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La grippe aviaire nous menace-t-elle? Comment la France se prépare pour éviter un "scénario catastrophe"

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Des infections humaines successives par le virus A (H5N1) aux États-Unis entraînent une vigilance accrue des autorités de santé en France, comme elles l'ont annoncé ce jeudi 6 février. Le risque pour la population générale reste "faible". Mais des possibles évolutions du virus suscitent des craintes.

Une petite blague et un désagréable sentiment de déjà-vu. Ce jeudi 6 février, les différentes agences sanitaires françaises ont détaillé leur arsenal face à un virus qui concentre les inquiétudes: la grippe aviaire.

"On est prêts à tester, tracer, isoler... Ça nous rappelle un autre épisode", a glissé, discrètement, Grégory Emery, le Directeur général de la santé, lors d'une conférence de presse.

Un "autre épisode"? La pandémie de Covid-19? Le risque d'une nouvelle pandémie - ou en tout cas les préparatifs pour l'éviter - était bien à l'ordre du jour. Face à la percée outre Atlantique du virus A (H5N1), ayant aussi fait un malade au Royaume-Uni, les autorités sanitaires françaises ont cependant affiché leur sérénité.

"Tous les pays se préparent à une pandémie potentielle, on renforce nos systèmes de surveillance", a avancé devant la presse Caroline Semaille, la directrice générale de Santé publique France (SPF).

Un risque "faible" pour la population générale

La grippe aviaire est un terme qui englobe deux réalités bien distinctes. D'une part, la maladie que peuvent contracter les volatiles sauvages et ceux d'élevage, "l'Influenza aviaire hautement pathogène". De l'autre, une zoonose, c'est-à-dire cette même maladie, transmise à l'humain: on recense une soixantaine de cas d'infection aux États-Unis, parmi lesquels un mort est à déplorer.

Faut-il s'inquiéter d'une contamination massive? Les autorités sanitaires mondiales, européennes et françaises s'accordent sur ce point: pour la population générale, le risque est "faible". Il est toutefois "faible à modéré" chez certains groupes, comme les éleveurs qui sont en contact avec des volailles potentiellement contaminées par cette maladie.

Un niveau d'alerte bas justifié par l'absence totale de transmissions entre hommes à ce stade. Par ailleurs, à part le décès imputé à la maladie, une personne souffrant par ailleurs de comorbidités, les cas ont été dans leur extrême majorité bénins. Mais un "scénario catastrophe" pourrait faire drastiquement grimper le niveau d'inquiétude.

Car comme l'a si bien montré le Covid-19, un virus peut évoluer, muter. Et les virus grippaux ont également cette capacité à s'adapter, explique à BFMTV Marie-Anne Rameix-Welti, la responsable du Centre national de référence des virus des infections respiratoires à l’Institut Pasteur:

"Le risque est d'avoir un virus capable de se diffuser dans la population humaine. Pour ça, le virus de la grippe doit s'adapter, acquérir beaucoup de mutations."

Deux hypothèses sont envisagées. D'abord, le passage par un intermédiaire, un mammifère, qui pourrait ensuite faciliter la transmission aux humains. Voilà pourquoi la récente apparition du virus chez des animaux comme les vaches laitières aux États-Unis est une source d'inquiétude. "Ce sont des espèces qui sont plus en contact avec l'homme que les oiseaux sauvages, ou que les phoques chez qui une épidémie s'est aussi déclarée", explique la chercheuse.

Et si la grippe fusionnait... avec la grippe aviaire?

Autre possibilité: un réassortiment du virus de grippe aviaire, grossièrement une sorte de mélange, avec la grippe dite saisonnière. Une grippe qui serait à mi-chemin entre celle qui circule chez les oiseaux et la nôtre, capable de se diffuser d'humain en humain.

"Les virus pandémiques qu'on connaît historiquement chez l'Homme, pour la grande majorité d'entre eux, proviennent d'événements de réassortiment", détaille Marie-Anne Rameix-Welti. "Ce n'est pas un virus aviaire qui est passé dans sa totalité chez l'Homme, c'est un virus qui a échangé une partie de son patrimoine génétique avec un virus d'oiseau. Le reste venait de porcs, de virus humain, de virus qui étaient déjà adaptés chez un mammifère."

Ces deux pistes, des pures fictions? Loin de là. Dans une analyse de risque publiée la semaine dernière, l'autorité sanitaire européenne (ECDC) révèle que "34 mutations génétiques susceptibles d'accroître le potentiel de transmission du virus de la grippe aviaire à l'homme" ont été identifiées.

Elevage de canards dans les Landes le 29 décembre 2020
Elevage de canards dans les Landes le 29 décembre 2020 © GAIZKA IROZ © 2019 AFP

L'homme n'est d'ailleurs pas le premier concerné, puisque le virus A (H5N1) a été identifié chez des cochons, le chat domestique, des renards, des visons, des vaches, des éléphants de mer...

Vaccins, masques, antiviraux... La France préfère "prévenir"

La France doit-elle donc s'attendre à des cas de grippe aviaire chez l'humain dans un avenir proche? "C'est redouté. C'est possible qu'on ait un cas sporadique d'infection à un virus H5N1 chez l'homme en France", confirme la responsable de l'Institut Pasteur.

Le pays se prépare dans tous les cas au pire, quitte à ce qu'il ne se présente pas. "Toutes les agences sont mobilisées", assure le Directeur général de la santé. "L'ensemble des ministres" aussi. Il affirme que notre système de santé "s'est préparé à un système pandémique".

La France constitue des "stocks de vaccins pour les personnes qui auraient été en contact avec une personne ou un animal malade si un virus devenait transmissible à l’Homme", mène la "pré-réservation de vaccins en anticipation de l’émergence d’une pandémie grippale", mais fait aussi le stock de masques et de "stocks d’antiviraux, efficaces pour les personnes malades symptomatiques".

En effet, un vaccin contre la grippe aviaire chez l'humain a déjà été développé, mais il n'est aujourd'hui pas délivré. Toutefois, il est recommandé pour les personnes au contact des volailles de s'immuniser contre le virus saisonnier. Les canards, eux, sont vaccinés depuis 2023, ce qui a permis de faire chuter drastiquement le nombre de foyers infectieux dans l'Hexagone.

Ne pas laisser le virus circuler sous les radars

C'est aussi tout un système de détection qui a été mis en place. L'idée: suivre les infections grippales chez les personnes potentiellement à risque, comme les éleveurs, mais aussi analyser les cas de grippe saisonnière sévères, même sans lien apparent avec des volatiles.

Plus largement, les autorités sanitaires entendent renforcer la sensibilisation de l'ensemble des professionnels de santé, "de manière à les informer de la conduite à tenir".

Notamment bien pousser les professionnels exposés à adhérer à la vaccination, mais aussi repérer les cas suspects qui jusqu'à présent auraient pu circuler à bas bruit. Aux États-Unis, la maladie a circulé pendant environ six mois chez les bovins avant d'être identifiée.

Mais si la France se prépare, elle reste soumise à certains aléas. Notamment la conduite des autres pays, dont l'actuel foyer principal: les États-Unis. Donald Trump, qui a déjà désengagé son pays de l'Organisation mondiale de la Santé, pourra-t-il gérer efficacement une éventuelle épidémie? Sur ce point, la France n'a pas souhaité s'étendre.

Tom Kerkour