Mariage homo : arguments contradictoires et contre-vérités

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Après la manifestation dimanche des partisans du mariage homosexuel, la bataille va se porter pour deux semaines à l'Assemblée nationale, où s'ouvre mardi le débat sur le projet de loi ouvrant le mariage et l'adoption aux couples de même sexe.
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Aberration pour les uns, accès à l'égalité pour les autres… l'ouverture au mariage et à l'adoption pour les couples de même sexe a déclenché des débats parfois violents, donnant lieu dans les deux camps - opposants et défenseurs du projet de loi - à des arguments contradictoires et des contre-vérités. Revue de détails.
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- "Un enfant a besoin d'un père et d'une mère"
C'est l'argument numéro un des opposants au projet de loi ouvrant le mariage et l'adoption aux couples de même sexe. Selon eux, un enfant ne peut se construire normalement qu'avec des parents de sexes différents. Argument partagé aussi bien chez les responsables religieux que politiques, à droite comme au Front national.
• Les opposants. L'argument est en tout cas utilisé par Marine Le Pen qui en a appelé dimanche au "principe de précaution", en évoquant un "risque" pour les enfants. "Il me semble que le principe de précaution devrait pousser à ce que l'on refuse ce mariage et donc l'adoption pour les couples homosexuels, puisqu'il pourrait exister un risque bien entendu pour les enfants", a affirmé la présidente du parti d'extrême droite.
Pour Marine Le Pen, la question n'est pas de savoir si un couple homosexuel est "apte" ou non à élever un enfant. "La question, c'est que l'adoption veut dire que nous sommes face à des orphelins : il est difficile de commencer sa vie en étant orphelin et, par conséquent, être de surcroît élevé par un couple homosexuel, ça doit pas être très simple pour un enfant", a-t-elle affirmé, parlant de "mensonge biologique". "L'adoption homosexuelle voudrait faire croire à l'enfant que l'on peut avoir deux pères ou deux mères", a-t-elle encore expliqué, ajoutant que "cette adoption a fait l'objet d'analyses très contradictoires de la part des psychiatres et psychologues".
• Certains psychiatres partagent cette crainte. Le pédopsychiatre Christian Flavigny considère, par exemple, que l'adoption par des couples hétérosexuels absorbe le mécanisme de pensée coupable d'un enfant abandonné, ce qui, selon lui, n'est pas le cas de l'adoption homosexuelle. "La question intime de cet enfant est sa crainte de n'avoir pas mérité d'avoir père et mère comme les autres enfants. Il en ressent une mésestime de lui-même", écrit-il, expliquant que le projet de loi viendrait "falsifier le lien de filiation de l'enfant", et "brouiller sa réflexion".
• Les défenseurs. Les défenseurs du projet de loi gouvernemental soulignent au contraire qu'aucune étude réalisée à ce jour sur des enfants élevés dans des familles homoparentales n'avaient permis de mettre en évidence des différences notables avec des enfants ayant grandi dans des familles hétérosexuelles. "Plusieurs dizaines d’études avec des questionnaires standardisés et des entretiens semi-structurés n’ont pas montré de différence entre les enfants de familles homoparentales et les enfants de familles hétérosexuelles en termes de développement, de capacités cognitives, d’identité ou d’orientation sexuelle", écrivaient les psychiatres Guillaume Fond et Nathalie Franc et la pédopsychiatre Diane Purper-Ouakil.
- Les termes de "père" et de "mère" vont disparaître du Code civil
"Les Français ne savent pas que la conséquence première de cette réforme sera de rayer d'un trait de plume dans le Code civil la référence au père et à la mère".
• Les opposants. Comme le président de l'UMP Jean-François Copé, beaucoup d'opposants au projet de loi ouvrant le mariage aux couples homosexuels s'alarment de la disparition des termes "père" et "mère" du Code civil. Argument qui se fonde sur la substitution dans plusieurs articles du Code civil des mots "père et mère" par "parents" et "mari et femme" par "époux". "150 occurrences" où ces deux termes disparaîtraient, selon le député UMP Hervé Mariton.
Une modification prévue dans le projet de loi présenté début novembre en Conseil des ministres par Christiane Taubira mais qui posait un problème juridique important, le terme de "parents" revêtant une définition juridique pouvant porter à confusion.
• Le projet a évolué. Adopté en commission des affaires sociales puis en commission des lois dans la nuit de mercredi à jeudi 17 janvier, l'amendement surnommé "article-balai" du rapporteur Erwann Binet (PS), a coupé l'herbe sous les pieds des députés UMP en modifiant l'article 4 du projet constitué d'une longue série de coordinations visant à remplacer les termes de père et de mère par parents. Il a ainsi proposé de remplacer ces dispositions par un article général qui indique que les dispositions du Code civil s'appliquent "aux parents de même sexe lorsqu'elles font référence aux père et mère", "aux aïeuls de même sexe lorsqu'elles font référence aux aïeul et aïeule", "aux conjoints survivants de même sexe, lorsqu'elles font référence aux veuf et veuve", etc.
L'adoption de cet article-balai a fait tomber de très nombreux amendements et permis de raccourcir considérablement l'examen du texte. C'est le texte issu des débats en commission des lois qui sera débattu par les députés dans l'hémicycle à partir du 29 janvier.
• Ce que dit le gouvernement. Dans le livret de famille, a expliqué la Garde des Sceaux Christiane Taubira, "rien (ne change) pour les couples hétérosexuels". En effet, dit-elle, "nous avons choisi de ne pas désexuer le livret de famille : y sera donc maintenue la référence au père et à la mère. Pour les couples homosexuels, les travaux sont en cours. Ce qui est certain, c'est que nous ne ferons pas comme aux Pays-Bas, nous ne retiendrons pas les termes de 'parent 1' ou 'parent 2'".
- "Le projet de loi crée une égalité de droits avec les hétéros"
C'est le premier argument des associations homosexuelles, comme l'Inter LGBT (lesbienne, gay, bi et trans) ou l'APGL (Association des parents et futurs parents gays et lesbiens), et le gouvernement. "En permettant l'égalité des droits, c'est toute la société qui progresse" (Inter-LGBT).
Pour les associations militantes, ces couples doivent pouvoir avoir des enfants : adoption, reconnaissance d'un enfant par deux personnes de même sexe (même non mariées). Pour les opposants, il n'existe pas de droit à l'enfant et l'idée d'égalité est absurde puisque la différence des sexes est indépassable.
• Les opposants. "Le mariage n'est pas un droit mais une institution", a estimé dimanche l'ancien conseiller de Nicolas Sarkozy Henri Guaino, considérant que le projet de loi ouvrant le mariage aux couples homosexuels risquait de dénaturer cette institution.
• La défense du gouvernement. Au contraire, il vient corriger "une situation d'inégalité flagrante" estime pour sa part la ministre de la Justice Christiane Taubira. "Ce projet de réforme pour tous corrige une situation d'inégalité flagrante", a-t-elle assuré dimanche. "Notre démarche n'a rien d'hostile à la famille. Au contraire, nous prenons en compte une réalité sociale et humaine".
"La France, rappelle-t-elle, tente de tracer depuis quarante ans une ligne de justice qui a fait progresser le statut des enfants. (...) Ce texte va protéger les familles, toutes les familles. Ce texte protégera les droits des enfants."
- "La société est divisée autour du mariage homosexuel"
• Bataille de chiffres. Décidés à ne pas laisser le terrain aux opposants sur le sujet, les partisans du mariage homo ont rassemblé, dimanche à Paris, entre 125.000 et 400.000 personnes selon les sources, trois fois moins que les "anti" il y a deux semaines, mais bien plus que lors de leur précédente mobilisation à la mi-décembre. Pari réussi pour les organisateurs qui ne voulaient pas entrer dans une guerre de chiffres car elle reflette peu le sentiment qui domine chez les Français.
• Les Français favorables. Selon un sondage Ifop publié samedi, 63% d'entre eux se disent favorables au mariage homosexuel, contre 60% début janvier, et 49% approuvent l'adoption par des couples du même sexe, (contre 46%).
- "Le mariage homo est la porte ouverte à la gestation pour autrui"
Pour les opposants, le projet a comme conséquence la légalisation des "mères porteuses", à laquelle François Hollande est pourtant fermement opposé.
• Les opposants. Lundi, Christian Jacob (UMP) a accusé le gouvernement de "tromperie" sur le mariage homosexuel, jugeant qu'il "vend par appartements" une réforme qui, selon lui, est liée à la Procréation médicalement assistée et entraîne la Gestation pour autrui. Sur i>TELE, le président du groupe UMP à l'Assemblée a considéré qu'après la PMA, "de fait, il y aura la Gestation pour autrui" pour couples homosexuels masculins.
"Et là, on entre dans la marchandisation des corps", a-t-il estimé. "Nous l'avons toujours refusée. Il y a une malhonnêteté intellectuelle dans la manière dont le débat est porté", a insisté Christian Jacob.
• La GPA pas à l'ordre du jour. Le gouvernement a repoussé au mois de mars la question de la Procréation médicalement assistée (PMA) pour les couples d'homosexuelles, posée par le texte sur le mariage gay.
La porte-parole du gouvernement, Najat Vallaud-Belkacem, a réaffirmé lundi que le projet de loi sur la famille, qui inclura des dispositions sur la PMA, "devrait être rédigé d'ici le mois de mars" et voté avant la fin de l'année 2013. Il intégrera toujours question qu'il intègre la PMA" pour les couples d'homosexuelles.
- "Le mariage est fondé sur la procréation"
Il s'agit d'un des arguments majeurs des religions. Mais de fait et en droit (la loi ne distingue plus enfants "naturels" et "légitimes"), mariage et procréation sont déjà dissociés.
Les associations homosexuelles appellent donc à aller au bout de la logique en permettant à un couple de même sexe (forcément stérile) de se marier.