personne susceptible d’être en contact étroit avec le nourrisson durant ses six premiers mois de vie.
La rougeole
• C'est quoi?
La rougeole se manifeste par une éruption cutanée précédée par une rhinite, une conjonctivite, une toux, accompagnée d'une fièvre très élevée et d'une grande fatigue.
Elle est souvent bénigne, avec une guérison en une dizaine de jours, mais peut toutefois entraîner des complications graves, respiratoires et neurologiques, parfois mortelles chez les bébés.
• Le nombre de cas augmente
En 2023, 117 cas (dont 31 importés) ont été déclarés en France, contre 15 en 2022. En janvier dernier, l’OMS a lancé une alerte sur l’augmentation des cas de rougeole, avec plus de 306.000 cas déclarés dans le monde l’an dernier soit +79% par rapport à l'année précédente.
• Pourquoi?
Le vaccin ROR (rougeole-oreillons-rubéole) avait été victime d'une forte méfiance des parents en raison de fausses informations lui imputant des cas d'autisme. Les cas avaient tellement flambé dans les années 2000 que cette vaccination est passée de recommandée à obligatoire pour tous les nourrissons en 2018 pour tenter d'endiguer le phénomène.
Mais "il y a des rougeoles d'adultes et d'adolescents chez les non ou mal vaccinés (une seule injection au lieu des deux obligatoires)", souligne Mikael Askil Guedj.
Après les années épidémiques de 2018 et 2019, un effondrement du nombre de cas de rougeole avait été observé – dès avril 2020, du fait des "mesures barrières" mises en place pour lutter contre l'épidémie de Covid-19.
Selon l'OMS, le vaccin contre la rougeole a permis de sauver près de 94 millions de vies à travers le monde depuis 1974. Une couverture vaccinale de 95% ou plus, avec deux doses de vaccin contre la rougeole, est nécessaire pour protéger les communautés des épidémies.
La tuberculose
• C'est quoi?
Transmise par voie aérienne, la tuberculose une infection bactérienne très contagieuse touchant le plus souvent les poumons, mais pouvant se propager au cerveau.
Une personne tuberculeuse non traitée peut infecter de 5 à 15 personnes en moyenne chaque année. Elle touche principalement les personnes en situation de grande précarité sociale et sanitaire.
• Le nombre de cas augmente
La tuberculose, si elle reste à un niveau faible, a connu un rebond de cas en France en 2023 après trois années de crise sanitaire, avec 4.728 cas déclarés, selon Santé publique France. La Guyane, Mayotte et l’Île-de-France sont les régions les plus touchées.
La tuberculose reste une maladie infectieuse de première importance au niveau mondial, avec plus de 10 millions de cas, et entraînant 1,4 million de morts chaque année.
• Pourquoi?
"La tuberculose avait suffisamment diminué pour qu'on arrête la vaccination", explique Philippe Sansonetti. En effet, "il existe un vaccin, le BCG, qu'on ne trouve plus nulle part en pharmacie" qui, par ailleurs "ne protège pas très bien", ajoute Mikael Askil Guedj.
Très utile pour prévenir les formes graves de la maladie chez les jeunes enfants (près de 90% d’efficacité dans le cas de méningites tuberculeuses), il protège peu contre les cas de tuberculoses pulmonaires chez les adolescents et les adultes. Il ne permet donc pas d'empêcher la transmission de la maladie et d’enrayer l'épidémie mondiale.
La syphilis
• C'est quoi?
La syphilis, infection sexuellement transmissible tristement célèbre dans le monde entier pour avoir infecté des artistes comme Baudelaire ou Schubert, a longtemps été reléguée au deuxième plan des politiques publiques notamment face à l'épidémie de VIH.
La syphilis, due à la bactérie Treponema pallidum, se transmet par voie sexuelle, ou de la mère à l’enfant au cours de la grossesse. Elle peut affecter tous les organes et avoir de graves conséquences si elle n'est pas dépistée et traitée.
• Le nombre de cas augmente
Elle a refait surface dans la plupart des pays occidentaux au cours des dernières années, notamment aux États-Unis. Selon l'Agence de contrôle et de prévention des maladies, les infections ont atteint leur taux le plus élevé depuis les années 1950, rapportait le New York Times en janvier. En France, elle a vu son incidence bondir de 110% entre 2020 et 2022.
• Pourquoi?
"La syphilis, on l'a vue flamber avec le sida et puis retomber en même temps que les mesures de prévention", explique Philippe Sansonetti.
Son retour s'explique par le moindre recours au préservatif, depuis que les antirétroviraux ont réduit la peur du sida. "Beaucoup de gens en sont porteurs sans le savoir, et continuent à propager la syphilis car les premiers symptômes sont assez discrets ou mal identifiés", explique Mikael Askil Guedj.
Pour la syphilis "le diagnostic est difficile, mais dès qu'il y a un doute, il faut faire des tests sérologiques", ajoute Philippe Sansonetti, qui plaide aussi pour de "grandes campagnes d'information et de sensibilisation".
Scorbut, gale, rachitisme...
Au Royaume-Uni, des professionnels de santé alertent sur une recrudescence des "maladies de l'ère victorienne", soit les maladies qui ont fait des ravages notamment au cours du 19e siècle.
Les cas de rachitisme, maladie causée par le manque de soleil et de vitamines D, sont en augmentation, tout comme ceux de scorbut, lié à une consommation insuffisante de fruits et légumes frais, entraînant une carence en vitamines C.
Le scorbut peut entraîner une extrême fatigue, des saignements des gencives, des pertes dentaires, des douleurs articulaires ou des troubles de la cicatrisation, tandis que le rachitisme affecte le développement des os.
Ces deux maladies anciennes sont des indicateurs de la malnutrition et de pauvreté. En outre, le directeur de l'institut d'équité sanitaire de l'université de Londres pointe également les coupes budgétaires dans les services publics. En effet, pour la gale par exemple, la pénurie de médicaments empêche de freiner la progression de la maladie.