Le coronavirus peut-il bloquer les travaux de l'Assemblée nationale?

Une équipe médicale à Santiago au Chili le 20 mai 2020 - Martin Bernetti / AFP
Jean-Luc Reitzer, député élu dans le Haut-Rhin, fait désormais partie des 423 Français contaminés par le coronavirus. Un salarié de la buvette de l'Assemblée nationale, auquel il faudra peut-être ajouter le cas d'une personne travaillant dans le restaurant du Palais-Bourbon, qui n'a pas encore été testée mais a montré quelques symptômes, est aussi malade.
La question s'impose donc, en cette période politique sous tension: la chambre basse et par extension, le Parlement tout entier devra-t-il suspendre ses travaux sine die si l'épidémie venait à se répandre davantage dans les travées de la représentation nationale? En plateau, notre éditorialiste politique, Christophe Barbier, a rétorqué ce vendredi:
"Les textes sont précis. On peut être très peu nombreux dans l’Hémicycle et voter des lois. Quatre pour, trois contre, ça fait un vote. Sauf si un président du groupe demande à vérifier le quorum - le quorum c’est la majorité absolue. Est-ce qu’on est 289 ? Attention, 289 dans le bâtiment pas dans l’Hémicycle. On a 15 minutes pour le vérifier. Si on n’est pas 289, on reprend les débats quand même. C’est très souple."
Le coronavirus pourrait-il ainsi changer les équilibres politiques au moment de voter le très sensible projet de loi réformant les retraites? "Impossible," répond Christophe Barbier.
"Il y a une exception, ce sont les lois organiques. Quand elles arrivent au dernier vote, il faut la majorité absolue donc il faut rassembler au moins 289. Le projet de réforme des retraites, quand ça reviendra au printemps, c’est une loi organique."
L'Assemblée nationale n'est pas rivée au Palais-Bourbon
La circulation du virus interroge d'autres aspects du quotidien du député. Les députés disposent ainsi dans l'Hémicycle d'une place qui leur est assignée. L'élu, inquiet de côtoyer de trop près les germes laissés par un éventuel voisin souffrant, pourrait cependant s'arranger de cette règle, selon Christophe Barbier, qui s'explique auprès de BFMTV.com:
"Dans les groupes, les députés sont placés par ordre alphabétique. Mais dans les discussions, ils peuvent se regrouper par département."
Le jeu de chaises musicales touche vite à ses limites.
"Ils doivent toutefois retourner à leur place au moment du vote car les boutons qui permettent d'exprimer son suffrage sont nominatifs", glisse l'éditorialiste.
En revanche, les députés pourraient déserter leur bout des quais de Seine.
"L'utilisation du bâtiment n'est pas obligatoire. Dans le serment du Jeu de Paume, il est dit la chose suivante: 'Partout où ses membres sont réunis, là est l'Assemblée nationale'", pose Christophe Barbier.
La salle du Jeu de Paume où les députés des Etats-Généraux, qui allaient bientôt se muer en Constituante, s'étaient réunis ce 20 juin 1789 était d'ailleurs un ancien gymnase en quelque sorte, où s'était pratiqué un ancêtre du tennis.
"C'est pourquoi, par exemple, en 1940, les députés avaient siégé à Tours, après avoir quitté Paris, puis à Bordeaux, puis à Vichy", note le commentateur de la scène politique qui poursuit: "Aujourd'hui, ils pourraient par exemple aller à la Salle du Congrès de Versailles".
Personnel
A première vue, même en cas d'aggravation de l'épidémie, de Palais-Bourbon transformé en cluster, pas de problème, que des solutions. Sauf que... sauf que le problème pourrait bien être ailleurs.
"Le talon d'Achille de l'Assemblée nationale, c'est beaucoup plus le personnel que les députés. Pour la faire fonctionner, il faut des juristes, des appariteurs. Or, s'ils ne sont pas là, on ne peut plus saisir les débats, faire le Journal officiel, imprimer. Et une loi n'est valable que si elle paraît au Journal officiel. Donc, en soi, il n'est pas exclu que l'Assemblée nationale puisse s'arrêter en raison d'un manque de personnel".
L'hypothèse est encore catastrophiste à cette heure mais elle n'est plus tout à fait aberrante.