Harcèlement sexuel en politique: des élues racontent la loi de l'omerta

Nathalie Kosciusko-Morizet est en difficulté sur l'ancienne circonscription de François Fillon à Paris. - Christophe Archambault - AFP
"Quand cela vous arrive, vous ne savez pas vraiment comment réagir. Instinctivement vous vous sentez un peu coupable. Vous vous dites que vous n'auriez peut-être pas dû vous habiller d'une certaine façon. Vous vous dites aussi qu'il vaut mieux en rire parce que sinon cela vous met en marge car tout cela est, malheureusement, tellement habituel en politique, mais pas seulement". Voilà comment Aurore Bergé, élue Les Républicains des Yvelines, a réagi intérieurement après que deux élus confrères lui ai lancé des allusions douteuses - "Quand je te vois, j'ai envie de faire une Baupin", "Quand on te voit Aurore, on a le bâton de berger au lendemain" - quelques heures seulement après que le député Denis Baupin ait été accusé de harcèlement et d'agressions sexuelles.
"On va vous traiter d'hystérique ou de mythomane"
Au lendemain de l'onde de choc provoquée par les huit témoignages de femmes écologistes, quelques langues se délient sur dénoncer le machisme ambiant qui règne en politique, à coup de petites phrases graveleuses et condescendantes. Mais comment, pourquoi une loi du silence s'est imposée en la matière? "Il y avait des bruits, des ragots, des choses qui se disaient mais aucun nom de victime, souligne Esther Benbassa, qui a rejoint EELV en 2010, en ce qui concerne l'affaire Baupin. Dans un milieu de revanche, où tout le monde dit du mal de tout le monde, c'est difficile de ne pas mettre en doute."
La sénatrice écologiste souligne à quel point il est ardu pour les victimes d'actes déplacés, voire condamnables, de les dénoncer publiquement. "Il faut beaucoup de courage car on va vous traiter d'hystérique ou de mythomane." Sans oublier la "culpabilité", due notamment au fait qu'en France "il n'est pas assez ancré dans les esprits que le harcèlement est grave" et que le sujet est un vrai "tabou".
"On va faire monter le FN"
Auteure d'une Anthologie regrettable du machisme en politique, Rama Yade estime elle aussi qu'il y a une réelle "culpabilisation des victimes" et souligne la pression des partis politiques, qui poussent au silence: "Cela va salir l'image du parti", "on va susciter un dégoût de la politique si on parle", "on va faire monter le FN", sont autant d"arguments déjà entendus par celle qui vise aujourd'hui la présidentielle 2017.
Pour autant, Rama Yade reconnait qu'il est "très compliqué de réagir" face à une phrase ou un geste déplacés, et que plusieurs raisons poussent finalement à se taire:
"La première réaction, c'est la tétanie. Vous pensiez qu'il y avait des règles du jeu, basées sur la compétence et le talent, et là vous vous prenez un tacle personnel. On a du mal à s'en remettre. Ensuite se pose la question de savoir à qui en parler? Il y a peu de femmes en politique et la plupart des hommes pensent comme cela."
La peur d'une sanction, de voir sa carrière s'arrêter ou freiner, que l'on soit salariée d'un parti ou en demande d'une investiture, joue également selon Rama Yade. Sans oublier que face à des "propos qui ont pour objectif de vous affaiblir", il est difficile de se positionner en victime.
"Maintenant je parle et ils n'osent plus"
Même si le sexisme n'est pas l'apanage du monde politique, Chantal Jouanno souligne que c'est un milieu où toutes les conditions sont réunies pour que de tels comportements se développent sous couvert d'une omerta: "des femmes peu nombreuses, des hommes dominants et un milieu précaire où chacun est sujet à une vraie vulnérabilité". La sénatrice UDI, qui a notamment travaillé sur le projet de loi sur le harcèlement sexuel, rappelle ainsi que de manière générale, "les victimes de harcèlement sont jeunes, vulnérables (de par leur statut, ndlr) et qu'elles évoluent dans un milieu masculin".
Lors de ses passages à la tribune, Chantal Jouanno se souvient avoir été sifflée pour une jupe trop courte ou avoir entendu un "elle est chiante mais elle est jolie à regarder". N'ayant jamais eu connaissance de harcèlement pur, la sénatrice de Paris a déjà accompagnée une collègue dans le bureau d'un confrère face auquel il valait mieux être deux.
"Maintenant je parle et ils n'osent plus", souligne-t-elle. Ce qui lui a permis de passer le cap? "L'assurance et la force que vous donnent votre position et votre réputation". Même si rien n'est réglé, Chantal Jouanno voit "une vraie différence entre ses débuts et maintenant". Parmi les lignes qui bougent, celle de la solidarité entre les femmes, que les trois élues interrogées jugent essentielle.
Des affaires comme celle qui touche aujourd'hui Denis Baupin peuvent aider la parole à se libérer et les mentalités à changer. Mais les élues pensent qu'il faut également créer des dispositifs spécifiques: groupes féminins dans les partis, dispositifs d'alerte et d'écoute, ou aide juridictionnelle, par exemple.