Le café aux champignons "adaptogènes" peut-il vraiment booster votre santé? On a demandé à des experts

De plus en plus de marques proposent du café aux champignons, censé apporter de multiples vertus - ce que contestent de nombreux experts. - PIERRE-OSCAR BRUNET / BFMTV
Est-ce la recette miracle pour le petit-déjeuner? Sur les réseaux sociaux, les publicités pour les alternatives au café se multiplient: des boissons boostées aux champignons dits "adaptogènes", c'est-à-dire des champignons qui aideraient à adapter votre corps au stress et à équilibrer les fonctions physiologiques.
La promesse? Des préparations de café soluble avec des extraits de shiitake, chaga, reishi, ashwagandha, hydne hérisson (également appelé lion's mane) ou encore cordyceps censées permettre de "s'adapter aux différents stress", "équilibrer la glycémie", "améliorer la digestion", "équilibrer les fonctions physiologiques", "tonifier" et "protéger l'organisme des inflammations" ou encore "renforcer l'immunité". Rien que ça.
"Les principes actifs et la puissance de ces champignons sont bluffants", assure David Lasry, co-fondateur de So mush organic, une marque française de cafés instantanés aux extraits de champignons adaptogènes.
"Les champignons adaptogènes présents dans nos formules sont reconnus pour leurs effets bénéfiques sur l'immunité, le tonus et la concentration", abonde Samuel Tessier, fondateur du Café des guerriers. "Ils sont utilisés depuis des milliers d'années dans les traditions asiatiques pour leurs vertus, notamment pour soutenir l'organisme face au stress et favoriser l'équilibre général."

Qu'en est-il réellement? "Les champignons produisent en effet des molécules, des métabolites, qui ont une activité biologique", explique à BFMTV.com David Navarro, ingénieur en biotechnologie fongique et directeur adjoint du Centre international de ressources microbiennes - champignons filamenteux (CIRM-CF) de l'Inrae.
Certains champignons ont en effet fait leurs preuves. David Navarro cite la pénicilline, aux propriétés antibiotiques, synthétisée par certains champignons microscopiques. Mais aussi les statines, d'origine fongique, qui soignent l'excès de cholestérol et réduisent les risques d'accidents cardiaques. Une équipe de l'Inserm a par ailleurs récemment identifié un principe actif dans un banal champignon comestible qui serait capable de corriger les mutations génétiques en cause dans certaines maladies rares.
"Rien d'un argument scientifique"
Ingérer ces champignons dans son café du matin permettrait-il donc de prendre soin de sa santé? L'idée paraît séduisante. Une étude publiée l'année dernière dans la revue Nature a identifié le rôle d'une molécule du shiitake dans la suppression du diabète de type 1 chez la souris. Une autre, menée sur 126 participants humains, a montré que les cellules immunitaires s'étaient développées après administration de bêta-glucanes (des glucides complexes) de reishi.
Les fabricants de ces cafés aux champignons assurent que de nombreuses études scientifiques prouvent bel et bien leurs nombreux bienfaits. "Mais ce sont de petites études menées sur des souris, ou bien in vitro, ou encore sur de toutes petites cohortes", tempère pour BFMTV.com Florence Leclerc, enseignante-chercheuse en botanique et mycologie à l'Université Paris-Cité, qui dénonce leur manque de solidité scientifique. Certaines sont par ailleurs publiées dans des revues qui ne font pas l'unanimité.
"On ne peut pas transposer aussi facilement sur un organisme humain des résultats obtenus sur une souris ou dans une boîte de Petri", confirme le chercheur David Navarro. Sans compter qu'un champignon n'a rien d'un médicament. "Un médicament contient un ou plusieurs principes actifs clairement identifiés et dosés. Un champignon, c'est une usine à métabolites, plus d'une centaine de produits en plus ou moins grandes quantités."
"Rien ne garantit que ce cocktail ait le même effet qu'une molécule isolée", insiste-t-il.
Et si ces champignons ont éventuellement un effet sur l'organisme humain, "ça n'a pas été scientifiquement prouvé", balaie Florence Leclerc pour qui l'utilisation traditionnelle de ces champignons, également qualifiés de médicinaux, "n'a rien d'un argument scientifique".
"C'est une assertion marketing"
Pour ces experts, l'autre problème de ces breuvages, c'est que l'appellation "adaptogène" ne recouvre aucune réalité scientifique. "Ce n'est pas une terminologie reconnue", pointe Florence Leclerc, spécialiste des métabolites chez les champignons filamenteux. "Dans le milieu des mycologues professionnels, on n'utiliserait jamais ce mot."
L'Agence européenne des médicaments a d'ailleurs donné son avis sur ce point: "le terme (adaptogène, NDLR) n'est pas accepté dans la terminologie pharmacologique et clinique couramment utilisée dans l'UE". "Des champignons adaptogènes? C'est une assertion marketing", tranche David Navarro.
Et ce n'est pas parce qu'un métabolite d'un champignon est connu pour ses propriétés anti-oxydantes ou anti-inflammatoires sur une celulle en labortaoire "qu'on aura le même effet en ingérant le champignon", nuance le représentant du Centre international de ressources microbiennes. Car la molécule doit traverser la barrière digestive, passer la paroi intestinale...
"Affirmer que la boisson a les mêmes effets, c'est une extrapolation", tranche le spécialiste.
Le "far-west"?
Au-delà des incertitudes quant aux éventuels bénéfices sur la santé, l'universitaire Florence Leclerc dénonce un certain flou quant à la composition de ces produits. Elle déplore également un manque de contrôle quant à la production, la qualité et la transformation de ces champignons: "Dans ce domaine, certains collègues parlent de far-west."
Ces champignons sont-ils produits dans les règles de l'art, se demande l'ingénieur en biotechnologie fongique David Navarro? "D'où viennent-ils? Comment ont-ils été cultivés? C'est rarement indiqué." Car selon lui, leur mode de culture aurait un impact sur leur production de métabolites. "Du reishi extrait d'un tronc d'arbre en forêt n'aura pas forcément la même qualité que du reishi obtenu en laboratoire sur des ballots de sciure. Leurs molécules bioactives peuvent différer."
Le mycologue s'interroge également sur les étapes précédant la production, en particulier le choix du substrat (c'est-à-dire le support sur lequel poussent les champignons). "Quel bois est utilisé? Si c'est du bois recyclé pour réduire les coûts, il peut avoir été traité (avec des produits chimiques, NDLR). Or, on sait que les champignons bioaccumulent les polluants.”
"Quels sont les contrôles? Il y a trop peu de régulation. On ne vérifie même pas leur teneur en métaux lourds."
Certains champignons sont par ailleurs connus pour leur toxicité. C'est le cas du shiitake s'il est consommé cru ou insuffisamment cuit. L'Anses et la Représsion des fraudes ont d'ailleurs mis en garde contre les risques d'intoxication liés à la consommation de ce champignon.
"Tous les lots sont testés dans un laboratoire indépendant", se défend auprès de BFMTV.com Juliette, co-fondatrice des cafés Bonjour. Elle ajoute que les champignons contenus dans ses boissons viennent d'un producteur et importateur installé aux Pays-Bas, "tout est tracé". Et précise que le chaga est récolté à l'état sauvage directement sur les bouleaux, le lion's mane cultivé sur du bois dur et le cordyceps sur du riz "dans des conditions parfaitement contrôlées".
"Ces tests garantissent l'absence de centaines de résidus de pesticides et de métaux lourds", assure-t-elle.
"Il n'y a pas de super-aliment"
Si ce café nouvelle génération reste pour l'heure un marché de niche à côté des mastodontes du secteur, de plus en plus de marques se lancent, notamment sur les segments biologique ou vegan. Un marché porteur - ce café aux champignons se vend jusqu'à près de dix fois plus cher que du café soluble standard - et qui a de l'avenir: l'industrie de la mycothérapie devrait atteindre près de 61 milliards d'euros d'ici à 2030, selon le rapport du cabinet Grand View Research.
Un marché qui s'emballerait un peu trop vite? C'est ce que craint Anthony Fardet, ingénieur agro-alimentaire de formation et chercheur en alimentation préventive et durable au centre l'Inrae (Institut national de la recherche agronomique) à Clermont-Ferran . Il pointe pour BFMTV.com des assertions floues. "Du café à base de reishi qui 'équilibre la glycémie'? Ça ne veut pas dire grand chose, le mot a dû être choisi pour rester dans la légalité des allégations nutritionnelles."
Les allégations nutritionnelles et de santé sont "des mentions, images ou symboles valorisant les denrées alimentaires sur le plan nutritionnel ou de la santé", détaille la Répression des fraudes. Des phrases du type "jus de fruit riche en vitamine C", "allégé en sucres", mais aussi "bon pour le cœur" ou encore "le calcium est nécessaire à une ossature normale" - autant de promesses marketing très encadrées.
Certains de ces fabricants de cafés se montrent ainsi prudents, comme So mush organic qui évoque sur ses emballages des champignons "réputés en médecine traditionnelle pour leurs effets positifs", notamment sur le stress et la fatigue chronique, ou encore mentionne qu'on "leur prête de nombreux bienfaits" sur le système immunitaire.
"Nous ne voulons pas vendre de fausses promesses", ajoute David Lasry, qui considère cependant ces champignons comme "des super-food (ou super-aliments, NDLR) impressionnants".
Mais d'autres annoncent "soulage(r) les ballonnements", "réguler la balance hormonale" ou encore améliorer "la concentration et la mémoire" mais aussi aider à la "régénération des nerfs". Des allégations qu'Anthony Fardet modère. "Il faut être prudent avec le potentiel santé d'un aliment." Car selon lui, il n'y a pas de "super-aliment". "En revanche, on peut avoir un super régime alimentaire. Mais aucun aliment seul ne sauvera votre santé."