Le rythme ternaire de De Gaulle, Mitterrand monarchique: le style des présidents en conférence de presse

Charles de Gaulle donnant une conférence de presse. - AFP
Il sera 18h ce jeudi, dans la salle des fêtes de l'Elysée, lorsque Emmanuel Macron y entrera pour faire face à la presse. 20 minutes de discours, puis deux heures de questions-réponses avec les journalistes, du très classique pour cette conférence de presse élyséenne. Mais le simple fait qu'elle ait lieu est un événement dans la chronologie, pour le moment réduite, du mandat: c'est en effet la première fois qu'Emmanuel Macron se plie à un tel rendez-vous depuis le début de son quinquennat.
Oh, bien sûr, le président de la République, en-dehors de ses échanges plus ou moins informels avec des journalistes lors de déplacements, a déjà répondu aux questions de la presse depuis un pupitre, à côté d'un de ses homologues étrangers, à l'occasion de rencontres bilatérales ou de sommets internationaux. Mais il s'agissait là de "fausses conférences de presse", nous remarque l'historien Arnaud Teyssier, historien, expert de la Ve République et auteur dernièrement de De Gaulle, 1968 - L'autre révolution, que nous avons contacté pour décrypter les styles de chacun des présidents de la République lors de ces grands-messes.
A l'évidence, la conférence de presse organisée dans le décorum élyséen, captée en direct par tous les yeux télévisuels et oreilles radiophoniques, portant sur des sujets pour l'essentiel nationaux, est une toute autre gageure que les interventions moins exposées, souvent plus courtes, abordant des chapitres touchant de moins près au quotidien de la nation et données depuis Bruxelles ou le palais d'un exécutif étranger.
Si l'exercice est donc inédit pour Emmanuel Macron, il s'inscrit cependant dans une grande tradition. Née avec la vigueur nouvelle injectée à la présidence de la République par Charles de Gaulle, la conférence de presse n'a plus quitté les institutions de la Ve. Et chacun des chefs de l'Etat successifs y a apporté sa propre rhétorique, sa manière d'être... et son naturel, parfois revu et corrigé par son entourage.
- De Gaulle, le saint-cyrien devenu homme de médias
A tout seigneur, tout honneur. Le général de Gaulle est non seulement l'instigateur de ces cérémonies médiatiques mais aussi celui qui leur a imprimé le plus profondément sa marque. A vrai dire, l'officier n'a pas attendu d'être président de la République pour sortir à découvert devant la presse. Le 19 mai 1958, en pleine crise algérienne, avant d'être appelé à former un gouvernement puis de fonder la Ve République et d'en prendre la tête, il prend ainsi la parole. Sous sa présidence, il mène ensuite à bien dix-sept conférences de presse, depuis la première le 25 mars 1959 jusqu'à la dernière dix ans plus tard.
Et mentionner les conférences de Charles de Gaulle ravive immanquablement souvenirs d'époque et vidéos d'archive. Il y a bien sûr l'homme de 67 ans éberlué s'étonnant qu'on le soupçonne de vouloir "commencer une carrière de dictateur". Il y a aussi celui qui "rassure" son auditoire, lui confirmant qu'il ne "manquera pas de mourir", après une question sur sa santé. Revient enfin ce pronostic à la troisième personne: "Ce qui arrivera quand de Gaulle aura disparu ? Ce qui est à redouter à mon sens, après l’événement dont je parle, ce n’est pas le vide politique, c’est plutôt le trop-plein."
Arnaud Teyssier commente: "La conférence de presse gaullienne est très particulière car il avait le sens de la formule et inspirait un respect naturel. Pourtant, c'était un homme âgé, de 68 ans quand il retrouve le pouvoir, avec des costumes croisés pas très bien taillés. Tout reposait donc sur ce qu'il disait, le ton comme le contenu". L'historien relève que le style gaullien allait sur deux jambes: "le rythme ternaire" et "l'adverbe", que l'orateur se plaît à l'époque à décomposer, à marteler. Né en 1890, formé à la raideur saint-cyrienne, chauffé au feu des combats de la Première guerre mondiale, éprouvé par une longue captivité en Allemagne, engagé dans une lutte ingrate puis triomphante durant le second conflit mondial, pendant lequel il se frotte, et de quelle manière, à la radio, l'individu n'a pourtant rien d'un homme de télévision. Or, sous de Gaulle déjà, les conférences de presse sont retransmises. "C'est un homme de l'ancien monde, pas habitué aux médias modernes", reconnaît Arnaud Teyssier qui souligne qu'il a "travaillé l'exercice devant les caméras".
En 1965, il emploie même les services de Louis Seigner, professeur au Conservatoire nationale et à la Comédie française, pour lui enseigner la "bonhomie". On sent que le règne des communicants ne s'est pas encore levé. Mais il ne tardera plus.
- L'échappée poétique de Pompidou
Georges Pompidou s'installe à l'Elysée en 1969. Le temps d'un mandat, écourté deux ans avant son terme par la maladie, il donne neuf conférences dans cette demeure officielle. Celle à laquelle il se livre en septembre 1969 est peut-être sa prestation audiovisuelle la plus célèbre. L'ancien professeur de lettres, et éphémère banquier, est interrogé sur l'issue que vient alors de trouver un terrible fait-divers: le suicide de l'enseignante Gabrielle Russier, 32 ans, après qu'elle a été condamnée pour détournement de mineur. Elle avait entretenu une liaison avec un jeune homme de 17 ans.
Coupant ce préambule de silence, Georges Pompidou pose d'abord: "Je ne vous dirai pas tout ce que j’ai pensé de cette affaire, ni même ce que j’ai fait." Il enchaîne: "Quant à ce que j’ai ressenti, comme beaucoup...". Et c'est le moment pour celui qui a aussi compilé une Anthologie de la poésie française d'utiliser les mots d'un autre pour révéler son sentiment personnel: "Comprenne qui voudra, moi mon remords, ce fut la victime raisonnable au regard d'enfant perdue, celle qui ressemble aux morts, qui sont morts pour être aimés".
Ces vers sont tirés de Comprenne qui voudra, un poème composé par Paul Eluard en 1944. "Cet extrait est sûrement préparé mais même préparé, ce n'est pas donné à tout le monde. Quand il fait cette citation, tout le monde est admiratif mais personne n'est surpris. Un écrivain comme Julien Gracq, qui pourtant refusait toutes les invitations officielles, allait à l'Elysée sous Pompidou car il le considérait comme l'un de ses pairs", analyse Arnaud Teyssier. Ce dernier décrit le verbe pompidolien: "toujours bref et concis". "De Gaulle et Pompidou n'avaient pas besoin de s'inventer un personnage devant le public. Et ça faisait le sel de leurs conférences de presse", reprend l'historien.
- Giscard cherche la formule
Puis, les rendez-vous s'espacent, la méfiance grandit peu à peu à l'égard de ces situations jugées trop inconfortables. Valéry Giscard d'Estaing, jeune, fasciné par la communication américaine, n'abandonne pourtant pas cette pratique qu'il rebaptise "réunion de presse". Soucieux de dépoussiérer la chose, il est le premier à se débarrasser de la table derrière laquelle tous ses prédécesseurs se sont assis... avant de revenir à un cadre plus traditionnel et de se rasseoir. La conférence n'a de toutes façons pas ses faveurs.
"Giscard s'est éloigné des conférences de presse. Il a mis en œuvre de nouveaux procédés, comme l'entretien avec un journaliste, comme Jacques Chancel notamment à l'époque", détaille Arnaud Teyssier.
Conséquence: si ces allocutions, entre soirée feu de bois compassée avec son épouse et "au revoir" solennel, ont marqué les esprits, ses conférences de presse ne sont pas restées dans les mémoires.
- Mitterrand, le "marmoréen"
François Mitterrand a un rapport mitigé à la conférence de presse. S'il ne semble pas goûter ce genre d'occasions, pas plus d'ailleurs que la plupart de ses entretiens avec des journalistes, il finit par s'y faire. En 14 ans d'exercice de l'Etat, il tient une dizaine de conférences de presse, selon France Inter qui rappelle le rendez-vous de septembre 1990 où il déclare, préparant à la guerre du Golfe: "Nous sommes entrés dans une logique de guerre".
Mais devant les images de ces face-à-faces passés, on n'est loin de l'impression de l'étonnante jubilation du fondateur de la Ve République, par exemple.
Notre historien dépeint une statue du commandeur, faite de marbre: "Mitterrand, c'est le plus marmoréen. Et c'est paradoxal, car contrairement à de Gaulle ou Pompidou il avait une expérience de parlementaire chevronné. La présidence l'a figé dans une posture monarchique. Il était sans doute mal à l'aise quand il a dû se glisser dans le costume de président de la Ve République après avoir tant critiqué la fonction sous de Gaulle".
- Chirac? A l'aise sans plus
Jacques Chirac n'a pas fourni les mêmes efforts. Esquivant le plus souvent les conférences de presse, il leur a préféré les prises directes avec les Français ainsi que les entretiens télévisés. Toutefois, Arnaud Teyssier note son "aisance dans la communication" et en retrace la source: "Chirac avait l'habitude des institutions et avait connu de Gaulle. Et puis, il avait quand même été secrétaire d'Etat en 1968".
- Sarkozy, nerveux et changeant
Extrêmement familier des médias, constamment en relation avec la presse, volontiers extraverti, Nicolas Sarkozy promet durant sa campagne présidentielle de réunir la presse deux à trois par an comme le rappelait Le Figaro il y a quelques années. Finalement, il ne le fait que quatre fois en tout et pour tout en cinq ans. La faute peut-être à une confidence d'apparence adolescente en janvier 2008: "Avec Carla, c'est du sérieux". "Il fait preuve d'une certaine nervosité dans sa façon d'interagir avec les journalistes", affirme Arnaud Teyssier qui ajoute:
"On cherche de nouveaux biais pour s'adresser au pays mais sans risque. Par exemple, Nicolas Sarkozy introduit la possibilité pour le président de s'exprimer devant le Parlement réuni en Congrès à Versailles. C'est hallucinant. Et finalement, il ne s'en sert qu'une seule fois, car ça fait un bide".
- Hollande, l'habile malchanceux
François Hollande s'est montré plus assidu devant les journalistes. Mais il n'en a pas été franchement récompensé. Les audiences de ces conférences se sont peu à peu affaissées au fil de son mandat. Pourtant, celui qui est également l'auteur d'une Histoire politique de la Ve République relève: "Il n'était pas malhabile. Il y avait un côté très IVe République chez lui, avec sa longue expérience de parti, de terrain. Il connaissait très bien les journalistes, peut-être trop à l'arrivée. Mais il avait beaucoup de sang-froid".
Et ce sang-froid lui est, durant sa présidence, bien utile pour lutter contre son penchant au bon mot. L'ère n'est plus à la formule, par ailleurs étiquetée punchline par l'époque et désormais soupesée mille fois par la communication. "Hollande se surveillait mais il était lui-même très surveillé".
Il faut bien le dire, l'histoire des conférences de presse présidentielles est celle d'une tradition qui s'étiole. De moins en moins fréquentes à compter de la fin des années 70, de plus en plus rigides, leur tournure n'a cessé d'évoluer. Mais les spin doctors sont-ils les seuls responsables? Pas pour Arnaud Teyssier qui termine: "Les personnalités politiques ne savent plus pratiquer la solitude. Or, il faut savoir organiser sa propre solitude pour réfléchir, se détacher des influences, avant de se présenter face au public".