Mu et C.1.2.: que sait-on des nouveaux variants du Covid-19?

Ce mercredi, Océan noir, nouvel album des aventures de Corto Maltese, sort en librairies. L'occasion de se souvenir que l'ultime aventure du marin maltais signée de la main de son géniteur Hugo Pratt s'intitulait Mû, un nom renvoyant à la légende d'un continent aussi englouti qu'inconnu.
Un continent inconnu, c'est bien ce qu'incarne ce caractère grec pour la communauté scientifique, qui l'utilise désormais pour désigner un nouveau variant du Covid-19, apparu en Colombie et circulant en Amérique du sud. Dans la nuit de mardi à ce mercredi, l'Organisation Mondiale de la Santé l'a même caractérisé de "variant à suivre" à l'occasion de son dernier bulletin épidémiologique hebdomadaire. De surcroît, ces derniers jours, il se retrouve régulièrement associé dans la presse à une autre déclinaison du virus, d'origine sud-africaine celle-ci: C.1.2.
Cette double percée médiatique de deux mutations supplémentaires du virus, alors même que le variant Delta n'en a pas terminé avec sa propagation planétaire, a de quoi inquiéter sur le papier. Sauf que la communauté scientifique met en garde contre toute hystérie et souligne même que si ces variants impliquent études et surveillance, ils ne justifient pas d'inquiétude particulière à ce stade.
Mu, un variant à suivre mais au rare séquençage
Il convient donc de faire la lumière sur ce que l'on sait, pour l'heure, de ces deux variants. C'est sur Mu que pèsent les éléments les plus concrets. L'OMS a en effet officialisé, dans la nuit de mardi à mercredi, sa surveillance accrue de cette énième reformulation de la pandémie, évoquant un nouveau "variant à suivre" dans sa communication hebdomadaire.
"Nouveau variant", si on veut. En effet, il est apparu en Colombie dès janvier dernier. Il a toutefois déjà voyagé. Sur Twitter mardi, Maria Van Kerkhove, directrice de l'équipe technique de l'OMS dévolue au suivi du Covid-19, a ainsi évoqué 4500 séquençages, en provenance de 39 pays.
Mais sa réalité demeure avant tout sud-américaine: sa prévalence est ainsi de 39% en Colombie, et de 13% en Equateur, en "augmentation constante" selon l'OMS. Santé Publique France, citée ici par L'Express, a même évoqué 105 cas hexagonaux à la date du 25 août.
Toutefois, Maria Van Kerkhove le dit elle-même: les 4500 séquençages observés pour Mu représentent moins de 0,1% des cas mondiaux séquencés. De plus, si l'OMS a appuyé la bascule de Mu parmi le groupe des "variants à suivre" sur un "risque d'échappement immunitaire" - entendre la possibilité d'une plus grande résistance aux vaccins - l'instance sanitaire contrebalance aussitôt cette menace toute hypothétique en expliquant que des études supplémentaires restent à mener sur le sujet pour l'établir ou l'écarter.
"On a un variant Mu qui semble très contagieux, c'est pour ça que l'incidence augmente, et que l'OMS surveille ça de très près. Mais je pense que c'est beaucoup trop tôt pour savoir si ce variant Mu aura le même impact que Delta. Mais il y aura d'autres variants! C'est pour ça qu'il faut raisonner en termes de vaccination comme pour toute pandémie, c'est-à-dire au niveau mondial", a commenté quant à lui Jean-Paul Ortiz, président de la Confédération des syndicats médicaux français, ce mercredi matin sur notre plateau.
Hystérie autour de C.1.2
Aussi peu réjouissant que soit la survenue d'un variant du virus, Mu fait donc figure d'événement logique dans le cours d'une pandémie qui, se prolongeant dans le temps, passe naturellement de mutation en mutation. Si l'équation est la même pour C.1.2, l'hystérie qui l'entoure est toute autre.
Tout a commencé lundi par un tweet publié par l'épidémiologiste américain Eric Teigl-Ding. "NOUVEAU VARIANT - Un nouveau variant du Covid-19 vient d'être identifié en Afrique du Sud et plusieurs pays, menaçant d'être plus infectieux et d'échapper aux vaccins. C.1.2 a aussi un rythme de mutation près de 'deux fois plus rapide' que le celui présenté par les autres variants", a-t-il d'abord tempêté, enchaînant, de manière toujours aussi tonitruante:
"Cette étude est une prépublication de l'Institut national d'Afrique du Sud pour les maladies infectieuses. Le nouveau variant a 'muté substantiellement' et est désormais séparé du virus originel par davantage de mutations que n'importe quel autre - wah!"
Il fait en fait référence aux travaux rédigés par des chercheurs de la Plateforme pour la recherche, l'innovation et le séquençage du Kwazulu-Natal (KRISP). Comme le note ici le Huffington Post, ceux-ci mentionnent bien au sujet de C.1.2 une cadence de mutation "1,7 fois plus rapide que le rythme global" suivi par les autres variants. Plusieurs éléments obligent toutefois à la prudence. Dans un premier temps, le statut de prépublication de l'étude, remarquée par l'épidémiologiste américain à la volée, qui souligne que celle-ci n'est pas encore "publiée". Outre le plaisir de cette lapalissade, il signifie donc que celle-ci n'a pas été encore été revue par ses pairs, et n'est donc pas validée par la communauté scientifique.
Un des rédacteurs de l'étude appelle à garder la tête froide
Surtout, Tulio de Oliveira, l'un des rédacteurs de l'étude, a lui-même répondu à la controverse naissante, appelant à garder la tête froide face à ces résultats très préliminaires, taclant la posture "non factuelle" d'Eric Teigl-Ding.
"Selon les données sud-africaines, C.1.2 s'en tient à une faible prévalence (de l'ordre de 2 à 3%) et a été détecté dans huit à neuf provinces. Une fois ces résultats partagés, il ne s'agit pas de provoquer une panique mais de permettre à la science de nourrir la réponse. (...) Un autre fait non-scientifique est de dire que C.1.2 évolue deux fois plus rapidement. Comparez avec les autres variants, et remarquez, s'il vous plaît, que la plupart des variants récents présentent normalement un nombre supérieur de mutations (justement parce qu'ils sont récents!) et qu'un nombre supérieur de mutations autour de la protéine Spike (cardinale dans le processus de pénétration des cellules par l'organisme, NDLR) n'est pas forcément pour le pire, comme le montre l'exemple de Delta", a-t-il posté lundi.
Pas classé par l'OMS
Quant à l'affirmation selon laquelle C.1.2 aurait déjà étendu sa présence hors d'Afrique du Sud, elle se vérifie, certes, mais le phénomène est très ponctuel: on ne relève que quelques cas en Chine, à l'île Maurice et en Nouvelle-Zélande, comme notre journaliste Alexis Cuvilier l'a indiqué ce mercredi sur notre plateau.
La veille au soir, Bruno Lina, professeur de virologie aux Hospices civils de Lyon et membre du Conseil Scientifique, toujours sur notre antenne, y avait ajouté des occurrences européennes mais les avait jugées "marginales": "On a ce variant qui s'appelle C.1.2 dans le viseur. C'est un variant aujourd'hui essentiellement détecté en Afrique du Sud. Il a été détecté de manière extrêmement marginale dans des pays européens."
L'OMS n'a d'ailleurs pas classé C.1.2 parmi les variants à suivre pour le moment.
