"C'est piégeux": malaise à gauche face à la proposition du RN d'abroger la réforme des retraites

Marine Le Pen et des députés RN à l'Assemblée nationale le 22 octobre 2024 - Alain JOCARD / AFP
Un premier test pour l'abrogation de la réforme des retraites depuis la dissolution. Les députés se sont penchés ce mercredi sur la proposition de loi du Rassemblement national qui veut faire revenir l'âge de départ à la retraite à 62 ans.
Le texte doit être débattu le 31 octobre prochain dans l'hémicycle à l'occasion de la niche parlementaire du RN, cette journée pendant laquelle les députés de Marine Le Pen ont la main sur l'ordre du jour dans l'hémicycle.
Soutenir ou affronter l'incompréhension des électeurs
Si la droite et Renaissance ont déjà fermé la porte à tout soutien, un an à peine après avoir défendu le report de l'âge de la retraite à 64 ans, la gauche qui n'a eu de cesse de vouloir abroger la réforme affiche son malaise.
Faut-il soutenir ce texte alors que le Nouveau front populaire (NFP) promettait dans son programme la fin de la réforme, quitte à ajouter ses voix avec le RN? Ou mieux vaut-il s'y opposer et affronter l'incompréhension de leurs électeurs? La question est ouverte et divise les rangs de l'union de la gauche.
Pour tenter de se sortir de l'ornière, les socialistes ont choisi de critiquer la suite du chemin parlementaire de cette proposition, plutôt que le fond du texte.
"Imposture" pour les socialistes
Le député Arthur Delaporte dénonce "l'imposture" d'une proposition de loi qui n'a "aucune chance de prospérer" au Sénat. Et pour cause: la chambre haute est très largement à droite et au centre et le RN ne compte qu'une poignée d'élus.
Comprendre: ce n'est pas la peine de s'abîmer politiquement pour un texte qui ne va guère aller loin. Dans un communiqué de presse, le groupe socialiste appelle à "ne pas voter" la proposition de loi.
Du côté des communistes, "il y deux positions au sein du groupe", explique le député communiste Yannick Monnet.
"Pour ma part, je considère que c'est l'intérêt supérieur" qui prédomine et "si la proposition de loi reste en l'état", "je la voterai", a jugé le député communiste.
"C'est un coup politique, c'est même de l'opportunisme", s'agace cependant l'élu pour qui le "RN est un fossoyeur de la question sociale et notamment de la question des retraites".
Des communistes divisés
Le chef des communistes Fabien Roussel a indiqué de son côté lors d'une conférence de presse que s'il avait toujours été député, il aurait voté cette proposition de loi tout "en dénonçant l'imposture qu'est le projet du RN".
Il faut dire que Jordan Bardella lui-même n'avait guère sembler pressé de revenir sur la retraite à 64 ans pendant les législatives et avait qualifié la mesure de "pas prioritaire". Les députés RN n'avaient pas d'ailleurs pas défilé dans la rue à l'époque des contestations. Le patron du RN avait même posé sur la table l'âge de 66 ans lors d'un débat après la dissolution.
Quant aux insoumis, les députés avaient dans un premier temps décidé de ne pas dévoiler leur stratégie. "Je n'ai pas dit que j'allais contre", a ainsi expliqué la députée insoumise Alma Dufour sur BFMTV lundi dernier.
"Des discussions" chez les insoumis
Mais depuis, Jean-Luc Mélenchon a donné le ton. "Fondamentalement, ce texte est une arnaque", a écrit le fondateur de La France insoumise dans une note de blog ce mercredi. "Pas question de donner des brevets de crédibilité au RN sur le front social", ajoute-t-il encore.
"De nouvelles discussions de groupe", sont cependant toujours à l'ordre du jour pour accorder les violons des députés, avance l'entourage de Mathilde Panot, la présidente des députés LFI.
Quant au groupe écologiste, la démarche du RN divise elle aussi les troupes. "Je ne voterai pas ce texte", assure Sandrine Rousseau. "De fait, la démarche du RN n'a qu'une seule visée: nous piéger et non pas de tenir une ligne".
"Mais en effet, il y a des gens dans mon groupe qui la voteront parce qu'en effet, c'est piégeux", regrette encore la députée écologiste.
Marine Le Pen "Tartuffe"
Parmi les arguments qu'avancent certains dans ces rangs: la position des députés de Marine Le Pen en commission des Affaires sociales sur le budget de la sécurité sociale.
La gauche n'a pas apprécié que lundi soir en commission des Affaires sociales, là où elle avait déposé des amendements pour financer un éventuel retour à 62 ans, le RN ait largement voté contre.
"Tartuffe, Marine Le Pen, sur les questions sociales", s'est agacé le député écologiste Benjamin Lucas, dénonçant un "coup d'esbrouffe" du groupe RN.
Conclusion: la proposition de loi a bien été adoptée en commission des Affaires sociales mais vidée de sa substance. Exit l'article 1 qui rétablissait la retraite à 62 ans. Benjamin Lucas et Sandrine Rousseau ont voté contre le texte tandis que le reste de leurs collègues ont choisi de ne pas prendre part au vote, tout comme leurs collègues insoumis.
Vers une proposition de loi des insoumis pour mettre fin à la retraite à 64 ans
Pour éviter cependant un rejet total du texte qui aurait conduit à des débats sur du texte initial dans l'hémicycle, gauche, droite et macronistes ont ensuite approuvé plusieurs demandes de rapports - sur le financement des retraites et l'évaluation des précédentes réforme.
Si d'autres amendements pour tenter de revenir à la retraite à 62 ans vont encore être débattus en commission des Affaires sociales avant les débats en hémicycle sur le budget de la sécurité sociale, la gauche mise surtout sur le 28 novembre.
Ce jour-là, les insoumis auront la main sur l'agenda parlementaire. De quoi espérer parvenir à faire voter un texte sur la fin de la retraite à 64 ans avec l'espoir que le Sénat s'empare à son tour de cette proposition de loi avec les élus communistes avant de revenir à l'Assemblée nationale en février à la faveur de la niche des écologistes.
Mais le piège du RN n'est pas totalement fini: Thomas Ménagé, le rapporteur de la proposition de loi pour abroger la réforme des retraites, a déjà indiqué que son parti pourrait voter ce texte. De quoi embarrasser à nouveau à gauche.